Cap sur le développement des zones d’ombre : Un programme, des objectifs et des insuffisances à combler

Samira Imadalou, El Watan, 25 janvier 2021

Le débat est focalisé ces derniers jours sur les zones d’ombre. Ce dossier est depuis le début de l’année dernière objet de promesses et de déclarations d’intention qui s’enchaînent. Rattraper le retard cumulé en matière de développement local semble être le cheval de bataille des pouvoirs publics qui misent sur les zones dites «d’ombre» pour réaliser cet objectif raté dans les précédents programmes.

Car, faudrait-il le rappeler, cette problématique a déjà été prise en charge dans le cadre du plan national de développement agricole et rural en 2002, la stratégie nationale de développement rural durable en 2004 et les projets de proximité de développement rural intégré en 2009. Mais, sans grands résultats.

Les écarts régionaux sont toujours importants. Les chercheurs qui se sont penchés sur cette question ne manquent pas de le souligner. «Malgré les impacts multiples de ces programmes en matière de lutte contre la pauvreté, de création d’emplois, d’amélioration des revenus des agriculteurs, d’amélioration des conditions de vie des populations rurales, le bilan reste mitigé», noteront dans une analyse Saidoun Rym et Aït Hammou Sihem, chercheures au Centre de recherches en économie appliquée au développement (CREAD).

Elles ajouteront : «Les ménages des petites agglomérations rurales, les populations les plus vulnérables économiquement et socialement, ainsi que de nombreuses zones éparpillées ou isolées se retrouvent souvent exclus de ces programmes de soutien et donc peu développées voire dépourvues de tout aménagement.»

D’où cette terminologie de «zone d’ombre» mise en exergue dans le discours officiel. Une terminologie qui distingue, selon nos deux chercheures, des zones isolées où la population n’a pas accès aux commodités les plus élémentaires.

Sur quels critères identifie-t-on justement ces zones ?

En réponse à cette question, Amel Bouzid, maître de recherches au CREAD qui a eu à travailler également sur cette question, nous dira : «Les critères pour identifier les zones en retard de développement et les concepts adoptés pour les qualifier ont évolué selon l’approche de développement choisie.»

Ainsi, nous rappellera-t-elle, «juste après l’indépendance, le pays s’est dirigé vers une politique de développement économique centrée sur l’industrie, ce qui a conduit à une marginalisation des zones rurales».

Cette politique a provoqué aussi ce qu’on a appelé «l’exode rural», et par la même occasion, le recul de l’activité agricole au bénéfice de l’industrie qui attirait les ruraux vers les villes.

Il y avait bien une politique de développement agricole, mais elle était focalisée sur les terres agricoles récupérées des colons et qui se situaient surtout dans les plaines. Ceci a conduit à la marginalisation des zones rurales dans les zones montagneuses, steppiques et sahariennes.

C’est donc l’ère des «zones marginalisées». Par la suite, dans les années 2000, les zones rurales dites «défavorisées» ont connu, toujours selon notre interlocutrice, et ce, pour la première fois, un programme qui leur est directement destiné, à l’échelle nationale.

Cela s’est traduit par des Projets de proximité de développement rural (PPDRI). «L’embellie financière qui a suivi la hausse des prix des hydrocarbures à cette période a conduit les services de l’Etat à reprendre en main les actions de développement dans les zones rurales et à diminuer l’action des organisations internationales. Les PPDRI ont concernées l’ensemble des zones rurales défavorisées du pays pendant 10 ans», soutiendra Amel Bouzid.

Pour cette dernière, le fait qu’aujourd’hui on parle de zones d’ombre signifie «d’une part, que beaucoup de zones n’ont pas bénéficié de ces projets ou que le travail mené n’a quand même pas été efficace. Ce qui explique le recours à ce programme présidentiel pour lequel les pouvoirs publics ont identifié jusque-là 15 000 zones qui regroupent plus de 8 millions d’habitants. Faudrait-il rappeler que depuis février dernier, 5171 projets (41%) pour une enveloppe de près de 55 milliards de dinars a été achevée alors que 4309 projets sont en cours de réalisation et 3010 en attente de lancement.»

