Contrats de pré-emploi: un labyrinthe d’attente

Djaffar Kheloufi, Twala, 5 novembre 2020

Plusieurs dizaines de milliers de commentaires sur des pages Facebook : que ce soit sur la page officielle de la Présidence de la République, sur les anciennes publications de l’actuel ministre du Travail El Hachemi Djaâboub, sur les tendances de Twitter et même sur les pages consacrées au football. Des demandes d’insertion professionnelle et des plaintes des différents types de formules de pré-emploi fleurissent partout. Sur les réseaux sociaux, les polémiques passent, mais ces problèmes là et leurs commentaires demeurent.

« 12 ans de travail dans différentes formules en pré-emploi, de maigres salaires, des promesses qui n’en finissent pas au fil des espoirs et des déceptions, et voilà que je perds tout ». C’est avec une beaucoup de chagrin que Fatima, originaire de Batna, nous raconte sa longue mésaventure avec les contrats de pré-emploi.

« J’ai obtenu une licence en droit en 2004, dit-elle, et après deux ans d’attente, j’ai commencé à travailler dans le cadre de contrats de pré-emploi, à la Direction de la sécurité sociale dans le cadre de la gratuité des soins. Il s’agit d’un bureau spécial pour la gestion des dossiers des personnes socialement défavorisées », explique Fatima.

Elle touchait 7 000 DA en guise de salaire mensuel, pour un travail consistant en la prise en charge des nécessiteux, leur prêtant main forte pour le financement de leurs soins hospitaliers et leur fournissant des cartes spécifiques. Elle se chargerait également de l’organisation des rencontres cycliques avec les établissements afin de coordonner avec les différentes parties. C’était avant le lancement des formules de l’Anem (Agence nationale de l’emploi) que nous connaissons aujourd’hui, dit Fatima.

« J’étais très compétente dans ce domaine. Dynamique, j’envoyais des statistiques des bénéficiaires tous les mois. Et je n’hésitais pas à me déplacer entre les communes pour poursuivre le travail. Le directeur m’avait d’ailleurs promis de me confirmer à ce poste, d’autant plus qu’il a été honoré par la wilaya de Batna après le travail assidu que nous avons accompli ».

Quant au faible salaire, notre interlocutrice souligne: « D’abord, nous ne le recevions pas chaque mois, mais plutôt tous les deux ou trois mois. Mais cela m’importait peu, j’étais satisfaite de mon travail et convaincue que ma confirmation n’était qu’une question de temps. Plus d’une fois, j’ai été privée de mes vacances et de participer à des concours. »

Et Fatima de poursuivre: «Les promesses des responsables étaient verbales, et j’étais une jeune femme qui croyait à tout. De 2006 à 2008, j’ai travaillé avec un salaire mensuel de 7 000 dinars, et à l’expiration de mon contrat, au lieu de me confirmer à ce poste, ils m’ont proposé un contrat sous une autre forme (contrats d’emploi des jeunes) avec 3.000 dinars de salaire, une formule destinée aux personnes n’ayant pas un niveau universitaire. J’ai alors cessé de travailler, goûtant aux contrariétés du chômage pendant un an ».

Après plus d’une année, durant laquelle Fatima a perdu son frère, tué dans une opération terroriste : «Les services du contrat de pré-emploi m’ont appelé pour me dire que j’avais le droit d’obtenir un nouveau contrat, alors j’ai stipulé que je ne voulais pas reprendre mon ancien emploi. Et vous savez quoi ? Les responsables de l’organisation des contrats de pré-emploi travaillaient eux-mêmes avec ce même contrat».

Les années «Onou»

Et Fatima de poursuivre son histoire: «En 2012, J’ai rejoint l’Office national des œuvres universitaires (Onou). Dans un même bureau, nous étions six personnes à travailler sous des contrats de pré-emploi. Nous ne faisions presque rien, même si des postes étaient vacants. Une année passe ainsi, le président Abdelaziz Bouteflika promettant, durant sa campagne électorale, le prolongement d’une année encore pour les bénéficiaires de ce système. Alors les contrats ont été renouvelés pour une autre année.

Ainsi décrit Fatima les tâches qui lui sont assignées dans ce nouvel emploi: «Nous travaillions à la rentrée universitaire, distribuions les certificats scolaires, surveillions les examens, et à la fin de l’année nous délivrions des certificats de réussite. L’administration ne nous a jamais rien promis. J’ai été fatiguée de ce travail qui ne rimait à rien et j’ai tout arrêté après trois ans durant lesquels je touchais 9000 DA par mois, me retrouvant de nouveau au chômage ».

