Louisa Hanoune, Mohamed Mediène, Bachir Tartag et Saïd Bouteflika acquittés par le tribunal militaire de Blida

Une page est tournée

Salima Tlemcani, El Watan, 3 janvier 2021

Acquittement pour Saïd Bouteflika, frère conseiller du Président déchu, les anciens patrons des services de renseignement, les généraux à la retraite Mohamed Mediène et Bachir Tartag, ainsi que Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs. La Cour d’appel militaire de Blida a annulé hier les charges retenues contre eux, à savoir «complot contre l’autorité de l’Etat et de l’armée», à l’issue de deux heures de débats. Si Mohamed Mediène et Louisa Hanoune retrouvent la liberté, ce n’est est pas le cas pour Saïd Bouteflika, qui sera transféré vers une prison civile, et Bachir Tartag qui restera dans sa cellule pour d’autres affaires de justice.

Prévisible, le procès en appel de Saïd Bouteflika, frère conseiller du Président déchu, des deux anciens patrons des services de renseignement à la retraite, le général de corps d’armée Mohamed Mediène, dit Toufik, et le général-major Bachir Tartag, ainsi que la secrétaire générale du PT (Parti des travailleurs) s’est ouvert hier matin devant la Cour d’appel militaire de Blida, après la cassation par la Cour suprême du verdict prononcé, il y a quelques mois, par la même juridiction (autrement composée). Autour du bâtiment, aucun dispositif de sécurité inhabituel, comme cela a été le cas durant les deux procès précédents, tandis que des journalistes ont été autorisés à assister à l’audience. 9h tapantes, deux accusés font leur apparition dans le box en uniforme marron et casquette, imposés aux détenus de la prison militaire, alors que Mohamed Mediène, visiblement affaibli, est en civil, tout comme Louisa Hanoune.

L’audience est ouverte et le président, civil, avec ses quatre assesseurs, des militaires de rangs de généraux et généraux-majors, se mettent en place. Il entame la lecture de l’arrêt de renvoi, qui évoque la réunion du 27 mars 2019 à Dar El Alia, au DRS (Département de renseignement et de sécurité), à laquelle ont pris part Saïd Bouteflika, Louisa Hanoune et Toufik Mediène, puis énonce les faits ayant suscité les poursuites pour «complot contre l’Etat pour changer le régime avec (des) moyens secrets». L’enquête présente Saïd Bouteflika, comme «n’ayant pas la qualité légale «pour prendre attache avec d’autres personnes et faire appel à Liamine Zeroual, pour prendre le pouvoir» et fait état d’une autre réunion tenue le 8 mars 2019, dans la maison de Farid Benhamdine, entre Khaled Nezzar et Saïd Bouteflika, poussant les autorités à ouvrir une enquête ayant débouché sur la présentation devant le parquet le 5 mai 2019 de Bachir Tartag, Saïd Bouteflika et Mohamed Mediène, le 9 mai, Louisa Hanoune et l’inculpation de Khaled Nezzar, Farid Benhamdine et Lotfi Nezzar. Tous les accusés ont nié les faits et le témoin, Tayeb Belaiz, alors président du Conseil constitutionnel, affirme que Saïd Bouteflika lui a fait part de l’intention du chef d’état-major de faire démettre le Président, et qu’il lui a répondu que cela n’était pas possible. «Le chef d’état-major de l’ANP n’a pas le droit d’interférer dans les affaires politiques».

L’arrêt de renvoi revient sur le communiqué ayant annoncé le limogeage du défunt Gaïd Salah, qui, pour tous les témoins, n’existe pas. Le 25 septembre 2019, le procès en appel confirme la peine de 15 ans de réclusion contre trois accusés, alors que les faits reprochés à Louisa Hanoune sont devenus délictuels, et la peine retenue contre elle, est revue à 3 ans de prison, dont 9 mois ferme. La Cour suprême a, quant à elle, cassé les décisions et renvoyé les parties devant la même juridiction autrement composée, en raison de la violation de l’article 179 du code de procédure pénale et l’article 167 du code militaire, amendé en juillet 2018.

