Journée internationale de la liberté de la presse: Médias et journalistes sous pression

Salima Tlemcani, El Watan, 03 mai 2021

Jamais la presse algérienne n’a connu une situation socioéconomique et politique aussi grave que durant ces dernières années.

Chantage à la publicité, recours aux arrestations, poursuites et incarcérations de journalistes, déjà lourdement affectés par un climat social des plus délétères, vivant avec des revenus très bas, privés de leurs droits syndicaux, ou mis au chômage après des mois de travail sans salaire avant et durant la crise sanitaire. Dans un tel climat, quelle liberté reste-t-il à la presse algérienne ?

Ancien journaliste, le ministre de la Communication, Ammar Belhimer, porte-parole du gouvernement, qui annonçait, il y a quelque temps, «la mort de la presse papier», est revenu hier pour nous informer de l’existence de 180 quotidiens, dont près d’une trentaine, avons-nous appris, ont été créés depuis son arrivée à la tête du département et tous ces titres bénéficient «du soutien de l’Etat en matière de papier et de publicité publique».

Or, il suffit de faire un tour aux plus achalandés des kiosques de la capitale, pour se rendre compte que le nombre de quotidiens n’atteint même pas la cinquantaine, dont une grande partie vit grâce à la publicité étatique, utilisée par les pouvoirs publics comme moyen de marchandage de la ligne éditoriale. Pourtant, la publicité est un produit commercial qui obéit aux règles du marché et de la concurrence.

Il ne doit en aucun cas être utilisé comme une arme de destruction des entreprises de presse qui font de «l’information un bien public» – le slogan utilisé cette année par les autorités pour célébrer la Journée de la liberté de la presse – et refusent d’obéir aux directives d’en haut.

Face à une telle situation, de nombreuses entreprises de presse ont fini par mettre la clé sous le paillasson. Fragilisées, d’autres tentent de survivre en réduisant drastiquement leurs équipes rédactionnelles, et le peu de journalistes qui subsistent sont sommés d’attendre les virements de leurs salaires durant des mois, souvent amputés de moitié, voire plus.

Certains se retrouvent privés de leurs droits syndicaux et d’une protection sociale sans que cela suscite la réaction des institutions qui veillent au strict respect des dispositions du code du travail. Cette situation a eu pour conséquence un recul considérable du travail d’investigation et de recherche garantissant la crédibilité de l’information.

Si la liberté de la presse est consacrée par la Loi fondamentale, sur le terrain cela n’est pas le cas.

L’accès à l’information quasi impossible

L’accès des journalistes aux sources d’information relève toujours du domaine de l’impossible et l’autocensure est devenue un sport national. Plus grave encore. De nombreux journalistes sont malmenés et interpellés, chaque vendredi ou mardi, par les services de sécurité, alors que d’autres sont poursuivis et placés en détention.

Le dernier en date, après le cas de Khaled Drareni (libéré et en attente de son procès en appel), est Rabah Karèche, correspondant du journal Liberté à Tamanrasset, placé sous mandat de dépôt pour avoir rendu compte, sur Facebook, de la tenue d’une marche de protestation populaire contre le nouveau découpage administratif à Tamanrasset. Karèche n’a fait que son métier. Celui de donner une information à ses lecteurs et ceux qui le suivent sur sa page Facebook.

Comment peut-il être placé en détention, alors qu’il a une adresse stable pour répondre à toutes les convocations de la justice ? Sommes-nous devant un recours abusif à la détention provisoire ou tout simplement devant une sanction judiciaire, pour accentuer davantage le climat de peur et faire reculer le peu de liberté qui subsiste encore sur la scène médiatique ?

Aujourd’hui, les grands espoirs pour la construction d’un Etat de droit, auquel aspirent tous les Algériens qui battent le pavé depuis le 22 février 2019, s’effritent à la lumière de ce recul considérable en matière de liberté de la presse, un des fondements de toute démocratie.

C’est dans cette ambiance morose et inquiétante que les médias algériens célébreront la Journée internationale de la liberté de la presse, coïncidant chaque année avec la date du 3 mai.