Déféré dimanche dernier devant le tribunal de Sidi M’hamed: L’incarcération du patron de Merinal fait polémique

Salima Tlemcani, El Watan, 11 mai 2021

Durant la semaine écoulée, les messages de Nabil Mellah, patron du groupe pharmaceutique Merinal, sur les réseaux sociaux, laissaient transparaître beaucoup d’inquiétude, mais sans en dire les raisons.

C’est à ses proches amis qu’il écrira que ses va-et-vient à la brigade de la gendarmerie de Bab J’did à Alger, pour être auditionné, allaient le rendre fou. Nabil Mellah sentait que la machine judiciaire se remettait en marche contre lui, pour avoir concédé des remises de 200 dollars sur des factures de médicaments à l’exportation.

En effet, le jeune entrepreneur, qui emploie près d’un millier d’Algériens, avait publié un témoignage poignant sur sa douloureuse expérience avec la justice. Après plusieurs renvois et des va-et-vient entre Alger et Oran, Nabil Mellah a été jugé et condamné à une peine de deux ans avec sursis, confirmée par la cour, pour avoir bénéficié d’«indus avantages» dans le cadre d’un marché avec le CHU d’Oran, pour lequel, son entreprise n’a jamais été payé et son nom n’a pas été cité dans l’expertise ayant motivé l’incarcération du responsable de l’hôpital. Nabil raconte son calvaire devant le juge d’instruction. «L’appel d’offres que nous avions remporté portait sur la fourniture de lots de produits d’anesthésie/réanimation et de chirurgie, de kits de rachianesthésie, de péridurale, des aiguilles de ponction lombaire…

Des produits absolument indispensables dont aucun CHU ne saurait se passer. J’explique donc au juge d’instruction que je n’ai aucun moyen de savoir si les procédures administratives propres au CHU ont été respectées avant l’émission de l’appel d’offres, et que nous avions scrupuleusement respecté la réglementation pour cet appel d’offres. Il me rétorque que je devais m’estimer heureux parce qu’un autre fournisseur avait, lui, été mis en détention provisoire (…). Je répète au juge qu’il n’y a pas lieu d’évoquer d’indus avantages étant donné que nous n’avions pas été payés depuis 5 ans et que nous avions même intenté une action en justice contre l’hôpital pour recouvrer nos créances.

Une expertise avait été réclamée qui confirmait que l’hôpital devait nous payer la somme en question (…). Quelques semaines plus tard, je reçois une convocation au procès (…). Aucun élément de culpabilité n’est établi. Bien au contraire. Le procureur, distrait durant tout le procès, se contente de requérir contre les fournisseurs 3 ans de prison ferme (…).

Une dame, fournisseur de l’hôpital et co-inculpée, panique et me demande si on va être mis en prison. Je la rassure. J’ai l’habitude. Lors d’une affaire opposant l’entreprise à la Banque centrale pour non-rapatriement de remises sur factures d’exportation, un procureur avait déjà requis 2 ans de prison ferme contre moi. Cette fois-là, la justice avait fonctionné et nous avait innocentés en première instance et en appel. Une semaine plus tard, le verdict tombe. Le directeur général du CHU, par qui l’affaire avait commencé, est relaxé et les 7 ou 8 fournisseurs de l’hôpital condamnés à 2 ans de prison avec sursis et une amende. Je suis donc condamné à 2 ans de prison avec sursis pour un appel d’offres aux quantités dérisoires, qui ne représente même pas 1% de notre chiffre d’affaires, remporté par l’entreprise dans les règles de l’art et pour lequel elle n’a jamais été payée.

Pourquoi ?

Parce que du fait que l’expert n’avait pas retrouvé de trace de la demande interne (d’équipements indispensables à un CHU, soit dit en passant), j’aurais été coupable d’avoir obtenu d’indus avantages. Il n’y avait pas l’ombre d’une seule preuve, ni même d’un soupçon de preuve (…). Nous faisons appel du jugement. C’est kafkaïen. Je répète la même chose, tout en m’efforçant de prouver mon innocence, en comparant les quantités des années 2013 à 2018 qui étaient quasiment équivalentes. Oui, ce n’est pas à la justice de prouver ma culpabilité, mais à moi de prouver mon innocence. A un moment donné, le juge annonce une interruption de séance pour 5 minutes ; il demande à la police de fermer les issues et de nous placer dans le box des accusés (…). Le juge revient, les plaidoiries continuent. Le juge se tourne vers le procureur pour lui demander ce qu’il requiert. Ce dernier, que j’ai observé pendant tout le procès affairé à signer des documents, lève la tête nonchalamment et demande l’aggravation des peines (…). J’ai officiellement un casier judiciaire.

Le jugement rendu en première instance est confirmé (…). J’ai été condamné pour obtention d’avantages illicites dans un appel d’offres remporté dans les règles de l’art et pour lequel nous n’avons jamais été payés, et sans que l’ombre d’une preuve d’obtention d’indus avantages ne soit apportée», raconte Nabil Mellah.

Et de conclure : «Je suis révolté par mon impuissance face à l’insulte qui m’est faite et qui est faite à l’entreprise. Mon unique recours pour l’heure : écrire et dénoncer. En revanche, dans un certain sens, ils m’ont rendu service : désormais, je suis contraint de me retirer du monde du travail. Une sorte de retraite forcée. Je continuerai à donner des conseils à mes collègues s’ils le désirent, mais je ne peux plus être gérant, mon casier judiciaire n’étant plus vierge, en attendant le passage à la Cour suprême. Merci à eux pour cette retraite anticipée. Ils se sont débarrassés d’un chef d’entreprise (qui n’a jamais rêvé de l’être) peu commode et qui n’a jamais applaudi. Ils vont probablement gagner un acteur de la société civile qui ne sera pas entravé par sa qualité de chef d’entreprise.»

Effectivement, Nabil Mellah est resté très actif sur les réseaux sociaux, réclamant haut et fort un Etat de droit. Il y a quelques jours, et alors que son affaire est toujours pendante à la Cour suprême, Mellah, cet ancien secrétaire général et président de l’Unop (Union nationale des opérateurs pharmaceutiques), est poursuivi en tant que responsable de Vapropharme, une des filiales de Merinal, pour avoir importé et vendu à perte des produits pharmaceutiques. En quelques jours, l’enquête préliminaire est achevée, Mellah est déféré devant le tribunal de Sidi M’hamed pour «blanchiment d’argent» et «violation de la réglementation de mouvement de capitaux».

Au fond, Mellah savait que son sort était déjà scellé. Victime de sa réussite, il était dans le viseur. De qui ? Personne ne le sait. Même pas lui. Son incarcération a scandalisé plus d’un et les réactions sur les réseaux sociaux sont révélatrices du respect dont jouissait ce jeune exportateur de médicaments, très engagé. Que cache donc cette affaire ?