Affaire Saipem : Le parquet milanais déboute Sonatrach
par Yazid Alilat, Le Quotidien d’Oran, 26 janvier 2016
Nouveau rebondissement dans l’affaire de corruption qui a éclaboussé le groupe Sonatrach via des contrats gaziers avec le groupe pétrolier italien ENI, via sa filiale SAIPEM. L’affaire tourne autour de 198 millions d’euros de commissions octroyées par Saipem à des intermédiaires algériens pour l’obtention de contrats gaziers d’une valeur de 8 milliards d’euros en Algérie. Enrôlée au parquet de Milan, l’affaire a déjà fait tomber des têtes à SAIPEM et ENI. A la reprise du procès, hier lundi à Milan, le tribunal a fait sensation en refusant au groupe Sonatrach de se constituer partie civile dans ce dossier. Et donc de demander des dommages et intérêts et, surtout, d’être disculpée en tant qu’entreprise dans cette affaire. Les juges milanais ont estimé, dans leurs arguments pour débouter Sonatrach, que sa demande n’a pas été présentée à temps, et que le groupe algérien n’a pas fourni les documents pouvant lui permettre de se constituer partie civile dans cette affaire de corruption. Une association algérienne a également demandé à se constituer partie civile dans la même affaire et a été à son tour déboutée. Le procès concerne des cadres de Saipem et des Algériens. Il s’agit, pour la partie italienne, de l’ancien président Pietro Tal, l’ancien directeur des opérations Pietro Varone, et Alessandro Bernini, accusé de complicité de corruption à l’échelle internationale et de déclaration de revenus frauduleux, Farid Bedjaoui, l’intermédiaire qui a négocié avec Saipem et supposé représentant de l’ex-ministre de l’Energie Chakib Khelil, et Samir Ourayed, dont le procès est programmé le 27 février prochain, selon l’arrêt de renvoi du parquet de Milan qui enquête sur cette affaire depuis trois ans. Il avait ordonné le 11 novembre dernier la saisie de biens immobiliers et d’un compte bancaire de l’ancien directeur de la division Ingénierie et Constructions de Saipem, Pietro Varone, actuellement en détention. Le parquet de Milan a également demandé la saisie de 250 millions d’euros d’actifs et de biens appartenant à Varone, ainsi qu’aux autres protagonistes de cette affaire, les intermédiaires algériens, Farid Bedjaoui et Samy Ourayed, qu’on présente comme proches de Chakib Khelil. L’ordre de saisie a été prononcé par le tribunal de Milan dans la gestion de ce procès dans lequel sont également poursuivis de hauts responsables d’Eni et de Saipem, y compris leurs filiales en Algérie. A Milan, l’avocat de Pietro Varone, Me Barbara Belloni, a confirmé que la saisie des biens de son mandant avait déjà été effectuée. Par ailleurs, le tribunal de Milan a également demandé contre Farid Bedjaoui, l’ex-dirigeant de la société ’écran » Pearl Partener, basée à Hong Kong, et soupçonné d’avoir joué les intermédiaires entre des dirigeants de Saipem et des dirigeants du secteur pétrolier algérien, la saisie de huit propriétés à New York, dont sept à Manhattan et une dans la 5ème Avenue, près du célèbre Times Square. Le parquet milanais a en outre requis la saisie dans les comptes bancaires en Suisse et en Asie de Bedjaoui d’une somme d’un peu plus de 37 millions de dollars, ainsi que 9 comptes au Luxembourg. Un mandat d’arrêt international a été lancé par Interpol contre Farid Bedjaoui, personnage central dans cette affaire. Selon la justice italienne, Saipem a payé des pots-de-vin versés à Farid Bedjaoui de 198 millions d’euros pour des contrats d’une valeur de 8 milliards d’euros avec Sonatrach pour l’exploitation de gisements pétroliers dans la région d’El Merk. La direction de Saipem a récusé cette accusation, estimant qu’ «il n’y a aucune raison pour que l’entreprise soit tenue responsable». D’autre part, l’ordonnance de saisie délivrée par le juge du parquet de Milan couvre la valeur des pots-de-vin de plus de 197 millions d’euros versés par Saipem entre 2007 et 2009, plus 50 millions d’euros d’impôts non payés sur cette somme, selon l’arrêt de la cour. Cette affaire est menée par le tribunal de Milan contre Eni et sa filiale Saipem, inculpées en vertu de la loi 231 de 2001, qui prévoit «la responsabilité administrative des entreprises pour des crimes commis par les administrateurs».