«Le président pouvait démissionner et prendre avec lui son gouvernement, comme le réclamait la rue»

Mme Louisa Hanoune se met à la barre. Elle avait bénéficié d’une requalification des faits, passés de «complot contre l’autorité de l’Etat et de l’armée» à «non dénonciation de crime» à l’issue du procès en appel, mais ses avocats se sont pourvus auprès de la Cour suprême. Le juge l’interroge sur le PT. «Il a été créé en 1990 et son programme socialiste défend la démocratie économique, sociale et politique ainsi que toutes les libertés, et la souveraineté populaire…», dit-elle avant que le juge ne lui demande : «Comment en tant que parti de l’opposition vous assistez à une rencontre avec des représentants du pouvoir ?» Mme Hanoune : «Le PT est indépendant, mais il est jaloux de son pays et de sa souveraineté. Etre dans l’opposition ne veut pas dire ne pas avoir de relations avec l’Etat.

Ce n’est pas la première fois que je le fais. J’ai rencontré tous les Présidents, à l’exception de Houari Boumediène, mais aussi les plus hauts responsables de la sécurité, des institutions, ainsi que des ministres, parce que je suis une responsable politique et de surcroît députée. Je rencontrais Abdelaziz Bouteflika et quand il est tombé malade, son conseiller et frère, l’a remplacé. Je lui exprimais toutes mes préoccupations par rapport aux questions ayant trait au pays.» Le juge : «Est-ce Saïd Bouteflika qui a proposé cette rencontre secrète ?» Mme Hanoune : «Elle n’a jamais été secrète. Après les marches du 22 février 2019, j’avais une grande préoccupation.

Le pays était bloqué et les risques de dérapages étaient latents. J’avais très peur pour le pays. Il fallait, en tant que chef de parti politique, que je prenne mes responsabilités. Pour moi, le Président devait impérativement démissionner.» Le juge : «Pourquoi uniquement le PT ? N’y voyez-vous pas de complot ?» Mme Hanoune : «Quel complot ? C’était une rencontre d’échange de conseils. Je n’ai aucune relation organique avec l’armée, pour comploter contre son autorité. » Le juge : «Qu’est-ce qui vous a poussée à y aller ?» Mme Hanoune : «La situation de crise que traversait le pays et qui, malheureusement, se poursuit à ce jour. Lorsque des chaînes de TV annoncent qu’il y a eu un complot, à l’issue d’une réunion en présence d’officiers des renseignement français, pour moi, c’est une atteinte à l’Erat algérien, c’est cela le complot.» Le juge : «Est-ce que cette rencontre ou réunion pouvait avoir une incidence sur la situation ?» Mme Hanoune : «Possible. Le Président pouvait démissionner et prendre avec lui son gouvernement, comme l’exigeait la rue. Je voulais accélérer sa démission.»

«M’arrêter pour mes activités politiques était très grave»

Le juge demande à Mme Hanoune combien de fois s’est- elle réunie avec Saïd Bouteflika et elle répond : «Une seule fois, le 27 mars 2019. Je voudrais ajouter quelques mots, M. le président. Mon arrestation était le début d’un grand dérapage. Je suis une responsable politique. M’arrêter en tant que tel, pour mes activités politiques, était très grave. Depuis 2018, je prenais attache avec le conseiller afin d’éviter que le Président se représente et empêcher ainsi tout dérapage. Le parti lutte pour la souveraineté du pays. Le pays est aujourd’hui encerclé, sa défense est fragile. Je veux que la justice démontre que je n’ai fait qu’exercer mes activités politiques.»

