A l’origine du 1er Novembre 1954, l’événement fondateur de la République : Ses vrais initiateurs, ses faits d’armes

Omar Ramdane, El Watan, 01 novembre 2020

«Le 1er Novembre, c’est moi», a crié une très haute personnalité nationale peu avant sa mort (Allah yerahmou).(1)

«Krim Belkacem a fait le 1er Novembre au nom de Messali», jurait une escouade de nostalgiques en quête de réhabilitation.(2)

Lire et entendre pareils mensonges n’a pas dérangé la conscience des nombreuses instances et organisations en charge de l’Histoire et de la mémoire. Elles n’ont pas daigné intervenir, comme elles en ont le devoir, pour balayer ces balivernes, dénoncer les impostures et rétablir les faits afin d’éviter à des générations de jeunes de douter, de se poser la question légitime : «Qui croire et que croire ?»

L’immense Mourad, l’un des artisans, l’un des précurseurs du 1er Novembre, mort à moins de 28 ans, le 16 janvier 1955, avait exprimé un seul et unique souhait : «Si nous devons mourir, défendez nos mémoires.»

Mon souhait est que des historiens, de jeunes chercheurs s’intéressent davantage à cet événement grandiose. Que la «vraie histoire», la «grande histoire» de notre révolution, soit connue et rapportée, avant tout par les Algériens, sans falsification des faits et sans usurpation des rôles.
Le 1er Novembre fut d’abord l’œuvre d’une poignée d’hommes qui eurent le mérite d’être parvenus à exprimer et de mettre en œuvre ce qu’une grande masse d’Algériens pensait et souhaitait : libérer leur pays.

Dans ce récit, nous allons suivre ces hommes durant les mois et les semaines qui ont précédé le 1er Novembre 1954, reprendre la chronologie des événements, décrire la situation du mouvement national.

Le 1er Novembre fut, pour partie, le «fruit» de la grave crise que vivait le mouvement national, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques) créé le 11 mars 1937. Parler du mouvement national, c’est évoquer le MTLD, car c’est le seul parti qui revendiqua l’Indépendance de l’Algérie, et ce, depuis le fameux meeting de Messali, tenu le 2 août 1936, au Stade municipal d’Alger (actuellement stade du 20 Août). Ce parti était en crise depuis 1952.

Il implosa au courant de l’été 1954 : Messali et ses fidèles, tels que Moulay Merbah, Ahmed Mezerna, Abdallah Filali, d’une part, et, d’autre part, ceux qu’on appelait les Centralistes constitués par la direction du parti et le Comité central, dont les têtes sont Hocine Lahouel, Benyoucef Benkhedda, M’hamed Yazid, Abderrahmane Kiouane, Ahmed Bouda, Saïd Amrani, Abdelmalek Temmam.

Les Centralistes reprochaient à Messali son zaïmisme, le culte de la personnalité. L’autre gros grief tenait de la gestion du parti par délégation. Messali étant souvent absent (emprisonné ou assigné à résidence), il confiait la gestion à ses fidèles Moulay Merbah, Ahmed Mezerna et Abdallah Filali.

Pour sa part, Messali traitait les responsables du Comité central de réformistes, de bureaucrates coupés du peuple, qui ne pensent qu’aux postes d’élus.

En réalité, la crise du parti eut des origines et des causes plus vieilles. Il faut remonter à mars 1950, au démantèlement de l’Organisation spéciale (OS) par les services de sécurité français

Que s’est-il passé réellement et quelle est la genèse de cette crise ? L’OS fut créé par le MTLD, en février 1947, lors de son congrès constitutif, afin de doter le parti d’une organisation paramilitaire avec pour objectif de déclencher la lutte armée, le moment voulu. Le premier responsable de l’OS fût Mohamed Belouizdad ; malade, il fût très vite remplacé par Aït Ahmed qui assurera la fonction jusqu’en 1949.

Le troisième chef fût Ahmed Ben Bella, jusqu’à mars 1950. Des militants furent sélectionnés pour faire partie de l’organisation ; ils furent choisis au sein de l’organisation clandestine du PPA sur la base de critères tels que : conviction, courage physique, discrétion, etc. Ils s’entraînaient au maniement des armes, à la confection d’engins explosifs.

Un accident bénin, survenu, en mars 1950, sur la route de Tébessa, allait être fatal à l’organisation. Un militant indiscipliné, bavard, Abdelkader Khiat, dit Rehaiem, responsable local de l’OS, était conduit, en voiture, par d’autres militants, pour être sanctionné parce qu’il avait failli à son serment (on ne peut quitter l’OS). En cours de route, il parvint à s’enfuir et se réfugia au commissariat où il raconta tout. Les services de police découvrirent, ahuris, une vaste organisation couvrant tout le territoire, dont les membres s’entraînaient en plusieurs lieux, clandestinement, en vue de passer un jour à l’action armée.