Mais Fatima n’est pas au bout de ses peines : «Après un an de chômage, je suis retournée travailler en juillet 2015 via le portail d’insertion professionnelle de l’Anem, et mon bonheur était grand à l’époque ».

Les raisons de son enthousiasme ? « Ce programme devait être bien meilleur. Avec un salaire de 15 000 dinars et un contrat d’un an renouvelable. Le domaine de travail était nouveau pour moi, il s’agissait d’une entreprise publique (la Société algérienne d’assurance, SAA) ».

Mais Fatima se confronte vite à la réalité du terrain : « La période de mon travail là-bas a coïncidé avec le départ à la retraite de nombreux employés, laissant ainsi des postes vacants. Les promesses et les joies anticipées ont commencé à poindre, pour moi et pour cinq de mes collègues. Le nombre de départs atteignait les vingt dans des postes dans la direction régionale dans laquelle je travaillais, alors j’ai pensé que même s’ils accordaient des postes par favoritisme, il y aurait bien une place restante pour moi. C’est que j’ai travaillé 05 ans, et après la publication du décret exécutif [1], j’ai enfin cru que même sans favoritisme, je trouverai du travail ».

Les espoirs de Fatima se sont évanouis face à l’obstination du directeur : « En juillet dernier, alors que je devais renouveler mon contrat, le directeur y a opposé un refus, malgré le soutien et l’insistance de mon supérieur direct. Cela m’a grandement choquée. Il m’a licencié et a embauché de nouvelles personnes, jurant qu’il ne me confirmera pas à mon poste. »

Après le choc, Fatima entame quelques démarches: «J’ai introduit une plainte auprès de la wilaya (le Comité d’appel de la wilaya, ndlr), et ils m’ont dit que, bien que j’étais dans mon droit, ils n’ont pas le pouvoir d’intervenir en ma faveur. J’ai donc déposé une plainte auprès de l’Inspection du travail, qui m’a effectivement convoquée. Mais hélas, j’en suis sortie abasourdie, car ils m’ont expliquée que je n’avais pas le droit d’être intégrée à ce travail. J’ai envoyé d’autres plaintes par le biais d’un procès-verbal, refusant les réponses orales et demandant mon droit à une réponse écrite ». « C’est ainsi que j’ai perdu 12 années de ma vie. Ils ne veulent aujourd’hui ni me régulariser ni renouveler mon contrat. Et je ne peux pas travailler à mon compte. Mon père, moudjahid, est décédé sans me voir titularisée à mon poste ».

Conseillère religieuse : leur décourageante condition

« Je travaille actuellement dans le cadre des contrats de pré-emploi, en tant que « mourchida », conseillère religieuse, mais on nous a demandé de mémoriser tout le Coran dans un délai ne dépassant pas une année en échange d’une régularisation, et quiconque n’y arriverait pas serait licencié », nous dit Houda de la wilaya de Bouira.

Notre interlocutrice explique: « Généralement, la plupart des conseillères religieuses sont mariées et mères de familles, parfois malades ou enceintes. Nous y avons travaillé pendant plus de dix ans, voire vingt ans. Lorsqu’il a été enfin question de régularisation, il nous a été demandé d’apprendre les 60 hizb qui composent le Coran, sachant que les conseillères du temps de Bouteflika étaient recrutées sans condition aucune.»

Détaillant sa situation, Houda explique: « Je suis conseillère religieuse à la wilaya de Bouira, travaillant sous des contrats de pré-emploi depuis 2011, et j’ai signé l’accord de titularisation en août, mais à la condition sine qua non que tout le Coran soit mémorisé en un an. Je considère cette condition démotivante, pouvant conduire à nous faire perdre notre emploi après des années d’attente. »

Aujourd’hui, Houda et les conseillères religieuses réclament de pouvoir bénéficier d’une intégration sans conditions, comme cela se fait dans les autres secteurs.

Le travail des « mourchidate » comme Houda consiste en l’enseignement des sciences islamiques et l’apprentissage du Coran aux femmes dans les mosquées et les écoles coraniques, la contribution aux programmes d’alphabétisation, la contribution à l’activité religieuse destinée aux femmes et aux jeunes dans les établissements de rééducation ainsi qu’à la participation à la protection de la maternité et de l’enfance.