Le magistrat donne la parole au procureur général, qui commence par revenir aux faits brièvement et les décisions du tribunal de première instance, puis d’appel, avant d’évoquer l’arrêt de la Cour suprême, puis surprend l’assistance en déclarant : «Je ne vais pas vous rappeler les preuves et les arguments, mais plutôt à examiner cette affaire sous l’angle de droit et sa bonne application et rien d’autre que le droit, en prenant en compte l’article 307 du code de procédure pénale.» Pour les avocats, c’est du «pain béni».

La défense du général Toufik plaide l’acquittement en rendant hommage au représentant du ministère public. Ainsi, Me Miloud Brahimi, qui représente Saïd Bouteflika et le général Toufik, lance : «Je n’y reviens pas.» Et d’annoncer : «Je joins ma parole à celle du procureur général. C’est un honneur pour la justice que d’avoir une position partagée entre la défense et le ministère public. Nous sommes en 2021. Nous n’avons pas besoin de ce genre d’affaires. Notre justice est devenue la risée des pays étrangers. Les accusés sont poursuivis pour ‘‘complot’’, sur la base des articles 284 du code militaire et ceux 77 et 87 du code pénal.

Or, les premiers ne concernent que les chefs de formation militaire ou d’aéronef, qui s’attaquent à un chef de bataillon ou de régiment. Où sont-ils ? Ils n’existent pas. Le texte est tellement précis, il évoque le chef d’un aéronef, d’un navire. Ce n’est pas sérieux. L’article 77 parle de l’auteur d’un attentat. Des gens qui s’entendent pour déposer une bombe devant le ministère de la Défense, une institution, etc. Sommes-nous devant un attentat ?

L’article 78 parle de gens qui réfléchissent à un complot, mais sans résultat et chacun des deux articles, 77 et 78, exclut l’autre, selon le texte. Je regrette que notre pays soit arrivé à ce niveau. Je vous demanderais, comme l’a exprimé le ministère public, d’appliquer la loi.» Avocat de Louisa Hanoune, Me Mokrane Aït Larbi déclare lui aussi que c’est la première fois «qu’on voit un procureur général, avec l’application de loi à travers ce qu’il y a dans le dossier. Qui sont les accusés ? Quelles sont les accusations ? Saïd Bouteflika, conseiller du président de la République, Mediène Toufik, responsable des services depuis 25 ans, durant lesquels il exerçait dans l’intérêt du pays et du jour au lendemain, il complote contre l’autorité de l’armée (…)Tartag a passé 45 ans dans les services de renseignement et du jour au lendemain, il complote contre l’armée. Louisa Hanoune est militante de gauche depuis 45 ans, avant même que les partis ne soient légalisés, et chef de parti, agréé en 1990.

C’est une femme politique. Son militantisme l’a empêchée de rester à la maison, loin de ce qui se passe dans son pays. Une rencontre d’une heure, et la justice la condamne à 15 ans de réclusion, puis à 3 ans de prison. Depuis quand des partis complotent contre l’autorité de l’Etat. Le président Bouteflika allait démissionner, et les trois qui se sont réunis, une seule fois, pour trouver une solution à la crise et ouvrir la voie à un Président pour une période limitée en attendant des élections. Cela ne s’est pas passé dans une caserne, mais dans une villa de la présidence. Où est le problème ? Le responsable a donné son accord. Louisa militait toute sa vile pour l’Algérie et son peuple. Elle est connue mondialement. 93 Etats ont demandé sa libération. Aujourd’hui, nous sommes dans une autre étape, et je demande l’acquittement de la prévenue.»