La police déclencha une grande rafle, remonta les filières et arrêta ainsi des centaines de membres de l’OS. Ceux qui en échappèrent se réfugièrent dans les maquis ou entrèrent dans la clandestinité. C’est l’affaire de l’OS qui généra la crise au sommet du MTLD, entre, d’un côté, son président et, d’un autre, le comité de direction et le comité central. Les militants furent tiraillés, c’est le désarroi total

C’est dans cette situation que naquit la nouvelle organisation : le CRUA, Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action. Il fut l’œuvre de Boudiaf accompagné de Ben Boulaïd. Le CRUA fut créé le 23 mars 1954, à la Médersa El Rachad, à La Casbah (Djamâa El Yhoud).. L’objectif du CRUA fut d’amener les deux clans du parti à dépasser leurs différends, de retrouver l’unité pour passer à l’action. Fin mai-début juin, Mustapha Ben Boulaïd accompagné de Didouche Mourad et de Hachemi Hammoud(3) se rendirent chez Messali, à Niort en France. Ils l’informèrent de leur intention de préparer le déclenchement de l’action armée, précisant que leur mouvement se compose de jeunes. Ils lui proposèrent, avec insistance, d’être le leader de leur action.

Messali affirma son intention d’épurer le parti, sans attendre, mais rejeta toute idée de passer à l’action armée : «Je n’ai encore rien décidé, ce n’est pas des jeunots qui vont m’indiquer ce que je dois faire…» Le «zaïm» fut irrité que des jeunes aient osé décider de lancer la lutte armée, à son insu, alors qu’une telle décision ne pouvait être prise que par lui. Il les a éconduits en les traitant d’aventuriers. où les attendait

A Alger, les responsables du CRUA constatent les deux camps ne pouvaient pas se réconcilier. Que chacun d’eux se préparait à organiser son Congrès, séparément. Ils décidèrent alors de convoquer une réunion des anciens membres de l’OS. La réunion eut lieu le 23 juin 1954, à Alger, dans la villa de Lyes Derriche, au quartier de Clos Salembier (actuellement El Madania).

C’est Zoubir Bouadjadj, à la demande de Didouche Mourad, qui proposa la demeure du militant Lyes Derriche, furent effectivement au nombre de «22», y compris Derriche qui faisait le guet.

C’est Mustapha Ben Boulaïd qui présida la réunion. Il avait à ses côtés quatre autres responsables du CRUA (groupe des 5, devenu en septembre groupe des 6 avec l’intégration de Krim) : Ben Boulaïd, Boudiaf, Didouche, Bitat, Larbi Ben M’hidi. Boudiaf intervient en premier. Il présenta le rapport, élaboré au cours des réunions préparatoires par tout le groupe, relayé de temps à autre par Ben M’hidi et Didouche. Boudiaf fit l’historique des événements depuis l’OS, décrivit la situation du mouvement national, la position de la direction du parti, celle du CRUA et, notamment, ses rapports avec les centralistes.

Il regretta l’absence des «frères de Kabylie encore sous obédience messaliste et des camarades qui végètent en prison» et il posa, en conclusion, à ces anciens de l’OS la question principale : faut-il décider le principe de déclenchement de la lutte armée au plus tôt ou attendre que les conditions et les moyens de l’action soient mieux réunis ? La discussion dura tout l’après-midi. Les débats furent vifs. L’intervention émouvante de Souidani Boudjemaâ, les larmes aux yeux, en faveur d’un déclenchement immédiat de la lutte armée, fut décisive.

La motion adoptée par les «22» décida «le déclenchement de l’insurrection armée, seul moyen pour dépasser les luttes intestines et libérer l’Algérie».

D’autres événements ont sûrement pesé dans la décision des «22» de passer immédiatement à la lutte armée avec les moyens de bord. Dans les pays voisins, les nationalistes tunisiens avaient pris le maquis en janvier 1952 et, au Maroc, les nationalistes, notamment à Casablanca, avaient entrepris la lutte dès la déposition du Sultan en août 1953.

Enfin, le gros événement qui produisit un effet considérable fut, sans conteste, la défaite de l’armée française à Diên Biên Phu, au Vietnam, un mois auparavant, le 8 Mai 1954, jour anniversaire des massacres de Sétif et de Guelma.

