Les nouveaux enjeux des puissances en Afrique : quelle place pour l’Algérie ?
Ahcène Amarouche, El Watan, 06 décembre 2020
Dans son dernier ouvrage qui sonne comme un testament politique, Zbigniew Brzezinski qualifiait à juste titre «l’Amérique» (les Etats-Unis) de première puissance globale de l’histoire. Ses arguments référaient à la position dominante acquise par ce pays «grâce aux applications militaires des innovations scientifiques les plus avancées» (p. 49).
Plaçant l’Eurasie au centre des conflits futurs, il s’inquiétait de la perte d’influence probable de l’Amérique sous l’effet de l’alliance éventuelle des «deux principaux acteurs» (entendre la Russie et la Chine), auxquels il ajoutait plus loin l’Inde qui «a acquis un statut de puissance régionale et se conduit virtuellement comme un acteur mondial de premier ordre» (p. 74).
Sans doute l’Eurasie continuera-t-elle de représenter pour longtemps le centre du monde et suscitera-t-elle encore les mêmes convoitises de l’Amérique pour ses ressources et les mêmes calculs politiques pour la sauvegarde de l’hégémonie planétaire qu’elle a acquise depuis la fin de la guerre froide. A la faveur de l’effondrement du bloc socialiste, elle a disséminé de très nombreuses bases militaires dans les pays d’Asie centrale qui ont rejoint le club des puissances vassales pour contrer la Russie et l’Iran, pays décidément réfractaires à la pax americana.
Mais les événements de la dernière décennie ont en partie déplacé les enjeux vers l’Afrique… après bien sûr le pourtour de la Méditerranée, berceau des civilisations anciennes dont dérivent les trois religions monothéistes aujourd’hui en compétition dans les sphères publiques et privées pour ajouter aux déterminations géopolitiques et géostratégiques de la situation des déterminations idéologiques.
Alors que la Méditerranée, qui a été au centre des rivalités religieuses entre les puissances à travers l’histoire, est de nos jours un lieu de confrontation ouverte ou latente entre les pays riverains soudainement entrés en compétition dans l’exploration offshore de pétrole et de gaz conduisant à des guerres régionales impliquant les grandes puissances, le continent africain a été jusque-là laissé par ces dernières à la mainmise des anciennes puissances coloniales (principalement la France et le Royaume-Uni).
Mais la mainmise n’est pas que d’ordre économique : le poids de l’héritage culturel français et britannique est tel de nos jours que s’ajoute aux clivages ethniques, aggravés par des frontières artificielles entre les nations nouvellement indépendantes, un clivage intellectuel entre les pays anglophones et les pays francophones ou au sein même de l’un des pays de ces deux groupes comme au Cameroun où pareils clivages conduisent à des tensions qui débouchent épisodiquement sur des conflits armés
Le poids du passé colonial
Si la politique africaine du Royaume-Uni reposait depuis le milieu des années 1960 sur l’idée d’un retrait progressif et d’un engagement minimum vis-à-vis de ses anciennes colonies, le pays a continué à leur attribuer aide et assistance technique en situation de faiblesse de l’investissement privé britannique dans ces contrées nouvellement indépendantes où l’instabilité politique le disputait aux tensions interethniques et socioéconomiques. Des considérations de politique intérieure, conjuguées à l’affaiblissement de sa puissance, ont amené le Royaume-Uni à se contenter du format plutôt lâche du Commonwealth dans ses relations avec les pays africains anciennement colonisés.
Cette politique de distanciation «bienveillante» comme la qualifie Micheel Lee le pénalise fortement de nos jours où il ne représente plus qu’une puissance de second rang dans le monde derrière l’Allemagne, le Japon et la France principalement.
Il n’en va pas de même de la France qui a non seulement gardé une très forte présence culturelle dans les pays de sa sphère d’influence (y compris les anciennes colonies belges où le français était d’usage), mais y a développé dès leur indépendance des formes de sujétion économique si prégnantes qu’il est bien difficile aux pays qui y sont soumis de s’y soustraire.