«Je veux parler, mais il me sort de l’écume»

Abondant dans le même sens, Me Lyes Hamoum, avocat de Mohamed Mediène, déclare que le «dossier est vide et 20 mois après, on revient et les accusés montrent que la rencontre s’est tenue dans une résidence de la Présidence et n’a donc rien de secret. Son objectif était de trouver une solution à la crise par l’échange d’avis. Nous souhaitons que ce dossier soit clos de manière définitive.» Pour Me Mourad Zeguir, avocat de Bachir Tartag, il n’y a pas eu de réunion mais «une une simple rencontre, à la villa Dar El Afia, qui dépend de la Présidence, à la demande de Saïd Bouteflika, conseiller et frère du Président encore en activité. Tartag n’a joué aucun rôle dans cette rencontre à laquelle il n’a pas assisté. Saïd Bouteflika lui a demandé de préparer les lieux. Il n’avait pas à rentrer dans les détails. Durant ses 45 ans de sa carrière sans tache, il se retrouve sous l’accusation de complot. Je demande l’application de la loi…». Agissant également pour le compte de Tartag, Me Bergheul estime que «le régime avait géré cette affaire durant une année. Elle revient, en 2021, une nouvelle année.

C’est une nouvelle ère. Nous espérons qu’elle soit celle de l’application de la loi et de la construction d’une nouvelle Algérie, pas seulement à travers cette affaire. Dans les prisons, il y a 25 ministres et 25 généraux et officiers supérieurs. Que s’est il passé ? Tartag ne voulait pas comparaître parce que les conditions pour un procès équitable n’étaient pas réunies. Rappelez-vous le jour même où ils ont été déférés devant le tribunal, leurs photos étaient publiées partout dans le monde (…) Tartag a dirigé les services sous Mediène et d’autres. Il n’a jamais comploté contre l’institution. Je veux parler mais il me sort de l’écume…»

Il reprend le contenu de l’arrêt de la Cour suprême, en disant que l’application de la loi que réclame le procureur général est venue de cette haute juridiction «qui dit au juge vous posez des questions subsidiaires, alors que vous n’avez même pas statué sur l’existence ou non du complot. Il n’y a pas de complot ni d’affaire. C’est un règlement de comptes. Aujourd’hui, vous devez appliquer la loi pour en finir avec l’injustice. Chacun des accusés est une mémoire de l’Algérie. La rue bouillonnait. Ils avaient peur. Ils se sont rencontrés dans la villa El Afia.

Ils ont ramené un acte trafiqué pour dire que cette demeure appartient à l’armée, alors qu’elle dépend de la Présidence». Mes Khaled Bourayou et Fatima Chenaif réclament eux aussi l’application de la loi. «Nous voulons cette application dans toutes les affaires. Les images montrant à l’opinion publique les accusés arrivant au tribunal militaire ont été atroces pour ces derniers. Je voudrais que la justice soit au service de la loi et non pas au service des personnes.» Pour Me Fatima Chenaif, «la justice ne demande jamais pardon, mais elle rectifie toujours ses erreurs. Depuis le début, nous n’avons cessé de dénoncer la violation de la loi. Notre présence ici est justement pour exiger une rectification.» La défense de Saïd Bouteflika n’y va pas avec le dos de la cuillère.

«On accuse sans preuves Saïd d’avoir pris le cachet de son frère et décidé à sa place»

Me Salim Hadjouti déclare : «Nous aurions aimé que la presse soit présente lors des précédents procès. Je constate que le procureur général demande l’application de l’essence même de la loi. Ce qui est important et nous réconforte. Ces gens ont de hautes responsabilités, qui constituaient l’Etat. Le complot n’est pas celui pour lequel ils sont là, mais celui qui les a mis dans cette situation. C’est à vous de remettre le dossier à sa véritable nature. Personne n’a pu ramener de preuves (…) Saïd Bouteflika vous a dit qu’il s’interrogeait toujours comment il a été embarqué dans cette affaire et qu’il n’a jamais comploté contre son peuple, son pays ou son armée.

Il n’avait pas peur des questions. Il est resté dans les généralités. Il vous a dit : ‘‘Je m’adresse à votre conscience’’ pour que vous soyez équitables envers lui. Des mots qui sortent du plus profond de lui-même du fait de cette injustice dont il est l’objet. Laissez l’opinion publique se faire son idée. Qu’elle sache que Saïd Bouteflika n’a jamais commis les faits qu’on lui reproche. On l’a accusé d’avoir pris les cachets de son frère, usurpé son pouvoir et décidé à sa place sans présenter de preuves. Tout a été inventé. Le peuple doit savoir ce qui s’est passé. Il n’intervenait jamais sans l’autorisation de son frère. Aujourd’hui, Saïd Bouteflika attend de vous que vous soyez équitable et que vous le réhabilitez.

