Entre autoritarisme et dénégation: qui bloque les médias en ligne en Algérie ?
Elhadi Benhamla, Twala, 9 décembre 2020
Il arrive que le ministère de la Communication fasse des déclarations ou donne des clarifications concernant le blocage d’un site, en dépit du fait que sa tutelle se limite aux médias gouvernementaux, et que même ces derniers, selon la loi, sont soumis à des autorités de contrôle indépendantes.
Il arrive que des sites d’information soient bloqués en Algérie d’un simple clic anonyme, laissant derrière eux des points d’interrogation sur les raisons et les parties responsables du blocage. Le procédé rappelle toujours et en grande partie l’adage arabe «pour que votre sang soit partagé entre les tribus».
Le doigt d’accusation est pointé vers trois parties, c’est à dire » le technique, le politique et le sécuritaire ». Il s’agit là de trois ministères réunis pour prendre le contrôle et imposer leur logique afin de « bloquer » un site d’informations sans suivre les étapes légales qui précèdent la prise de cette mesure, mettant fin à la consultation du site en Algérie.
La liberté de pratiquer le journalisme se délite ainsi dans le pays, par le simple vouloir d’un fonctionnaire d’un département ministériel qui n’a pas apprécié un article ou que celui-ci lui a causé des désagréments qui ne peuvent être classés dans le cadre de la faute professionnelle justifiant une interdiction.
Algérie Télécom : « Nous ne bloquons que par une décision de justice«
Entre l’absence d’un cadre juridique et sous l’anarchie observée dans le secteur de la communication et l’improvisation dans la prise de décision, l’on retrouve en première ligne l’entreprise Algérie Télécom affiliée au ministère des Postes et Télécommunications. Cet organisme est le seul fournisseur d’internet fixe dans le pays. Il fournit aussi la bande passante internationale aux opérateurs mobiles. Il monopolise ainsi le marché et détermine ce qui y est permis et ce qui y est interdit.
Algérie Télécom qui avait auparavant été pointée du doigt après le blocage de sites d’information, a nié en bloc, soulignant que cela ne relevait pas de ses responsabilités qui se limitent au cadre « technique », ce qui met l’affaire hors de la portée de ses prérogatives.
Algérie Télécom a d’ailleurs précisé, dans un communiqué publié le 11 mai 2019, immédiatement après la censure d’un site d’information, que le blocage ne peut avoir lieu que par une procédure «judiciaire». Il est important d’insister ici sur la notion de «procédure judiciaire».
Le communiqué a également soutenu qu’Algérie Télécom n’avait pris aucune mesure restrictive, qu’elle n’avait bloqué aucun contenu, « et que toutes les informations diffusées à cet égard sont incorrectes. » Elle a également accusé certains sites Web de se bloquer eux-mêmes dans le but de susciter l’empathie d’une part, et, d’autre part, d’augmenter le nombre de visites.
Il arrive que, dans certains cas, le ministère de la Communication fasse des déclarations ou donne des clarifications concernant le blocage d’un site, en dépit du fait que sa tutelle se limite aux médias gouvernementaux, et que même ces derniers, selon la loi, sont soumis à des autorités de contrôle indépendantes.
Belhimer s’incline au nom de la solidarité gouvernementale
Dans les rares déclarations faites à ce sujet, le ministre de la Communication, Ammar Belhimer, porte-parole officiel du gouvernement a, dans un entretien accordé à un journal saoudien, lié l’interdiction et le blocage des sites d’information à la question du financement étranger des médias.
Il a affirmé que l’ouverture de ce dossier est une «affaire présidentielle». « Ce dossier sera ouvert, avec force et sans exception, car nous la considérons – dit le ministre – comme une forme d’ingérence étrangère et de collusion interne, et il n’y a pas d’État souverain qui permette ou accepte cela. »
Le ministre de la Communication, porte-parole officiel du gouvernement, a déclaré que le financement étranger de la presse nationale, dans ses différents médias, est «strictement interdit, quelle que soit sa nature ou sa source», et donc son capital social doit être «purement national» avec la preuve de la provenance des fonds investis.
Cette interdiction se fonde – selon lui – sur la loi sur l’information, qui stipule clairement et précisément dans son article 29 que «le soutien matériel direct et indirect émis par toute partie étrangère est interdit», ainsi que sur la loi relative à l’activité audiovisuelle
Mais le ministre ne dit pas tout dans sa déclaration, car il existe des sites qui ne bénéficient d’aucun financement étranger, fournissant un contenu journalistique de qualité professionnelle, qui sont soumis à l’interdiction et au blocage. L’on en déduit que le ministre de la Communication «lève le bâton» contre tous ceux qui critiquent les ministres par solidarité, en faisant appel aux articles 144 et 146 du Code pénal.
A travers de nombreuses mesures dissuasives, le ministre de la Communication s’est attribué les tâches du gardien du temple, mettant en œuvre des mesures strictes qui mettent de nombreux journalistes devant une autocensure imposée par crainte de harcèlement et de poursuites judiciaires.
La troisième voie de blocage consiste en une décision des services sécuritaires, qui reste la plus opaque du fait du grand secret qui entoure la condamnation à mort des sites internet. Des décisions qui mettent l’organe technique «Algérie Télécom» et l’interface de l’autorité politique représentée par «ministère de la Communication» dans un grand embarras, elles ne trouvent pas à y répondre, se contentant de garder le silence.
Art. 144 bis.
(Loi n° 01-09 du 26 Juin 2001) Est punie d’un emprisonnement de trois (3) mois à douze (12) mois et d’une amende de 50.000 DA à 250.000 DA ou de l’une de ces deux peines seulement, toute personne qui offense le Président de la République par une expression outrageante, injurieuse ou diffamatoire, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration, ou de tout autre support de la parole ou de l’image, ou que ce soit par tout autre support électronique, informatique ou informationnel.
Les poursuites pénales sont engagées d’office par le ministère public.
En cas de récidive, les peines d’emprisonnement et d’amende prévues au présent article sont portées au double.
L’article 146 du code pénal incrimine la diffamation envers « le Parlement ou l’une de ses deux chambres, les juridictions, l’Armée nationale populaire, tout corps constitué ou toute autre institution publique». Le même texte incrimine dans les mêmes termes l’outrage et l’injure.