L’Afrique subsaharienne et l’influence française
Cette sujétion transparaît nettement dans les relations monétaires entre l’ancienne métropole et les pays de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale : liés à l’ancienne puissance coloniale par des accords à la base de leur monnaie commune – le franc CFA indexé au franc français, puis à l’euro – ils peinent à sortir des accords sus-mentionnés tant en raison de la faiblesse de leurs économies qu’en raison des obstacles élevés par la France devant leurs timides initiatives. Leur projet de changement de la monnaie (du franc CFA à l’Eco dans le cas des pays de l’Afrique de l’Ouest) reste pour l’heure un vœu pieux en dépit des dispositions nouvellement affichées par le président français relativement à cette question dont la Côte d’Ivoire semble être un cheval de bataille. Mais même si pareille monnaie voyait le jour, rien ne garantit qu’elle ne doive conserver le lien existant avec la monnaie européenne tant les pays concernés sont structurellement dépendants de leur commerce de matières premières avec la France et l’UE.
Comme l’écrit à ce sujet Ahmed Bambara dans le quotidien burkinabé Aujourd’hui au Faso, «la parité de l’Eco reste garantie par la France qui demeure l’assureur tout risque de ces ex pré-carrés», ce qui donne à la réforme monétaire envisagée un caractère nominal se traduisant par un simple changement de nom de la monnaie africaine. Jusque-là présentés comme promouvant un mécanisme de solidarité unique au monde, ces accords prévoyaient que, en contrepartie de la garantie offerte par le Trésor français, les pays membres de la BCEAO et de la BEAC (respectivement Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest et Banque centrale des Etats de l’Afrique Centrale) ont l’obligation de déposer 50% de leurs réserves de change (65% avant 2005 et 2009 respectivement) auprès de la Banque de France ; laquelle est en outre représentée dans les instances dirigeantes des deux banques africaines où elle a évidemment un poids surdimensionné.
Aussi, nombreux sont les analystes africains, à l’exemple de l’auteur précité, qui n’ont de cesse de dénoncer la mainmise de la France sur les finances publiques des pays de la zone CFA même après le passage à l’Eco où les obligations de dépôt des réserves de change auprès du Trésor français seront en principe abrogées.
Cependant, la dépendance monétaire de ces pays n’est pour ainsi dire que la face émergée de l’iceberg : leur dépendance économique s’étend à tous les domaines d’activité, de l’agriculture à la gestion des ports en passant par l’exploration et l’exploitation des gisements d’hydrocarbures et de diverses matières minérales métalliques et non métalliques. Tandis que le commerce intra-zone qui justifierait de l’existence d’une monnaie unique est faible, les avantages que pouvaient tirer les pays pris individuellement ou en groupe le sont aussi au regard de ses inconvénients si l’on en croit l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.
Mais la France, tout comme le Royaume-Uni, est à présent en perte de vitesse devant les autres grandes puissances qui y prennent pied par le biais d’investissements directs (qu’elle n’était pas en mesure de réaliser en dehors des secteurs où elle a des intérêts vitaux comme l’exploitation de l’uranium au Niger et du pétrole au Gabon) ou par le biais de garanties diverses.
Le Maghreb et le jeu trouble des puissances
Les pays du Maghreb, qui ont tout pour former un continuum sociopolitique, ont tout fait pour s’y soustraire. Anciennes colonies ou protectorat d’une même puissance européenne si l’on excepte la Libye (et le Sahara occidental qui est passé d’une colonisation à une autre), ils partagent le même socle ethnoculturel sur une aire géographique étendue et assez homogène, que renforce le même héritage colonial pour lui conférer une double culture – moderne et traditionnelle. Mais leurs rivalités ont eu raison de leur histoire commune. Incapables de mettre en œuvre une politique de développement coordonnée sur la base de leurs propres ressources, ils entretiennent depuis leurs indépendances respectives une tension commode qui opère comme un exutoire aux problèmes internes qu’ils n’arrivent pourtant pas à contenir.
Formellement plus indépendants de l’ancienne métropole que les pays d’Afrique subsaharienne puisqu’ayant chacun une monnaie censée les préserver des problèmes posés à ces derniers par l’indexations du CFA au franc (maintenant à l’euro), des compagnies nationales spécialisées dans l’exploration et l’exploitation des principales ressources (hydrocarbures et gaz pour l’Algérie et la Libye, phosphates pour la Tunisie et le Maroc, fer pour la Mauritanie), ils n’ont pourtant pas réussi à mettre en place des projets de développement internes structurants (ni, a fortiori, des projets communs), à même d’offrir du travail et des revenus à des populations jeunes qui n’aspirent qu’à sortir de leur marginalisation économique, de leur stigmatisation sociale et de leur exclusion politique.