Il n’y a rien dans le dossier, à part la rencontre avec ses amis. Un témoin arrive et fait des déclarations, et hop on l’accuse…» Le juge lui demande de rester dans les faits, et l’avocat réclame l’acquittement. Le président appelle un à un les accusés pour un dernier mot. Saïd Bouteflika : «Je redis la même chose, je suis innocent.» Mohamed Mediène : «Je n’ai rien à dire.» Bachir Tartag : «Je n’ai jamais digéré ces accusations. Il faut que tout le monde sache que le complot a commencé dans une caserne à partir du siège du commandement de la 4e Région militaire, lorsque le chef d’état-major de l’Anp a lancé son discours…».

Le juge : «Un seul mot.» Tartag : «Je veux notre réhabilitation.» Mme Hanoune : «J’ai subi en plus de la prison, la diffamation de ma carrière politique et mon parti. Aujourd’hui, j’espère que la cour sera équitable et qu’elle réhabilite l’activité politique. En tant que personne, je veux l’acquittement à travers l’annulation des faits.». L’audience est levée vers 11 heures.

Après une mise en délibéré de 40 minutes, l’audience reprend avec l’annulation des charges retenues contre les quatre accusés, leur acquittement et la restitution des objets confisqués. Il est midi, le procès se termine.


Le général de corps d’armée à la retraite Mohamed Mediène : «nous n’avons jamais parlé de l’état d’urgence ni du limogeage du chef d’état-major de l’ANP»

Salima Tlemcani, El Watan, 3 janvier 2021

Le juge appelle le général de corps d’armée à la retraite Mohamed Mediène, dit Toufik. Le dos courbé, la démarche très lente, il se met en face du président, puis déclare :«Comment pourrais-je être accusé de complot contre l’autorité de l’Etat, alors que la rencontre a eu lieu avec le frère et conseiller du Président encore en exercice ? Avec les événements que traversait le pays, Saïd Bouteflika a voulu nous voir pour pour nous demander notre avis sur la situation. Je me suis dit que c’est une occasion pour dire ce que je pense.»

Le juge : «Est-ce que la situation l’exigeait vraiment ?» Mediène : «Bien sûr, vous pouvez me dire de quoi vous mêlez-vous ? Mais à cette époque, tout le monde était appelé à intervenir pour trouver une solution à la crise…» Le président : «pourquoi une réunion secrète ?» L’accusé : «Elle n’était pas secrète. EIle devait se dérouler dans un endroit officiel. La villa appartient à la Présidence…».

Le magistrat : «Quel était le but ?» L’accusé : «Échanger les avis. Saïd Bouteflika incarnait le pouvoir. Il était le frère et le conseiller du Président encore en poste.» Le juge : «pourquoi avec lui ?» L’accusé : «pourquoi pas avec lui ? Il a voulu prendre l’avis d’autres personnes afin d’agir. C’est naturel. Dans de telles situations, on discute avec beaucoup de gens pour trouver la solution.»

Le juge : «Quel a été le résultat de cette rencontre ?» L’accusé : «On a parlé de beaucoup de choses. J’ai dit que le gouvernement doit changer et qu’il fallait trouver un nouveau premier ministre doté de larges prérogatives, qu’il soit crédible et accepté par le peuple…». Le juge : «Qui a fait appel à Liamine Zeroual, l’ancien Président ?»

