Lutter contre la surfacturation : La mission impossible du gouvernement

Le phénomène de surfacturation gangrène l’économie nationale

Litamine Khelifa, El Watan, 06 janvier 2021

Lutter contre le phénomène de la surfacturation en Algérie est, visiblement, une tâche ardue pour le gouvernement. Elle est rendue plus difficile, notamment, par la complexité de son processus et surtout le nombre des intervenants dans l’opération d’importation. Ce phénomène gangrène notre économie nationale et siphonne les réserves de change du pays.

Les grandes pertes qu’a subies l’Algérie sont de l’ordre de 20% à 30% du volume global des importations, ont estimé plusieurs responsables du pays. En effet, c’est le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, qui a affiché la volonté de l’Etat de s’attaquer à ce phénomène, en déclarant en mars 2020 que «nous pouvons nous protéger de la surfacturation en sanctionnant immédiatement les importateurs qui surfacturent».

Cette volonté se confirme de plus en plus avec les déclarations depuis deux semaines du ministre du Commerce, Kamel Rezig, qui a évoqué, entre autres, un projet de loi sur la pénalisation du délit de surfacturation, qui est en cours d’élaboration en collaboration avec le ministère de la Justice. Si M. Rezig n’a pas donné d’explications supplémentaires, il a tout de même insisté sur la nécessité de ce texte qui permettra à coup sûr de mettre un terme à la spéculation et la hausse injustifiée de la facture d’importations qui, en 2019, a atteint 41,93 milliards de dollars.

Toutefois, les autorités ont déjà mis une première barrière technique dans la loi de finances 2021, en introduisant dans son article 118 l’obligation d’utilisation «à terme» des opérations d’importation des produits destinés à la vente en l’état, et qui seront payables quarante-cinq (45) jours à compter de la date de l’expédition des marchandises.

Dans ses précédentes déclarations, le directeur général des Douanes, Noureddine Khaldi, a affirmé que ce dispositif assure un meilleur contrôle du transfert des capitaux vers l’étranger, en fixant un délai minimum pour le transfert effectif des montants dus aux fournisseurs, ce qui permet à l’administration des Douanes de s’assurer de la valeur déclarée avant le transfert bancaire du montant des factures en devise, a expliqué M. Khaldi. De ce fait, il a estimé que cette mesure «est une solution très efficace, vu qu’elle réduira considérablement la surfacturation».

Mais ce n’est pas l’avis du consultant en management, Mohamed Saïd Kahoul, qui ne voit aucun lien entre ce dispositif juridique et l’opération de surfacturation. Pour M. Kahoul, il existe deux types de surfacturation, l’une participe à l’évasion fiscale et de la monnaie forte (devise) et qui s’effectue entre un importateur et un exportateur, où ce dernier reverse le montant de la surfacturation dans un compte d’une entreprise boîte postale de l’importateur à l’étranger sous forme de «ristourne».

Faire appel à des cabinets privés pour le contrôle

Quant au second type, il concerne les organisations publiques et porte directement sur la corruption, dans laquelle ces organisations surfacturent à l’achat pour être rétribuées au retour pour avoir sélectionné le fournisseur.
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Pour le consultant en management, «bien que la réglementation internationale interdise fortement cette surfacturation, il demeure que c’est assez complexe de s’y attaquer et de vérifier toutes les opérations de commerce extérieur». Il a cité le service des Douanes qui ne peuvent pas faire la «mercuriale» des prix de tous les produits importés entre les différents types de biens de consommation et d’équipement.

Selon lui, il devient intéressant de faire appel à des cabinets spécialisés afin de détecter et enquêter à l’international sur certaines opérations douteuses de surfacturation, sachant que les pays étrangers ne vont pas coopérer facilement. Toutefois, il estime que pour lutter contre la surfacturation, il impératif de lancer une lutte globale contre le secteur informel et que l’Etat fasse un nettoyage dans les rangs des entités publiques.

Mohamed Saïd Kahoul explique qu’il y a de fortes chances que la baisse de la valeur du dinar contribue au recul de ce phénomène par l’élimination des écarts importants entre la valeur officielle du dinar et sa valeur au Square et les moyens de lutte entre les deux formes de surfacturation sont totalement différents.

Le pôle judiciaire n’est pas prêt

Pour sa part, l’expert financier Souhil Meddah a reconnu aussi la difficulté d’imposer un contrôle strict contre ce phénomène complexe. «Il faut capter les niches où il y a un doute de surfacturation et imposer un contrôle a priori et posteriori sur les importations qui proviennent des zones connues pour cette fraude, telles que la Chine et la Turquie» a-t-il souligné.

Il suggère dans ce sens de mettre en place une base de données contenant une nomenclature des prix des produits pour des durées déterminées. M Meddah n’a pas manqué de signaler «la faiblesse du pôle judiciaire qui n’est pas encore doté des moyens nécessaires pour lutter et enquêter sur ce genre d’opérations».

Cependant, selon un opérateur dans le commerce extérieur, la surfacturation est pratiquée surtout par les grands importateurs du secteur productif qui ont des franchises douanières, contrairement aux produits destinés à la revente en état qui ont des taux. L’objectif est de gagner des marges de change pour les revendre ou les investir dans l’informel localement ou bien carrément les garder à l’extérieur. Ainsi nous comprenons que les raisons de la surfacturation sont différentes et changent d’une entreprise à une autre, selon les intentions des opérateurs.

Poursuivant ses explications, un importateur qui a requis l’anonymat nous a expliqué que la «revente en l’état qui a des taux élevés de droits et taxes… n’est pas pas incitative à la surfacturation. Mais à la sous-facturation dont on oublie souvent de parler».

En effet, plusieurs acteurs du secteur de la revente en l’état minorent leur facture d’achat pour utiliser les masses d’argent en cash ramassées localement dans le secteur de l’informel. Ainsi, le marché de la surfacturation alimente le marché de la sous-facturation. «Ce n’est un secret pour personne», a-t-il ajouté.


La surfacturation avait gonflé les importations à 64 milliards de dollars

K. L, El Watan, 06 janvier 2021

Le ministre des Finances, Aymen Benabderrahmane, a estimé, lundi à Alger, «la valeur réelle» des besoins du marché national en importations à 28 milliards de dollars, contre 64 mds de dollars les années auparavant (2014), en raison de la surfacturation.
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En effet, malgré la lutte contre le phénomène, il demeure qu’il reste important sur le marché, a souligné encore le ministre qui a indiqué que le secteur poursuit la lutte contre le phénomène de surfacturation en vue réduire la valeur des importations, laquelle a été amené à 8 mds de dollars en 2020, sans que cela ait impacté la disponibilité des produits sur le marché national. Pour le ministre, cet indicateur a un lien direct avec «la maîtrise de la surfacturation» qui représentait, les années précédentes, entre 30 et 35% de la valeur de la facture des importations.