“L’Algérie connaît une forte pression migratoire”

Agostino Mulas, représentant du Haut-Commissariat pour les Réfugiés

Liberté, 17 janvier 2021

Pour Agostino Mulas, “les réfugiés constituent un groupe spécifiquement défini et protégé par le droit international, car la situation dans leur pays d’origine rend impossible un retour chez eux. L’élément essentiel du statut des réfugiés et de l’asile est donc la protection contre le retour dans un pays où l’intéressé a des raisons de craindre la persécution.”

Liberté : Comment votre organisation a-t-elle pu agir pour accompagner les réfugiés durant la pandémie de coronavirus ?
Agostino Mulas : Les réfugiés et les demandeurs d’asile ont été immédiatement impactés par les effets globaux du coronavirus. La pandémie en Algérie a intensifié les besoins de protection et les vulnérabilités socioéconomiques des réfugiés sahraouis dans les camps de Tindouf et ceux habitant dans les zones urbaines. Pour donner suite aux recommandations sanitaires des autorités algériennes, le HCR a rapidement adapté ses interventions lors du confinement lié à la Covid-19. Cependant, le HCR devant toujours assurer la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile en Algérie a maintenu ses activités essentielles à Tindouf et en zones urbaines, tout en respectant les mesures sanitaires nécessaires pour se protéger et protéger les autres contre la Covid-19. Les interventions pour prévenir les infections et le support pour l’accès aux soins ont été priorisées.

D’abord, le HCR a renforcé la communication avec les réfugiés et les demandeurs d’asile urbains avec la mise en place d’un centre d’appel permettant d’identifier et de répondre aux problèmes de protection rencontrés, chaque fois que possible, et de fournir un appui psychosocial dans cette période difficile. Les dernières informations sur la flambée de la Covid-19 ont été largement disséminées à partir de notre site d’aide. Les personnes présentant des symptômes de la Covid-19 ont été également invitées à appeler le 3030, le 1021 ou le 14 pour suivre le conseil des autorités de santé publique nationales.

Concrètement, quelles sont les actions engagées par votre organisation sur le terrain ?
Pour appuyer les efforts de prévention de la transmission en Algérie, le HCR a distribué des kits hygiéniques pour femmes et filles dans les zones urbaines qui présentaient un risque plus élevé. Les efforts pour améliorer les conditions d’hygiène personnelle et communautaire existent également à Tindouf, où le HCR continue avec la distribution de l’eau et du savon pour tous les réfugiés et la javel pour les centres de santé et d’éducation.

À travers ses partenaires, le HCR a aussi accompagné des réfugiés et demandeurs d’asile, afin de leur garantir l’accès aux soins à Alger. À Tindouf, le HCR coordonne la réponse humanitaire à la Covid-19 avec les représentants du PAM, de l’Unicef, l’appui technique de l’OMS et des responsables communautaires sahraouis et le département chargé de la santé à Tindouf. Le HCR a renforcé les services de santé préexistants en appuyant le personnel soignant, en renforçant les infrastructures sanitaires et le système de référencement médical, et en assurant l’approvisionnement en moyens de prévention et de protection.

Les autorités algériennes vont mettre en place un hôpital mobile dans les camps de réfugiés sahraouis, près de Tindouf. Cet hôpital sera un appui essentiel au système de santé sahraoui et assurera aux réfugiés des cinq camps l’accès à un service de soins de haute qualité. Malgré le confinement, le HCR a assisté plus d’un millier de réfugiés et demandeurs d’asile en zones urbaines depuis le mois de mars 2020 via des assistances financières exceptionnelles ou des assistances pour le logement pour les personnes plus vulnérables, y compris les personnes handicapées, les enfants non accompagnés et les survivants des violences sexuelles et de genre. Prévenir et répondre aux violences sexuelles et de genre sont toujours une priorité globale pour le HCR. Un mécanisme de référencement et de réponse dédié aux victimes de violence domestique durant la période de confinement a été mis en place pour sensibiliser les réfugiés et demandeurs d’asile en zones urbaines aux risques des violences domestiques et les informer de la possibilité de signaler toute violence domestique en contactant la cellule d’écoute du call center du bureau du HCR à Alger.