L’accusé : «C’était mon idée. On a aussi parlé d’autres personnalités, mais c’est le nom de Liamine Zeroual qui a fait consensus.» Le juge : «Mais lui a refusé.» Mediène : «C’est secondaire. Ce n’est pas l’endroit pour dire s’il a refusé ou accepté. Pour moi, il n’avait pas refusé, mais il a fini par le faire…». Le magistrat : «pourquoi ?». L’accusé : «Je ne sais pas. Je ne l’ai pas revu. L’essentiel, c’est qu’il était la personnalité principale qui a été proposée.»

Le juge : «Et Louisa Hanoune, qui l’a invitée ?». Mediène : «C’est une femme politique connue. Elle a été invitée par Saïd Bouteflika. Quelle différence entre moi et Louisa ? Moi j’étais responsable d’un service de sécurité, et elle était à la tête d’un parti politique très connu.» Le juge : «Dans quel intérêt ? Est-ce celui du pays ?».

L’accusé : «Bien sûr. Ce qui est certain, c’est que cela n’a pas été fait dans le cadre d’un complot. On dit complot contre l’Etat et l’autorité militaire. Contre l’Etat ? Saïd Bouteflika, le frère conseiller du Président était présent. Contre l’armée ? Nous étions à Dar El Afia, une résidence qui appartient à l’armée. Moi-même j’ai dit à Saïd Bouteflika qu’il faut parler avec le chef d’état-major, Gaïd Salah. Pour moi, tout cela était normal.»

Le juge : «Ce n’était pas normal. Est-ce que Saïd Bouteflika était mandaté pour vous réunir ?» L’accusé : «pour moi, rien n’est anormal. Ce n’était pas la première fois qu’il agissait dans le cadre de l’Etat.» Le juge interroge Mediène sur le communiqué de la Présidence signé par Mohamed Boughazi, un des conseillers, annonçant le limogeage de Gaïd Salah, et il répond : «Je ne suis pas au courant.»

Le juge : «N’était-il pas question d’écarter Gaïd Salah et d’instaurer l’état d’urgence ?» L’accusé : «Nous n’avons jamais parlé de l’état d’urgence ni du limogeage du chef d’état-major de l’Anp. Ce qui m’a amené ici, ce sont des choses dont je ne pourrais parler aujourd’hui, un jour peut-être, mais pas ici.»


Le général-major à la retraite Bachir Tartag : «Le vrai complot c’est celui qui nous a ciblés»

Salima Tlemcani, El Watan, 3 janvier 2021

D’emblée, le général-major à la retraite, Bachir Tartag, se présente comme coordinateur des services de sécurité dépendant de la Présidence et le juge lui explique ce qui lui est reproché en tant que responsable de Dar El Afia de n’avoir rien dit.

Tartag précise : «D’abord, en ce qui concerne la villa Dar El Afia, cette demeure dépend de la Présidence.

Avant, elle dépendait du DRS (Département de renseignement et de sécurité). Lorsque ce département a été dissous, ses services ont été tous rattachés à la Présidence. Ils disent que je n’ai pas assisté à cette rencontre en raison de mon différend avec le général Toufik. Je n’avais aucun conflit avec ce dernier. Si j’avais envie d’y être, j’aurais été parmi les présents. Je n’arrive pas à avaler l’accusation de complot. La définition de cette accusation est très difficile. L’Algérie n’a connu qu’un seul complot. C’était en 1967…»

Le juge : «Nous n’avons pas encore terminé le procès…».

L’accusé : «Comment puis-je accepter qu’à la fin de ma carrière on m’accuse de complot ? Le traître, c’est celui qui en a décidé ainsi. Lorsque l’Algérie avait besoin de nous, on a donné tout ce qui était possible pour ne pas la laisser tomber durant les années 90’. Qui a parlé de complot ? Pensez-vous que le général Toufik puisse comploter ? Le vrai traître, c’est celui qui l’a dit…»

Le juge : «Défendez-vous, vous avez la parole.»