Il n’est donc pas étonnant que, de frustration en frustration, celles-ci ont fini par s’en prendre à la légitimité même des Etats qui, dans le contexte géostratégique tourmenté aux antipodes duquel ces derniers se trouvent insérés, nourrissent de surcroît des tensions interétatiques qui les affaiblissent matériellement et moralement. Entretenant des armées nombreuses hyper-équipées mais néanmoins bien trop faibles pour faire face à d’éventuelles armées coalisées comme ce fut le cas en Libye, les pays du Maghreb font le jeu des puissances qui les fournissent en matériels militaires pour d’hypothétiques conflits intra-maghrébins qui les maintiendrait pour longtemps en marge des pays émergents.
Des cinq pays du Maghreb, les rivalités les plus aiguës se manifestent entre le Maroc et l’Algérie. Ce sont eux aussi qui possèdent les armées et les matériel militaires les plus redoutables, accumulés dans un esprit de confrontation que ne retient que la sagesse des populations, éreintées par leur similaire condition. Ainsi, et tandis que les budgets militaires des deux pays explosent à la faveur des interminables provocations réciproques, des émeutes émaillent régulièrement des régions en proie à la misère, au déni identitaire, aux tracasseries policières et à de bien d’autres nuisances.
Les nouveaux acteurs en présence
Si les gisements d’hydrocarbures ne représentent plus qu’un des nombreux enjeux pour deux des trois superpuissances puissances (Etats-Unis et Russie) en raison de l’importance de leurs propres réserves (notamment depuis qu’est offerte à la première citée la possibilité d’extraire et de valoriser les ressources offshore puis le pétrole et le gaz de schiste), les gisements de minéraux métalliques et non métalliques à usages industriels multiples changent radicalement la donne pour tous les pays développés en rendant l’Afrique plus attractive que l’Eurasie, soumise de longue date à une tension sur les ressources du fait de leur exploitation soutenue. Or, le sous-sol africain recèle une grande quantité de ces minéraux.
Sans parler de l’Afrique du Sud, pays développé qui produit chrome, manganèse, platine, vanadium et autres minéraux rares, les anciennes colonies anglaises, françaises, belges, espagnoles et portugaises d’Afrique sont fortement pourvues en divers autres minéraux suscitant des convoitises à peine voilées. On peut citer :
– la République Démocratique du Congo (RDC) qui est le plus grand producteur mondial de coltan (producteur également de cobalt, de diamants et de cuivre) ;
– le Mozambique, principal producteur d’aluminium du continent ;
– le Zimbabwe, pourvu du deuxième plus grand gisement de platine au monde ;
– et, en vrac, la Guinée pour la bauxite, le Niger pour l’uranium, le Gabon pour le titane, et le Mali pour l’or.
Coltan, cobalt, titane et uranium sont les matériaux nobles des industries de l’électronique, de l’aéronautique et du nucléaire tandis que la bauxite entre dans la fabrication de ciments de diverses caractéristiques et des briques réfractaires utilisées dans le revêtement externe des engins spatiaux.
Certains des pays sus-mentionnés sont aussi des producteurs effectifs ou potentiels de terres rares dont les usages récents varient de la pierre à briquet à l’énergie nucléaire en passant par les batteries pour les smartphones et les voitures électriques, le polissage du verre et tous autres usages à caractère civil ou militaire comme les nouvelles technologies de guidage des missiles. C’est ce qui explique la ruée vers ces nouveaux matériaux et l’élévation conséquente au rang de zone géostratégique de la région subsaharienne où activent désormais les grandes puissances sous divers prétextes (lutte contre le terrorisme pour les Etats-Unis avec l’Africom et pour la France avec les opérations Serval et Barkhane, aide au développement pour la Chine avec de lourds investissements en infrastructures économiques, rétablissement de la stabilité des Etats pour la Russie avec la vente d’équipements militaires de grande efficacité, etc.) Parallèlement, Etats-Unis, Chine, Japon, Russie, France et Royaume-Uni rivalisent d’initiatives pour des sommets avec les gouvernants des pays africains ou des rencontres bilatérales durant lesquels se nouent des relations d’affaires à l’ombre des témoignages d’amitié et des promesses d’aide.
Ainsi du dernier sommet en date – l’UK Africa Investment Summit – du 21 janvier 2020 qui «a jeté les bases d’un nouveau partenariat entre le Royaume-Uni et les Etats africains, reposant sur le commerce, l’investissement, le partage des valeurs et l’intérêt mutuel» (déclaration finale), dont il était attendu que des contrats commerciaux soient signés pour un montant de 6 milliards de livres. Sans doute l’Afrique est-elle désormais appelée à connaître de plus vives tensions internes que par le passé en raison de la persistance des problèmes démographiques, ethniques, économiques et des problèmes politiques qui émergent en plus grand nombre.