Quels types de dossier ont été pris en charge par le HCR en 2020 ?
L’UNHCR en Algérie s’occupe des réfugiés sahraouis dans les cinq camps de Tindouf et également des demandeurs d’asile et réfugiés en zones urbaines. Le gouvernement algérien a proportionné un soutien de longue date aux populations réfugiées sahraouies et a investi des ressources pour améliorer les conditions de vie dans les camps de réfugiés à Tindouf. À Tindouf, le HCR dirige les efforts inter-agences pour soutenir le programme humanitaire pour les réfugiés sahraouis. Dans les zones urbaines, en 2020, le HCR avait sous son mandat environ 9 700 personnes relevant de la compétence du HCR en zones urbaines dont 7 546 réfugiés (86,9% de Syriens) et 2 154 demandeurs d’asile. Les personnes relevant de la compétence du HCR sont de diverses nationalités (principalement syrienne, mais elles fuient également le Mali, le Cameroun, le Yémen…).
Le nombre des nouvelles demandes d’asile en Algérie a considérablement diminué en 2020 compte tenu de la fermeture des frontières et des différentes restrictions de déplacement liées à la Covid-19.

De quelle manière les réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR sont-ils assistés en Algérie ?
Pour les réfugiés et les demandeurs d’asile dans les zones urbaines, le HCR s’engage avec le gouvernement sur leur responsabilité en matière de protection des réfugiés pour l’amélioration de l’espace d’asile et de protection dans les zones urbaines. Le HCR enregistre et évalue les demandes d’asile et fournit des documents (certificat de demande d’asile ou carte de réfugié) pour diminuer le risque d’arrestation et refoulement des personnes relevant de sa compétence.
Il facilite l’assistance et le support des personnes ayant des besoins spécifiques (enfants non accompagnés, personnes vivant avec handicap, femmes en situation de risque, survivant des violences sexuelles et du genre…), y compris l’accès aux soins médicaux, le soutien psychosocial et l’assistance matérielle.

Parmi les actions de protection des droits des enfants réfugiés et de demandeurs d’asile, nous soutenons l’enregistrement des naissances en Algérie. Le droit d’être reconnu comme une personne par la loi est crucial pour bénéficier d’une protection tout au long de la vie et constitue une condition préalable à l’exercice de tous les autres droits.

Également, l’inscription à l’école des enfants en âge scolaire facilitée par le HCR à Alger pour protéger les enfants et les jeunes réfugiés du travail des enfants, de l’exploitation sexuelle et du mariage précoce, et leur transmet les connaissances et les compétences nécessaires pour vivre une vie productive et indépendante. La formation professionnelle et les projets générateurs de revenus font aussi partie du soutien des réfugiés.

Plusieurs opérations de rapatriement de migrants ont été organisées par les autorités algériennes ces dernières années. Qu’en pensez-vous ?
Le HCR est conscient que, malheureusement, l’Algérie connaît une forte pression migratoire et qu’elle doit mettre en place certaines mesures pour prévenir les problèmes liés à la sécurité et à la sauvegarde de l’économie.

Aussi que l’Algérie travaille en étroite collaboration avec l’agence onusienne de la migration (OIM) soit un plus. Les personnes relevant de la compétence du HCR — notamment les demandeurs d’asile, les réfugiés et les apatrides — sont directement touchées par les politiques et les processus migratoires, en particulier lorsqu’elles sont impliquées dans des mouvements migratoires mixtes, des situations souvent complexes.
Notre organisation veille à ce que les politiques, les pratiques et les débats sur les questions de gestion de la migration prennent en compte les besoins particuliers en matière de protection des demandeurs d’asile, des réfugiés et des apatrides ; et de rappeler le cadre juridique qui existe pour répondre à ces besoins.

Les réfugiés sont des personnes qui ne peuvent pas retourner dans leur pays d’origine craignant, avec raison, d’être persécutées ou à cause d’un conflit, d’actes de violence ou d’autres circonstances ayant gravement perturbé l’ordre public et qui, par conséquent, ont besoin d’une protection internationale. Confondre les réfugiés et les migrants, ou considérer que les réfugiés constituent une sous-catégorie des migrants peut avoir de sérieuses conséquences pour la vie et la sécurité des personnes qui fuient les persécutions ou une zone de conflit.

Les réfugiés constituent un groupe spécifiquement défini et protégé par le droit international, car la situation dans leur pays d’origine rend impossible un retour chez eux. L’élément essentiel du statut des réfugiés et de l’asile est donc la protection contre le retour dans un pays où l’intéressé a des raisons de craindre la persécution. Cette protection s’exprime dans le principe du non-refoulement qui est largement accepté par les États. Il convient de souligner que ce principe s’applique, que l’intéressé ait ou non été officiellement reconnu comme réfugié. Le HCR est toujours prêt à coopérer avec l’État algérien, à relever les défis liés à la gestion de l’asile et de la migration, afin de renforcer les principes et la pratique de la protection internationale des réfugiés.

Entretien réalisé par : Hana Menasria