L’accusé : «Saïd Bouteflika en tant que conseiller du Président m’avait demandé de préparer la villa Dar El Afia, qui n’a jamais été une résidence secrète. Nos agents sont postés là-bas 24 heures sur 24 pour assurer la sécurité. Le conseiller devait rencontrer des gens, il fallait donc préparer les lieux. Saïd Bouteflika peut voir qui il veut. La garde a préparé la maison pour y recevoir Louisa Hanoune et le général Toufik, où est le problème ?».

Le juge : «pourquoi avez-vous refusé de venir à l’audience des deux précédents procès ?»

Tartag : «Lorsque j’ai vu les chefs d’accusation, j’ai compris qu’il y avait un complot contre nous. Pourquoi suis-je venu ? Parce que les conditions ne sont plus les mêmes. Elles sont meilleures.»


Saïd Bouteflika : «je n’ai jamais comploté contre mon pays»

Salima Tlemcani, El Watan, 3 janvier 2021

Très amaigri, mais très vif, Saïd Bouteflika répond au magistrat qui lui demande ce qu’il avait comme fonction à la Présidence. «Avant de vous donner la réponse, je dois dire quelques mots en une ou deux minutes. Bismi Allah Errahmane errahim (au nom de Dieu le Miséricordieux)», dit-il avant que le juge ne l’interrompe : «Poussez-vous à droite.» L’accusé refuse mais le magistrat insiste en lui expliquant que c’est pour mieux le voir.

Saïd Bouteflika s’exécute et poursuit sa déclaration : «Je suis là pour des accusations très graves. Dieu m’en est témoin. Je suis innocent de tous les faits qui me sont reprochés. Je n’ai jamais comploté contre mon pays, mon peuple ou mon armée.» Le magistrat l’interrompe une seconde fois : «Vous anticipez sur le débat…»

L’accusé réplique : «Donnez-moi deux minutes seulement. Je n’ai jamais comploté contre mon pays, mon peuple ou mon armée. Je ne veux pas revenir sur les détails et les faits, que je laisse à l’histoire. Il n’y a qu’un seul responsable, qui est le président de la République, le moudjahid Abdelaziz Bouteflika, qui a consacré sa vie à son pays et à son peuple.» Le président lui coupe la parole. «Laissez cela pour après. Ce n’est pas le moment…» Me Hadjouti, l’avocat de Saïd Bouteflika, réagit : «Permettez-lui de s’exprimer. Il veut dire des choses…»

Le juge fait signe à l’accusé de prendre la parole. Il revient à la carrière de son frère Abdelaziz Bouteflika qui, dit-il, «a donné sa jeunesse à la libération du pays, et sa vie pour ce dernier. Il n’a jamais trahi son peuple et n’a jamais été de ceux qui prônent la vengeance, la haine et la revanche».

Le président lui rappelle qu’il vient d’épuiser les minutes demandées, mais l’accusé continue : «Je n’ai pas encore terminé. Aujourd’hui, lui et les membres de sa famille se retrouvent qualifiés de ‘‘issaba’’ (bande). Il se retrouve assigné à résidence, emprisonné, injustement et illégalement pour cette affaire et d’autres, préfabriquées et imaginaires. Mon frère n’a jamais parlé.

Il s’est résigné au silence. Je vous prie de m’épargner les questions, pour ne pas blesser avec mes réponses. Jugez avec votre conscience. Si vous décidez, soyez justes et équitables. Je me retrouve avec une lourde accusation de complot, d’avoir usurpé les fonctions de mon frère, utilisé son cachet et pris des décisions à sa place. Abdelaziz Bouteflika est toujours vivant. Si son avis avait été pris à cette époque, j’aurais accepté la décision de la justice. Le juge doit être équitable. Merci et je m’en remets à Dieu.»

Le juge : «Pourquoi refusez-vous de répondre aux questions ?» L’accusé : «Pour ne pas blesser. Si vous voulez que je parle, je le fais.» Le juge : «Vous ne reconnaissez pas les faits ?» L’accusé : «Je les rejette tous. Je suis innocent. Je n’ai pas peur des questions, mais je ne veux pas blesser.».