Au total, 32 700 projets de développement sont proposés pour ces zones, 12 489 ont été financés pour un montant dépassant les 184 milliards de dinars.

Pour 2021, l’enveloppe financière allouée à ces zones dans le cadre de la loi de finances est de 110 milliards de dinars, dont 50 milliards au titre de plans de développement communaux, 20 milliards au titre d’amélioration urbaine et 40 milliards pour la gestion de la voirie des communes et wilayas. Mais comment assurer la réussite du programme ?

Spécificités régionales

«Avec des spécificités au niveau géographique, bioclimatique, culturel, économique et social, il est primordial de prendre en compte cette diversité et l’associer aux préoccupations des populations locales dans la démarche de développement en suivant le modèle de développement territorial qui consiste en la valorisation des ressources propres à chaque territoire et la participation des acteurs locaux dans les dynamiques de développement de leur territoire», estiment Saïdoun Rym et Aït Hammou Sihem, pour qui les actions devraient impliquer tous les secteurs du territoire dans le cadre d’une vision globale qui rompt avec les approches sectorielles qui ont caractérisé par le passé les politiques de développement rural.

«Il s’agit d’adopter des approches multisectorielles qui intègrent différents secteurs d’activités», résumeront nos deux chercheures pour qui l’accent est à mettre sur des politiques de développement territorial. «La substitution des politiques sectorielles classiques par des politiques de développement territorial permettront de passer progressivement d’un mode de développement centralisé et exogène, à un mode de développement décentralisé et endogène qui implique de nouvelles formes de gouvernance dites de gouvernance locale ou de gouvernance territoriale», préconiseront-elles encore avant de conclure : «Ces formes de gouvernance nouvelles intègrent le principe d’une participation plus large d’acteurs. Dès lors, l’action de développement sera une responsabilité partagée entre les pouvoirs publics et les différents acteurs locaux. Le but étant de renforcer la capacité d’initiative des acteurs locaux à puiser dans les ressources de leur territoire pour satisfaire leurs besoins et attentes.»

Pour sa part, Amel Bouzid estime qu’il y a lieu de mettre en place un programme d’aménagement du territoire à travers l’accompagnement du développement économique des territoires et la réduction des inégalités spatiales en termes économiques ou sociaux.

Des recommandations à prendre en considération pour réussir le programme et inverser la tendance d’exode vers le monde rural comme escompté par les pouvoirs publics. Ces derniers misent d’ailleurs sur d’autres programmes de développement des zones d’ombre au cours de cette année, notamment pour le raccordement à l’électricité et au gaz.

Le financement des projets, un casse-tête pour les walis

«L’année 2021 sera une année des zones d’ombre par excellence, au cours de laquelle les programmes de développement y afférents pourront être parachevés, au profit des citoyens», s’est engagé à ce titre, Brahim Merad, conseiller auprès du président de la République, chargé des zones d’ombre.

Il annoncera dans ce sillage l’éventuelle création de mini-zones d’activité dans le cadre du dispositif de soutien aux jeunes, dédiées aux jeunes des zones d’ombre. Les autorités locales sont fortement attendues sur ce dossier à travers une implication sur tous les plans, notamment pour la recherche des financements.

Faudrait-il rappeler à ce sujet que les responsables locaux ont déjà été invités à «s’ingénier à trouver les ressources pour le financement des opérations recensées, de réorienter les budgets des projets en souffrance de lancement, d’assainir la nomenclature, d’engager des reliquats et de puiser dans certains fonds pour la réalisation des projets visant l’amélioration du cadre de vie des populations vivant le dénuement au niveau de ces zones d’ombre». Une mission difficile à assurer connaissant les dysfonctionnements de l’administration au niveau local. C’est dire que le développement des zones d’ombre ne s’annonce guère facile à la lumière de tous ces facteurs.