Les atouts mal exploités du «Soft Power» en Algérie

Laid Zaghlami, El Watan, 21 décembre 2020

Tout le monde s’accorde à admettre que l’Algérie dispose d’un atout que certains s’enorgueillirent maladroitement de qualifier de capital : son arsenal militaire qui est certes un atout entrant la catégorie du «Hard Power» alors qu’ouvertement, il fait l’objet de critiques de la part des «pays frères et amis». Les autres pays reprochent à notre pays d’adopter une course effrénée pour l’armement et l’on évoque abusivement «l’équilibre de la terreur» ou «terreur de l’équilibre» heureusement sans la dissuasion nucléaire, comme c’était le cas entre les Etats-Unis et l’ex-URSS au temps fort de la guerre froide.

Alors qu’au niveau international les chiffres publiés par l’institut suédois SIPRI précisent qu’en 2019, la vente des 25 plus grandes entreprises ont augmenté de 8,5%, dont les cinq principales sociétés d’armement étaient toutes basées aux USA : Lockheed Martin, Boeing, Northrop Grumman, Raytheon et General Dynamics. Avec un pactole de 166 milliards de dollars de ventes d’armes par an, elles sont présentes dans un total de 49 pays, à travers des filiales et centres de recherche. Quant aux sociétés européennes, Thales et Airbus, elles opèrent dans 24 pays, suivies de près par Boeing (21 pays) et Lockheed Martin (19 pays). Le Royaume-Uni, l’Australie, les Etats-Unis, le Canada et l’Allemagne accueillent le plus grand nombre de ces entités étrangères. Cependant, en dehors des pôles de l’industrie de l’armement d’Amérique du Nord et d’Europe occidentale, le plus grand nombre d’entités de sociétés étrangères sont implantées en Australie (38), l’Arabie Saoudite (24), l’Inde (13), Singapour (11), les Emirats arabes unis (11) et Brésil (10).

«Revolution in the military affairs» en Algérie

Notre pays, qui ne dispose d’aucune représentation de ces entités étrangères, s’efforce de développer sa propre industrie militaire pour un éventuel positionnement sur le marché international. Certes, le prix à maintenir cette industrie est important, en plus de l’acquisition d’équipements et matériels militaires. Mais eu égard aux menaces internes et externes qui nous guettent, notre paix, sécurité et stabilité n’ont pas de prix. Il est évident que notre armée est dans cette obligation compte tenu de ses engagements régionaux, de sa position géostratégique, aussi pour ne pas «brader» les questions de principe d’indépendance mais surtout comme on dit «fièrement» pour «ne pas courber l’échine». Elle s’inspire de la théorie de «Revolution in the military affairs», qui consiste à introduire les récentes technologies de l’information et la communication dans sa stratégie ; en s’équipant d’une série de missiles de différent types et usages, un lot d’avions de combat de 5e génération et des «drones» L’ultime objectif est de maîtriser le terrain opérationnel avec une présence humaine limitée.

Grande-Bretagne et Suède augmentent leur budget de défense

Ceci étant dit, ceux qui critiquent notre démarche feignent d’oublier que les Britanniques viennent de consacrer 8,7 milliards de dollars pour leur défense ; une première depuis l’ère de la Dame de fer Margaret Thatcher. Une autre surprise de taille vient de la Suède, connue pour sa neutralité légendaire, son ministre de la Défense a promis la plus grande expansion militaire du pays depuis 70 ans. Le budget soumis à approbation devrait augmenter de 3,1 milliards de dollars entre 2021 et 2025, soit une augmentation de 40%, ce qui portera les dépenses à environ 1,5% du PIB ; le niveau le plus élevé depuis 17 ans. La raison de cette augmentation n’est pas difficile à discerner, la persistance des tensions dans la région Baltique se justifie aux yeux des Suédois.