C’est en janvier 2015 seulement que les procureurs de Milan avaient clôturé l’enquête sur Scaroni et sept autres gestionnaires dans le groupe pétrolier Eni et sa filiale Saipem. En plus des délits de pots-de-vin et corruption, la justice italienne enquête sur des déclarations frauduleuses de revenus (évasion fiscale) par le moyen de fausses factures et d’un système de comptabilité parallèle. Le parquet milanais mène ses investigations autour d’un vaste «réseau international de corruption» impliquant de nombreux hauts dirigeants de l’entreprise pétrolière italienne et l’entourage de l’ex-ministre de l’Energie algérien, Chakib Khelil.
Saipem-Sonatrach : Ouverture du procès à Milan
El Watan, 26 janvier 2016
Durant la première audience de ce qui s’annonce comme un procès difficile, les juges milanais ont rejeté la demande de Sonatrach
de se constituer partie civile. L’association Le Mouvement des Algériens dans le monde a également été déboutée.
L’ouverture du procès qui voit jugés sept prévenus pour corruption internationale et fausses déclarations au fisc a été marquée, comme prévu, par l’analyse de questions préliminaires. Durant quatre heures, les juges milanais ont examiné les demandes des parties en cause, avant de se réunir en chambre du conseil pour délibérer.
Rappelons que quatre anciens dirigeants de Saipem et trois Algériens, soupçonnés d’avoir joué le rôle d’intermédiaires pour le versement de pots-de-vin à des responsables algériens, sont poursuivis dans cette affaire qui a défrayé la chronique aussi bien en Italie qu’en Algérie. Un pactole de 198 millions de dollars aurait atterri dans les comptes de responsables algériens contre l’octroi à la société italienne Saipem de marchés pour le montant de 8 milliards d’euros dans le domaine de l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures.
Pietro Varoni, qui était le directeur des opérations de Saipem, Alessandro Bernini, ancien directeur financier d’ENI d’abord et ensuite de Saipem, Pietro Tali, ancien président et administrateur délégué de Saipem, mais également Farid Nourredine Bedjaoui, homme de confiance de l’ancien ministre de l’Energie Chakib Khelil, Samir Oureid et Omar Harbour, deux intermédiaires du neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui. Les trois hommes sont en fuite et un mandat d’arrêt international a été lancé contre eux.
Tous les accusés étaient représentés, hier, par deux avocats chacun. Le défenseur de Omar Harbour a soulevé un vice de forme quant à l’absence, selon lui, de notification à son client et a demandé que ce dernier soit séparé du reste des accusés, pour «rectifier» la procédure.
Le président du collège des juges, Marco Tremolada, a accueilli l’objection de la partie adverse qui a soulevé le fait que la demande de constitution de partie civile présentée par l’avocat du groupe énergétique algérien, maître Giacomo Gualtieri, du studio légal milanais Bana, porte la signature du seul PDG du groupe énergétique algérien, alors qu’en Italie ce genre de requête doit émaner du conseil d’administration après la tenue d’une assemblée générale qui l’adopte.
Ce à quoi l’avocat Gualtieri a rétorqué que les statuts de Sonatrach le permettaient. La défense a alors exigé de voir la copie portant traduction en italien de l’intégralité de ce document. Face à l’absence de cette pièce, les juges ont donné raison, pour l’instant, aux avocats de Saipem.
La prochaine audience qui marquera le début effectif des débats a été fixée au 29 février prochain, ce qui représente un délai très court pour la justice italienne connue pour ses longs procès.
Cela dénote de la volonté des juges de la quatrième section pénale du tribunal de Milan de parvenir, rapidement, à un verdict dans cette affaire. La demande de l’un des imputés, Tullio Orsi, ancien président de Saipem-Algérie, le seul qui a été arrêté et emprisonné depuis le début de cette affaire, de trouver un «arrangement» avec la justice — ses avocats ont proposé la peine de deux ans et 10 mois de prison et la confiscation de la somme de 1,3 million de francs suisses — ne manquera pas de renforcer la position accusatoire du parquet.
Nacéra Benali