Révélations sur l’argent des caisses d’assurances siphonné par Khalifa Bank
Abdelmadjid Azzi charge Sidi-Saïd
Liberté, 13 décembre 2020
D’après Abdelmadjid Azzi, la négligence de l’ancien SG de l’UGTA a fait perdre également à la Cnas 10 milliards de dinars.
L’ancien secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs retraités (FNTR), Abdelmadjid Azzi, vient d’apporter de nouvelles révélations sur le scandale financier provoqué par El-Khalifa Bank dans notre pays dès l’année 2002. Lors de son passage hier à notre rédaction, M. Azzi a raconté, en tant que témoin de ce fâcheux événement, les effets préjudiciables de cette “arnaque du siècle” sur les entreprises et institutions publiques, notamment les caisses d’assurances sociales qui ont déposé leurs fonds dans cette banque privée.
Ce sont en fait des déclarations et des témoignages contenus dans son dernier livre intitulé Mémoire d’un syndicaliste. Dans cet ouvrage, Abdelmadjid Azzi a retracé de manière chronologique les événements phare et dominants qu’il a vécus en tant que cadre dirigeant et responsable syndical de 1978 à 2007. Témoin du plus grand scandale financier de l’Algérie, engendré par la banque El-Khalifa, Abdelmadjid Azzi a consacré tout un chapitre sur ses conséquences désastreuses sur les plans économique, financier et moral. Pour s’attirer le maximum de clients, la banque proposait des taux d’intérêts attractifs, d’environ 13%, soit le double de ce qui était pratiqué sur la place à cette époque. Ce qui a poussé d’innombrables citoyens, des opérateurs économiques privés, ainsi que des institutions et entreprises publiques à placer leur argent dans cet établissement.
Même les caisses sociales ne voulaient pas rater cette aubaine pour faire fructifier leurs ressources financières. La Caisse nationale de la sécurité sociale (Cnas), la Caisse nationale des retraités (CNR), la Caisse d’assurance chômage (Cnac), la Caisse des non-salariés (Casnos) ont effectué la même démarche. Ces structures ont, par la suite, fait les frais de cette escroquerie à grande échelle.
À cause de cette grosse arnaque, la Cnas a perdu, écrit M. Azzi, 10 milliards de dinars, la CNR 12 milliards de dinars, la Cnac 3,1 milliards de dinars et la Casnos 2,4 milliards de dinars.
L’ex-SG de la FNTR a apporté son témoignage lié à la “décision de placement des 12 milliards de dinars et les raisons pour lesquelles, seuls les deux tiers de cette somme, c’est-à-dire 8 milliards de dinars, ont été récupérés”. Cette enveloppe a pu être recouvrée, souligne Abdelmadjid Azzi, grâce à l’alerte donnée par le Dr Saïd Sadi, l’ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Celui-ci a reçu M. Azzi dans son bureau et lui a demandé si les caisses de la Sécurité sociale ont placé leurs fonds à Khalifa Bank. N’ayant pas de réponse à fournir sur place au dirrigeant du RCD, il a aussitôt pris contact avec le SG de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), en l’occurrence Abdelmadjid Sidi-Saïd, à qui il a transmis le message concernant l’imminence d’une banqueroute de la banque privée.
L’ancien patron de la Centrale syndicale n’a pas cru à cette alerte et n’a pas pris au sérieux son collègue. “Nullement démonté, il accueille le message avec désinvolture en laissant entendre qu’il s’agit de ragots colportés dans le but de nuire au prestige de Khalifa”, témoigne Abdelmadjid Azzi dans son livre. Déçu par la réaction de Sidi-Saïd et les “propos inamicaux” qu’il a employés “à l’égard d’une personnalité politique de premier plan telle que le Dr Sadi”, Abdelmadjid Azzi a décidé alors d’agir de son côté pour tenter de sauvegarder l’argent de ses frères, les retraités. Il a demandé au président du conseil d’administration (CA) de la CNR, Abdelali Meziani, de réunir en urgence le bureau du CA.
Au cours de cette réunion, la question a été posée à l’agent financier, Slimane Kerrar, pour savoir si des fonds de la caisse ont été déposés à Khalifa Bank. “Celui-ci nous apprend qu’il a en effet effectué un placement de 12 milliards de dinars avec un taux d’intérêt de 12% et dont l’échéance arrive à terme à la fin décembre 2002”, précise l’auteur. M. Azzi a fini par convaincre les membres du CA de l’inéluctable faillite de la banque privée, voire de tout le groupe Khalifa. Ils ont, de ce fait, jugé utile d’opter pour le retrait immédiat de tous les fonds placés dans les caisses des agences Khalifa. Or, l’agent en question a invoqué la difficulté sur le plan technique pour récupérer, en une seule fois, la totalité des 12 milliards de dinars. D’où la décision de les retirer par tranches de 4 milliards de dinars. La première en octobre 2002 et les deux autres dans les deux mois qui suivaient avec des intérêts qui avoisinaient les 8 millions de dinars.
Dès la fin du mois de novembre, raconte M. Azzi, l’on annonçait le blocage des transferts de capitaux du groupe Khalifa vers l’étranger par la Banque d’Algérie. Cette information se voulait en fait une annonce du début de la fin de ce qui était considéré comme étant le “premier empire privé d’Algérie”. L’ex-SG de la FNTR n’a pas caché sa grande satisfaction pour avoir réussi à recouvrer, à temps, l’argent des retraités grâce à l’alerte donnée par Saïd Sadi. Or, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il a appris de l’agent financier que la dernière tranche des 4 milliards de dinars n’a pas été retirée. Il n’a pas éprouvé la nécessité de le faire car, selon lui, il était rassuré qu’il n’y avait pas de menaces visibles de banqueroute d’El-Khalifa Bank. Par sa faute, explique M. Azzi, la CNR a perdu 4 milliards de dinars et 8 millions de dinars d’intérêts. “Nous avons su par la suite que le prix de cette forfaiture a revêtu la forme d’un versement cash d’un million de dinars et d’un véhicule neuf. Et lors du procès de 2007, le tribunal a prononcé une peine de 4 ans de prison ferme et la saisie de ces cadeaux”, affirme l’auteur du livre.
La négligence de l’ancien SG de l’UGTA a fait perdre également à la Cnas 10 milliards de dinars. Malheureusement, déplorera M. Azzi, et contre toute attente, c’est en fin de compte le DG et l’agent financier de cette caisse qui ont été condamnés alors qu’ils n’ont fait qu’appliquer une résolution pour le placement de tout ce montant signée le 12 février 2002 par M. Sidi-Saïd en tant que président du CA de la Cnas sans que la réunion du conseil se tienne ou que ses membres soient informés…
B. K.