Ces tensions n’épuiseront sans doute pas la panoplie des moyens internes de les contrer mais elles ont déjà donné lieu à des interventions étrangères. Cependant, de telles interventions ont aussi permis à certaines des grandes puissances de s’assurer une place en Afrique et d’asseoir leur hégémonie, quitte à se livrer des guerres sanglantes par milices et autres factions autochtones interposées.
Il en était déjà ainsi des pays du Proche-Orient comme l’Irak et la Syrie et maintenant des pays d’Afrique comme la Libye qui connaît depuis 2015 un regain de tension entre les grandes puissances et les puissances subalternes telles que l’Egypte et la Turquie. En l’absence de capacités endogènes de développement qui offriraient à leurs populations des perspectives de sortie du marasme ambiant, les autorités de ces pays n’ont eu d’autres choix que de se réfugier derrière les puissances étrangères pour se préserver des risques de chute brutale comme cela est récemment arrivé au Mali. Ces dernières trouveront toujours, quoique sur le fil du rasoir, un terrain d’entente implicite pour faire de l’Afrique le nouvel eldorado pour leurs activités extractives tout en en faisant aussi le terrain de jeu de leurs rivalités politico-idéologiques.
Néanmoins, et quoiqu’on puisse imputer aux velléités d’instauration d’un nouvel ordre mondial par les puissances occidentales qui s’érigent en puissances tutélaires, la déstabilisation de pays comme la Libye, la Syrie et d’autres sous le prétexte commode mais effectif d’atteintes aux droits de l’homme, les problèmes internes entraînant de profonds mécontentements populaires sont toujours à l’origine des conflits qui ont dégénéré en guerre civile dans ces pays. Répressions féroces de manifestations pacifiques, interdictions de partis légalement constitués de l’opposition, emprisonnements de leurs militants ou de simples citoyens en quête de droits, sans parler des manipulations systématiques des résultats des élections prétendument pluralistes sont monnaie courante et finissent par soulever une exaspération telle des populations qu’une intervention extérieure paraît justifiée aux yeux des puissances tutélaires qui alimentent en sous-main de telles tensions.
Dans le mouvement général qui s’est dessiné sous leur aile depuis 2010, un certain nombre de pays qui ont essayé de résister et/ou de perturber les plans préétablis de réorganisation de la carte géopolitique du monde, ont subi de graves dommages allant jusqu’à hypothéquer leur existence en tant que nations : Afghanistan, Irak, Soudan, Libye, Syrie, Mali, etc. en ont fait les frais tandis que l’Algérie semble pour l’heure épargnée.
L’Algérie dans l’œil du cyclone
Pays le plus vaste d’Afrique depuis que le Soudan a été scindé en deux, l’Algérie est pourvue de la plupart des ressources susmentionnées en des quantités variables mais exploitables. Outre le pétrole, très recherché pour sa faible teneur en soufre facilitant le raffinage et dont les réserves sont évaluées à près de 10 milliards de barils, le pays recèle entre 2700 et 4500 milliards de m3 de gaz naturel selon les sources (non compris les gaz de schiste). Des gisements importants, faiblement exploités ou inexploités, de divers minerais et minéraux tels que le fer, la baryte, le manganèse, etc. sans parler du quartz, du tungstène, de l’uranium, du silicium, de l’or et des minéraux entrant dans le groupe dit des terres rares sont mis au jour ou susceptibles de l’être après exploration.
Néanmoins, l’Algérie présente un bien plus grand atout que ses ressources pour les grandes puissances en raison de sa position géographique comme plaque tournante éventuelle de leur stratégie en Afrique du Nord et en Méditerranée d’une part, en Afrique subsaharienne, d’autre part. En situation d’instabilité croissante des pays de la région, pareille position géostratégique suscite bien des convoitises. Allié implicite mais jusqu’ici sûr de la Russie (auparavant de l’URSS) auprès de laquelle il s’approvisionne depuis l’indépendance en matériels militaires à fort contenu technologique, le pays n’en possède pas moins des faiblesses chroniques qui le rendent vulnérable et économiquement dépendant des pays de l’Union européenne (UE) et des Etats-Unis, adversaires traditionnels de la Russie et maintenant de la Chine.
