Conférence de presse des avocats de Rabah Karèche : «Cette affaire est la preuve vivante qu’il n’y a pas de liberté de la presse en Algérie»

Mustapha Benfodil, El Watan, 04 mai 2021

Une conférence de presse a été organisée hier, en début d’après-midi, au siège de l’association RAJ, à Alger, par le collectif des avocats de notre confrère Rabah Karèche, correspondant de Liberté à Tamanrasset, pour faire le point sur l’affaire du journaliste qui se trouve en détention provisoire depuis le 18 avril dernier.

La conférence de presse a été animée par Me Amirouche Bakouri qui s’est rendu à deux reprises dans la capitale du Hoggar pour porter assistance à notre confrère, ainsi que les avocats Mostefa Bouchachi et Abdelghani Badi. A pris part également à cette conférence notre confrère de Liberté Ali Boukhlef.

La modération a été assurée par notre consoeur de Radio M, Lynda Abbou qui a rappelé en guise d’introduction le long chapelet d’entraves au libre exercice du métier qui a touché la profession et la longue liste des journalistes emprisonnés ces dernières années. Lynda précisera au passage que l’Algérie occupe actuellement la 146e place (sur 180 pays) au classement annuel de la liberté de la presse dans le monde établi par RSF.

Prenant la parole en premier, Me Amirouche Bakouri a rassuré d’emblée sur l’état d’esprit de notre confrère en déclarant : «Je lui ai rendu visite deux fois à Tamanrasset, il avait un bon moral. Il m’a dit : je suis ici à cause de mes articles de presse. Si je n’étais pas journaliste, je ne serais pas là». L’avocat a haussé le ton en faisant ce constat : «Quand on est un journaliste indépendant, qui couvre les évènements comme ils sont, on va en prison. (…) C’est ça l’Algérie nouvelle !».

Il prévient : «L’affaire Rabah Karèche est une sonnette d’alarme qui devrait alerter sur la situation de la presse en Algérie. Elle reflète une image réelle de l’état de la liberté d’expression en Algérie».

Pour rappel, Rabah Karèche a été officiellement poursuivi pour «atteinte à l’intégrité du territoire national», «création d’un compte électronique dédié à la diffusion d’informations susceptibles de provoquer la ségrégation et la haine dans la société» et «publication de fausses informations susceptibles de porter atteindre à l’ordre public». Me Bakouri s’interroge sur les raisons de ce recours empressé à la détention préventive là où un simple démenti aurait suffi avant de marteler : «Cette affaire est la preuve vivante qu’il n’y a pas de liberté de la presse en Algérie».

La parole a ensuite été donnée à Ali Boukhlef qui a apporté quelques éclaircissements sur le travail de Rabah Karèche. «Rabah a été convoqué cinq fois pour ses articles» affirme Ali. L’un de ces articles, détaille-t-il, portait sur une affaire de foncier, un autre traitait de la détresse sociale des habitants de Ain Guezzam, et il y avait dans le lot cet article incriminé qui ne faisait que rendre compte d’une action de protestation dans une commune de la wilaya de Tamanrasset contre le dernier découpage territorial.

Ali Boukhlef rapporte que lors d’un interrogatoire subi par le journaliste, «on lui a posé la question : wech djit eddir men Tizi-Ouzou elehnaya ? Qu’êtres-vous venu faire de Tizi Ouzou jusqu’ici ?» Et d’insister sur le profond attachement de Rabah à la région et le précieux travail qu’il accomplit sachant, comme le déplore Ali, qu’il y a que très peu de correspondants de presse dans le sud du pays et quasiment plus de journalistes qui couvrent la région de Tamanrasset.

Prenant le relais, Maître Abdelghani Badi est obligé de constater à son tour que «ces arrestations qui touchent les journalistes reflètent la réalité de la presse en Algérie». L’avocat relève paradoxalement une régression inquiétante de la marge de manœuvre des journalistes durant la période post-hirak 2019. Me Badi nous apprend dans la foulée que «depuis le début du hirak en Algérie, il y a eu 10 journalistes arrêtés et emprisonnés, ave des peines inégales». Pour lui, il ne fait aucun doute que «le pouvoir n’a aucune volonté de laisser les journalistes faire leur travail en toute liberté et en toute sérénité».

Examinant les grands textes structurant le champ médiatique, il souligne que depuis la Constitution de 1989, toutes les Lois fondamentales «consacrent le principe de la liberté de la presse». Il ajoute que «les derniers amendements constitutionnels ont clairement indiqué que le journaliste ne peut encourir une sanction privative de liberté». «La loi de l’information de 2012 prévoit tout au plus des amendes» appuie-t-il. Abdelghani Badi déplore le fait que les autorités, dans le traitement des délits de presse, mettent cette batterie de textes en sourdine et s’en remettent au code pénal pour infliger les sanctions les plus sévères aux gens du métier.

Complétant ce sombre tableau, Maître Mostefa Bouchachi fait sensiblement le même diagnostic. «Les régimes despotiques ne peuvent pas produire de lois qui garantissent la liberté de la presse» assène-t-il d’entrée. Passant en revue le corpus de lois qui régissent la profession, il note que «la loi sur l’information de 2012 ne comporte pas de référence à la liberté de la presse.

Et la loi de 2014 sur l’audiovisuel conditionne la création d’une chaîne de télévision par la publication d’un décret présidentiel dans le journal officiel. Et la chaîne peut se voir retirer son agrément de façon arbitraire, sachant que les décrets présidentiels ne peuvent faire l’objet d’un recours devant une quelconque juridiction». «Nous avons affaire à un régime tyrannique, un régime totalitaire qui ne croit pas à la liberté d’expression et à la liberté de la presse» dénonce le ténor du barreau.

Et les choses vont de mal en pis d’après son analyse. «Nous nous interrogeons depuis deux ans : il y a des entraves à la liberté de la presse. Il y a des journalistes qui sont jetés en prison. Pour quelle raison ? La réponse est simple : nous traversons une période sensible de l’histoire de l’Algérie et de l’histoire de cette révolution pacifique.

Les méthodes classiques qui ont été mobilisées pour étouffer la liberté de la presse à travers la loi sur l’information et la loi sur l’audiovisuel, ne suffisent plus. Le régime, pour faire échouer le hirak, a remplacé la loi sur l’information et la loi sur les associations par le code pénal.

Les militants de RAJ qui ont été arrêtés n’ont pas été jugés sur la base de la loi sur les associations mais sur la base du code pénal». Maître Bouchachi en est persuadé : «Le but de ces poursuites, de l’emprisonnement de Rabah Kareche, de Khaled Drareni avant lui, de Said Boudour et autres, c’est de faire peur aux journalistes, aux médias et à l’ensemble de la société».

A noter qu’un comité de soutien à Rabah Karèche est en voie de création afin de mieux organiser la solidarité pour arracher la libération de notre confrère. Courage, Rabah !