Marie-Ange Colsa. Présidente et fondatrice du Centre international pour l’identification des migrants disparus (CIPIMD) à Malaga : «Aider les familles à faire face à l’incertitude»
Chahredine Berriah, El Watan, 14 décembre 2020
Créé en 2017, le Centre international pour l’identification des migrants disparus (CIPIMD) est une ONG basée à Malaga, ne recevant aucune subvention de l’Etat. Il a des délégués et collaborateurs sur tout le territoire ibérique, y compris les îles et les principaux pays d’Afrique. Marie-Ange Colsa, la présidente et fondatrice, nous parle de sa mission humanitaire et de la «route algérienne».
– Vous avez cette tâche ardue d’identifier les migrants disparus ; quelles sont les difficultés que vous rencontrez au quotidien ?
Nous sommes tous des volontaires et les services que nous offrons aux familles est totalement gratuit. Par ailleurs, nous ne recevons pas de subventions de l’Etat, ce qui nous laisse une grande marge de manœuvre.
Ceci dit, l’un des objectifs du CIPIMD est d’aider les familles à faire face à l’incertitude, car ce qu’elles veulent savoir est si leurs proches ont survécu à la traversée de la Méditerranée ou non.
Nos autorités ont l’excuse parfaite pour entraver nos recherches. Pour surmonter ce problème, avec l’aide de nombreux collaborateurs, nous arrivons, dans la plupart des cas, à donner une réponse aux familles.
Il faut savoir que l’une des informations fondamentales pour la recherche est de connaître au mieux la date, l’heure et le lieu de départ de l’embarcation, ainsi que le nombre de personnes à bord. Cela nous permet de regrouper les données avec les arrivées sur les côtes espagnoles.
Si, malheureusement, la barque a chaviré ou s’il y a des décédés sur le territoire espagnol, nous aidons les familles à les identifier et réalisons les démarches nécessaires pour l’inhumation dans le pays d’origine. Là encore, nous comptons sur l’inestimable collaboration de certains fonctionnaires espagnols.
– Ces derniers temps, vous accordez un grand intérêt à ce que vous appelez «la route algérienne» ; est-ce si important, dramatique j’allais dire, le cas des harraga algériens ?
Nous avons vu comment le nombre d’Algériens arrivés en Espagne a littéralement augmenté si nous comparons les chiffres avec l’année dernière. Dans mon pays, vu la situation des Iles Canaries, avec l’entrée extrêmement importante de migrants et où le gouvernement n’a pas su affronter les circonstances qui en découlent, «la route algérienne» passe à un second plan.
Cependant, au cours du mois de novembre qui vient à peine de s’achever, nous avons recensé 85 jeunes Algériens portés disparus ou qui ont perdu la vie en essayant d’arriver en Espagne.
Il me semble que le chiffre est assez significatif pour que l’on y prête attention. En ce sens, le CIPIMD travaille actuellement sur un rapport concernant exclusivement cette route.
– Quelle est votre appréciation de l’accord signé entre les gouvernements algérien et espagnol concernant l’expulsion de votre pays des sans-papiers algériens ?
La migration existe depuis la nuit des temps. Personne n’est en mesure d’arrêter quelqu’un qui souhaite quitter son pays, qu’elles qu’en soient les raisons (politiques, économiques, climatiques, etc.). Hélas, mon pays est le gendarme de l’Europe.
Nous savons que dans l’immense majorité des cas, ces personnes traversent l’Espagne pour atteindre la France, la Belgique ou un autre pays.
Qui sommes-nous pour entraver cette démarche ? C’est déjà difficile de prendre ce type de décision où vous laissez tout derrière vous pour un avenir que vous souhaitez plus prometteur.
L’Algérie accepte aujourd’hui ses compatriotes (harraga) parce que probablement l’Europe passe à la caisse et donc ses plages seront fermées jusqu’à ce que de nouveaux intérêts en jeu ne fassent jour. Je suis certaine que les gardes-côtes algériens seront nettement plus efficaces maintenant.
Il me vient toujours à l’esprit ce que m’a raconté un jour une maman : «Mon fils n’a pas d’avenir en Algérie ; il veut aller en France. S’il échoue, il préférerait mille fois être mangé par des poissons que revenir au pays.» Tout est dit !