Comme on a pu le constater avec l’accord d’association Algérie-UE devenu un énorme fardeau pour le pays, ces derniers ne manquent pas d’exploiter ses carences criantes aux fins non seulement de s’assurer une mainmise durable sur ses ressources et sur son marché, mais aussi de contrer la Russie et – nouvel arrivant dans le paysage – la puissante Chine qui y investit à tout-va. Par-delà le marasme économique dans lequel il se débat depuis 1986, à la suite de la crise pétrolière de cette année-là qui a brusquement fondu ses ressources en devises, l’Algérie de 2020 connaît une situation précaire tant au plan financier (du fait de la dilapidation des deniers publics et des réserves de change du pays par des hommes d’affaires, nés par génération spontanée, alliés à des responsables politiques prévaricateurs) que sécuritaire (du fait des guerres régionales ou des menaces terroristes à ses frontières) en sus d’un système inique de répartition des richesses qui exaspère les franges les plus vulnérables de la population.
Cependant, partie en raison de la puissance de feu de son armée, partie en raison de ses liens historiques avec la Russie et la Chine, l’Algérie échappe encore à une déstabilisation externe entrant dans le cadre du nouvel ordre mondial en voie d’instauration. Mais les puissances tutélaires sont aux aguets tandis que, sur le plan interne et malgré la chute brutale du régime des oligarques, le pays peine à sortir du système des privilèges et de la pensée unique que les frères Bouteflika ont mis en place en vingt ans. Sans doute sous la pression des puissances tutélaires, ne voilà-t-il pas que le projet de Constitution qui vient d’être soumis à référendum tente une sortie de la doctrine jusque-là gravée dans la pierre de la non-ingérence dans les affaires des autres pays ?
L’ambiguïté de cette nouvelle doctrine est le reflet inversé de la situation socioéconomique du pays : justifiée en apparence par le crédit dont jouit l’Algérie auprès des organisations internationales qui la sollicitent dans le règlement des conflits extérieurs, elle traduit en réalité une faiblesse caractéristique des fondamentaux socioéconomiques qui maintiennent le pays en situation de dépendance vis-à-vis des puissances tutélaires – lesquelles tentent par tous les moyens de lui sous-traiter les conflits à ses frontières.
Aussi est-ce avec une grande inquiétude que de nombreux citoyens, partis d’opposition et autres organisations de la société civile voient la nouvelle orientation de la politique étrangère du pays. En dépit des bonnes intentions affichées par le président Tebboune depuis son accession au pouvoir, les mêmes maux que ceux qui rongeaient le pays sous les Bouteflika sévissent, tandis que s’aggravent les atteintes aux droits des personnes et des institutions privées comme les partis et les associations à développer librement leurs activités.
Les tensions qui persistent dans le corps social ne sont-elles pas de nature à donner des idées aux puissances tutélaires si leurs intérêts sont en jeu ? D’intérêts, il n’y a pas que l’exploitation des ressources mais l’occupation de positions de force face à de nouveaux prétendants à l’hégémonie comme la Turquie en Libye et en Syrie le laisse supposer.
Conclusion
L’Algérie vit un nouvel épisode d’instabilité politique en dépit du forcing des nouvelles autorités pour asseoir le pouvoir sur une légitimité constitutionnelle. L’ennui est que ni sur le plan économique, ni sur le plan social, ni sur le plan sécuritaire la situation ne prête à l’optimisme. Tandis que, entrée en récession depuis 2014, l’économie part en déshérence, le pays peine à sortir de la crise multidimensionnelle qui se résout en mal-être général où se profilent de nouvelles tensions sociales en guise de perspective.
A l’inverse des pays émergents qui se positionnent en exportateurs nets de biens, de services et de technologies de pointe sur le marché mondial où joue à plein la compétitivité des entreprises, l’Algérie continue de se positionner en importateur net de ces marchandises dont elle peine à couvrir de ses propres produits la demande domestique. Il en résulte une double faiblesse dans ses relations internationales : incapable de faire valoir ses intérêts en des accords équilibrés, elle se trouve aujourd’hui en perte d’initiative sur le plan diplomatique où se joue parfois le sort des peuples voisins comme c’est le cas en Libye et au Mali.
La position géostratégique de l’Algérie aurait pu constituer un atout dans ses relations internationales si le pays avait su gérer au mieux ses ressources dans la perspective de sortie de la dépendance au pétrole ; de se doter d’une bonne gouvernance à tous les niveaux de responsabilité et d’instaurer un système de promotion par le mérite à tous les postes d’emploi et aux fonctions administratives. Tel n’est malheureusement pas le cas. C’est une erreur politique de croire que le changement de Constitution apportera des solutions à tous les problèmes en cause.
Par Ahcène Amarouche
Secrétaire général du PLJ