Parcours escarpés

Ali, de Médéa, raconte: « Je suis vétérinaire, travaillant dans une clinique privée depuis six ans, avec un salaire de 15000 DA par mois. Je suis épuisé, tout ce que je veux, c’est être régularisé et pouvoir rejoindre le secteur public ».

Manal, originaire de Bouira dit de son côté: «Je travaille sous contrat de pré-emploi, bien que je sois titulaire d’un diplôme universitaire en Sciences Humaines spécialisé en Histoire, obtenu en 2016. Je travaille au Centre psychologique et pédagogique pour enfants handicapés mentaux de la wilaya de Bouira. Huit heures par jour pour 15 000 DA par mois. Tout ce que je gagne, je le dépense en transports et en nourriture, d’autant que les versements sont lents comme si on les mendiait. Après mon mariage, ils ont opposé une fin de non-recevoir à ma demande de transfert. Du coup, je parcours chaque jour 45 kilomètres pour à peine « un million et demi » de centimes, après cinq ans d’études à l’université. Ma situation psychologique et sociale est au plus bas. J’ai atteint le stade où tout me déplaît. A chaque fois que je demande des nouvelles de ma régularisation, j’ai droit à la même réponse : Nous n’avons encore rien reçu du ministère. »
Promesses officielles

Tous les jeunes interrogés par « Twala » répètent les mêmes phrases, disant que: « les promesses des responsables ne sont que de l’encre sur du papier». Il y a, certes, des cas concrets d’insertions professionnelles, mais ils sont, à leurs yeux, bien insuffisants compte tenu du grand nombre de jeunes dans l’attente d’une régularisation.

L’ancien ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, Chawki Achek Youcef, avait précédemment déclaré que l’insertion professionnelle lancée depuis 2008 permettait « l’intégration de plus de deux millions de bénéficiaires » et avait promis en mars dernier, avant sa démission de son poste, de régulariser 160.000 jeunes bénéficiant des deux dispositifs d’aide à l’insertion, dans les organes administratifs et les institutions « dans une première étape ».

Au plus fort du mouvement populaire (le Hirak), l’ancien premier ministre Nouredine Bedoui (actuellement poursuivi en justice) avait fait l’une des plus importantes promesses aux titulaires de contrats de pré-emploi, soulignant dans un communiqué officiel que le décret exécutif – cité plus haut -: «vient en application des décisions du gouvernement visant la régularisation de toutes les personnes intégrées dans le système d’aide à l’insertion professionnelle, dont le nombre atteint, au 31 octobre 2019, les 456.791 dossiers ».

Dans un communiqué, publié le 21 novembre de l’année dernière, le Premier ministre a indiqué que «le processus d’intégration devrait se faire par étapes, selon des critères objectifs et transparents, et en fonction de l’ancienneté dans l’agence, à partir du 1er en novembre 2019 et s’étalera sur une période de trois ans. Au total, seront régularisés avant fin 2019, 160.000 employés dont l’activité effective dépasse les 8 ans, 105 000 au cours de l’année 2020, pour ceux dont l’activité réelle se situe entre 3 et 8 ans. L’intégration du reste des bénéficiaires dont l’ancienneté est inférieure à 3 ans et dont le nombre dépasse 100 000 au cours de l’année se fera en 2021, date de la fin de l’opération».

Parmi les promesses électorales faites par le président Abdelmadjid Tebboune lors de sa campagne, figure notamment le dossier de contrats de pré-emploi, dans le cadre de la revue à la baisse du taux de chômage.

Tebboune avait promis de revoir les mécanismes d’aide à l’insertion professionnelle et à l’emploi à travers la mise en place de nouveaux mécanismes plus harmonieux. Aux demandeurs d’emploi dans le cadre de l’Anem, le président Tebboune a promis une insertion progressive ainsi que l’inclusion des jeunes candidats pour la première fois dans le cadre du plan de soutien à l’emploi, ainsi que l’embauche dans le cadre de contrats de travail soutenus.

« La nécessité de suivre le processus d’intégration dans le cadre d’une approche où les efforts de tous les secteurs concernés se soutiennent mutuellement », réitérant son engagement à: « Travailler avec toutes les parties concernées pour surmonter les difficultés rencontrées dans ce dossier », De son côté, le nouveau ministre du Travail, , a affirmé de son côté El Hachemi Djaâboub au début de la semaine dernière.

Entre les promesses et les chiffres énoncés par les ministres, des dizaines de milliers de jeunes attendent encore leur insertion professionnelle, coincés dans les méandres d’innombrables contraintes bureaucratiques et d’une situation sociale difficile.