Soft Power ou l’art de Persuasion et Dissuasion

Ainsi, se doter d’un arsenal militaire conséquent est une «très bonne chose», mais l’exhiber est souvent contre-productif, voire appréhensif. Inutile de citer des exemples, c’est pourquoi il est préférable de rester modeste et discret. En revanche, pour contourner et «contenir» toute provocation, beaucoup de pays adoptent la stratégie du Soft power ou littéralement appelée «puissance douce ou molle». Ce concept associé aux travaux du politologue de Harvard University, Joseph Nye, est défini comme «la capacité d’attirer les gens à nos côtés sans coercition». Les principaux aspects du soft power comme une force attractive sont la diplomatie, les médias, la liberté de presse et d’opinion, la culture, les idées et les valeurs. Le concept de Nye, qui se concentre principalement sur les Etats-Unis, a été adopté ou adapté par des pays du monde entier.
Advertisements

Chaque pays adopte sa propre grille de valeurs et atouts pour appliquer sa stratégie de soft power. A titre d’exemple, les Etats-unis ont lancé, dans les années 80, «American dream» or «American way of life» comme un slogan attractif et persuasif dans leur campagne de conviction. Aujourd’hui, les Chinois répliquent par «China Dream» «ChinaTown», «Les centres culturels Confucius» et «Belt and Road Initiative» en sont une preuve que Pékin se prépare à prendre sa revanche sur l’histoire. La Russie aussi, depuis l’avènement de Vladimir Putin, a réussi à se positionner comme une force et une puissance militaire incontournables. Les exemples sont légion dans cette catégorie à travers le monde.

Les Atouts de l’Algérie en Soft Power

Pour l’Algérie, le concept Soft Power a été utilisé lors des négociations sur la crise au Mali, où le pays a joué le rôle de facilitateur et net exportateur de paix et de sécurité dans le monde, selon l’expression du diplomate Ramtane Lamamra. En premier lieu, ce sont son histoire, sa révolution, sa géographie, ses richesses humaines, naturelles et spatiales et sa position géostratégique. En plus de ces éléments-clés, l’Algérie recèle d’autres atouts : la diplomatie, les arts et la culture, le sport et particulièrement le football, le tourisme, les médias, le pluralisme, etc. Malheureusement, une bonne partie de ces éléments a été tout simplement étouffée et broyée dans une démarche populiste et paternaliste. Force est de constater que l’image de l’Algérie dans les médias est bien terne malgré toutes les capacités.

Elle est en «stand-by position» et parfois dans une position «défensive» dans l’attente d’une nouvelle dynamique lui permettant de se libérer de sa léthargie. Faut-il rappeler, par le passé, l’implication stratégique de l’Algérie dans la bataille des idées et des valeurs pour un monde juste et équitable. En outre, elle avait excellé dans les domaines de la formation des compétences, l’octroi de bourses, les programmes d’échanges éducatifs, l’aide humanitaire et d’urgence au Niger, Mali, Mauritanie, Sahara occidental, le Tchad. Ce sont les quelques actions qui ont une portée régionale auprès des concernés.

Zoom Diplomacy

Aujourd’hui, les choses sont au «point mort» malgré les atouts liés par exemple au football comme un élément du Soft Power populaire, le potentiel culturel et touristique. Le travail culturel et la promotion du tourisme sont encore à la traîne ; notre culture et l’Algérie en tant que destination touristique largement négligées. La culture n’est pas considérée comme un atout important du Soft Power et les productions de films et de pièces de théâtre se comptent sur le bout des doigts.

Comme alternative, le public algérien se rabat sur les produits culturels étrangers, notamment turcs. Aussi, la scène médiatique est certes pluraliste, mais elle est loin d’être plurielle dans son contenu, ses analyses et son impact. Les cas de «défaillance» sont nombreux, nos décideurs doivent se rendre à l’évidence qu’en matière de Soft Power ou de «diplomatie molle», nous accusons un retard non négligeable. Malgré un discours «flatteur», le pays marque une présence «limitée» au niveau des espaces virtuels et de la «zoom diplomacy». Cette dernière, en ces temps de crise, doit être perçue comme un outil indispensable pour un nouveau redéploiement politique et diplomatique au niveau national, régional et international. A défaut, nous continuerons à adopter une approche bureaucratique, statique et populiste.

Par le Dr Laid Zaghlami , Professeur à l’université d’Alger