Scandales et déballages en série

AFFAIRES DE CORRUPTION

Scandales et déballages en série

Le Soir d’Algérie, 11 avril 2016

Des déballages en cascade et des révélations graves ont actuellement lieu autour d’un des plus gros scandales de corruption qu’a connu l’Algérie : celui de l’autoroute Est-Ouest…
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – L’affaire ressurgit à la faveur de la publication des Panama Papers, cette série de documents impliquant dans des dossiers de corruption plus d’une quarantaine de personnalités et d’hommes politiques de différentes nationalités. Tout commence par une interview du porte-parole de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (ACLC).
Interrogé au sujet du cas Bouchouareb, Djillali Hadjadj traite le ministre de l’Industrie et des Mines «d’amateur» au regard de l’importance de l’implication d’autres «dirigeants algériens plus fûtés qui ne sont pas identifiables par leur nom car ils créent des comptes offshores numérotés».
Il s’explique : «les commissions versées dans le cadre du projet de l’autoroute Est-Ouest sont principalement domiciliées au Panama par l’intermédiaire d’une banque suisse. Parmi les détenteurs, Mohamed Bédjaoui (ancien président du Conseil constitutionnel) et Pierre Falcone.
La boîte de Pandore s’ouvre. L’homme d’affaires français a été à maintes reprises cité dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest. Son nom et celui de Mohamed Bédjaoui avaient été évoqués sans relâche par les principaux accusés, et condamnés (à dix ans de prison). Falcone lui, est présenté comme étant le principal artisan de tout le dossier mais la justice algérienne semble avoir été confrontée à l’impossibilité de réunir les preuves de son implication dans le dossier. Pierre Falcone est cependant connu pour ses démêlés avec la justice française. Par deux fois (en 2007 et en 2008), il est condamné à des peines de prison ferme pour détournement puis fraude fiscale.
L’ancien président du Conseil constitutionnel algérien fait de son côté une révélation grave. Dans un entretien accordé au journal en ligne TSA, il reconnaît avoir ouvert une porte à l’homme d’affaires français en Algérie et le regrette. «J’ai introduit, dit-il, Pierre Falcone auprès des autorités algériennes. C’est un homme d’affaires mondialement connu. Il m’a approché un jour pour m’entretenir de deux questions du plus haut intérêt touchant la Défense nationale et m’assurer de toute son aide dans ce cadre au service de notre pays». Mohamed Bedjaoui est alors à la tête du Conseil constitutionnel. Il déclare avoir à ce moment saisi les autorités compétentes qui «ne pouvaient refuser de le recevoir pour des problèmes importants de défense mais après un certain nombre de rencontres, elles se sont aperçues de l’inefficacité de son concours». «Entre-temps, poursuit-il, il porta de l’intérêt pour l’appel d’offres concernant l’autoroute qui venait d’être publié. Il s’est porté soumissionnaire au nom d’une societé d’Etat chinoise. Personne ne pouvait l’empêcher de soumissionner. Il a bénéficié de mon appui initial dans le respect des lois d’autant qu’il était sensé apporter incessamment une contribution espérée à notre Défense nationale. Mais j’ai cessé tout contact avec lui lorsque j’ai appris qu’il n’avait pas apporté le concours escompté à notre Défense nationale (…) Je regrette totalement d’avoir fait cela car à la fin de ma vie, on m’insulte et on me diffame c’est injuste».
Lors du procès des mis en cause dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, l’ex directeur des nouveaux projets de l’ANA (Agence nationale des autoroutes) avait indiqué au juge que Pierre Falcone percevait 20 à 30% sur «chaque situation financière régularisée par l’Etat algérien et distribue l’argent aux membres du lobby qu’il a constitué en 2005». Mohamed Khelladi qui a écopé de dix ans de prison cite entre autre Mohamed Bédjaoui.
Les responsables arrêtés dans le cadre de cette enquête apportent la même version aux juges chargés de l’affaire. On conclut à un manque de preuves. En dépit de la gravité des révélations aucune enquête n’a été ouverte.
Le scandale soulevé par les Panama Papers donne donc à Djillali Hadjadj l’occasion de revenir sur le sujet. Cette fois Pierre Falcone réagit par le biais de son avocate qui dément l’existence de «commissions» et «s’inscrit en faux contre les déclarations du porte-parole de l’Association algérienne de lutte contre la corruption».
Le débat s’enflamme. Mohamed Bédjaoui s’en prend lui aussi violemment à Djillali Hadjadj qui l’accusait, dans le même entretien livré à TSA, de posséder des comptes offshores numérotés. Le porte-parole de l’ACLC réagit à son tour dans une mise au point virulente. Il relève «l’aveu tardif de Mohamed Bédjaoui au sujet de l’autoroute Est-Ouest» et celui qui consiste à «reconnaître avoir introduit Pierre Falcone auprès des autorités algériennes au moment où il était président du Conseil constitutionnel» puis le fustige pour ces propos qui consistent à le présenter comme «un homme d’affaires mondialement connu».
Djillali Hadjadj rappelle les démêlés de Pierre Falcone avec la justice française et s’interroge sur la nécessité d’avoir mêlé le Conseil constitutionnel à cette affaire.
«A quel titre a-t-il bénéficié du soutien de son président et dans quel but ? (…) cet appui a été plus que concluant… plus de 6 milliards de dollars puisque son «appuyé» a remporté le marché».
Le porte-parole de l’Association algérienne de lutte contre la corruption révèle ensuite d’une prise en charge «par le Conseil constitutionnel et aux frais de cette institution d’un des séjours de Pierre Falcone à Alger au moment où se préparait le projet de l’autoroute Est-Ouest».
Selon la même source, l’association a pu constater de «visu l’existence de cette prise en charge auprès de l’agence de voyages à Alger destinataire de cette étrange commande». Inévitablement, le porte-parole de l’association chargée de la lutte contre la corruption en Algérie s’interroge sur le rôle de la justice qui «aurait pu si elle l’avait voulu en savoir plus sur l’implication de Mohamed Bédjaoui dans l’affaire de l’autoroute Est-Ouest dès l’ouverture de l’instruction» et celle de Pierre Falcone.
Les déclarations des mis en cause «9% pour Pierre Falcone» sont «consignées dans l’arrêt de renvoi n’ont pas amené les juges à le convoquer». Se peut-il que des décisions émanant des plus hautes autorités exigent enfin une véritable enquête sur cette affaire ? L’attitude officielle adoptée depuis le début du grand déballage laisse malheureusement très peu de chance à cette option. En attendant, le pays s’enlise dans des affaires de corruption inextricables et les mauvais points s’accumulent…
A. C.