Les «22» décidèrent aussi de désigner un coordonnateur du Groupe. Le vote à bulletin secret fut décidé et nécessita deux tours de scrutin. Le nom du coordonnateur ne devait pas être divulgué à l’assemblée. Il devait rester secret. C’est le lendemain matin que Ben Boulaïd révéla à Boudiaf que c’est lui qui fut élu.

Le lendemain, Boudiaf choisit ses quatre compagnons qui avaient préparé la réunion avec lui : Ben Boulaïd, Didouche, Ben M’hidi et Bitat pour former le Comité des cinq et pour diriger, respectivement, les zones des Aurès-Nememchas, le Constantinois, l’Oranie et l’Algérois.
La zone de Kabylie n’est pas concernée, pour le moment. Elle le fut par la suite. Le groupe des Cinq est né.

Dès le 28 juin 1954, Boudiaf et Ben Boulaïd invitèrent leurs autres compagnons à une réunion qui s’est tenue au 6, rue Barberousse, Alger, chez

Kechida Aïssa, pour la mise œuvre des recommandations de la réunion des «22».
En juillet 1954, Ben Bella se trouvait à Berne, Suisse.

Ben Bella ayant demandé à rencontrer Boudiaf, ce dernier arriva en Suisse le 7 juillet 1954 et mit au courant Ben Bella du projet des «22». Ben Bella assura Boudiaf du soutien de Khider et de Aït Ahmed qui étaient comme lui réfugiés au Caire

Messali tint son congrès à Hornu, près de Bruxelles, en Belgique, du 13 au 15 juillet 1954 (Messali, assigné en résidence, n’y assista pas). C’est la rupture définitive entre les deux ailes. Ce congrès exclut du parti les membres du Comité central, lesquels organisèrent leur congrès, au Hamma, à Alger, du 14 au 17 août 1954 et exclurent du parti, à leur tour, Messali, Mezerna, Moulay Merbah et Filali. La mission du CRUA était terminée. Il fut dissous le 20 juillet 1954.

En août 1954, nouvelle rencontre, à Berne, de Boudiaf et Didouche Mourad avec Ben Bella. Ce dernier confirma le ralliement de Khider et d’Aït Ahmed au mouvement. Il fit part de la disposition de l’Egypte à accorder toute aide que désiraient les Algériens. Ben Bella fut chargé de procurer un lot d’armes, et ce, avant le déclenchement de la Révolution. A cet effet, un rendez-vous fut fixé à Tripoli, un autre dans le Rif marocain.

Comme convenu, peu de temps après, Ben Boulaïd se rendit à Tripoli (Libye), Boudiaf et Ben M’hidi, pour leur part, partirent au Maroc, au Rif espagnol.

Deux semaines plus tard, tous les responsables du Comité furent de retour à Alger, se réunirent et firent le bilan de leurs missions à l’étranger. Les promesses faites ne furent pas tenues. En conclusion, aucune arme n’entra au pays avant le 1er novembre 1954.

Les Cinq s’attelèrent désormais à ramener la Kabylie. Ben M’hidi y tient beaucoup. La Kabylie était indispensable. Cependant, elle avait pris fait et cause pour le zaïm. D’ailleurs, Krim avait envoyé des représentants, conduits par Ali Zamoum, à son Congrès de Hornu, en Belgique.

Les contacts entre les Cinq et Krim furent l’œuvre de Hachemi Hammoud qui déploya pour cette mission tout son savoir-faire grâce au efforts de Hachemi Hammoud qui fit plusieurs navettes entre Alger et la Kabylie. Les deux groupes se rencontrent Rue du Chêne, dans la maison du militant Ould Mohamed El hadi, début septembre 1954, où ils présentèrent leurs cadres de Kabylie ; Krim fut alors admis au Comité dont il devient le 6e membre, avec Ouamrane comme adjoint.

Les Six plus les Trois de la délégation extérieure du Caire (Ben Bella, Khider et Aït Ahmed) devinrent les Neuf, en septembre 1954.
Les Six décidèrent d’une réunion pour mettre au point leur organisation, choisir le nom à lui donner, arrêter la date du jour J de passage à l’action. Ils se réunirent, le 10 octobre 1954, au domicile du militant Boukchoura, dit Si Mourad, tailleur de son métier, situé au numéro 24 de la rue Comte-Guillot (actuellement avenue Bachir Bedidi), à Pointe Pescade (Raïs Hamidou).

Au cours de cette rencontre, ils choisirent la dénomination de «Front de Libération Nationale, le FLN» au lieu de «Front de l’Indépendance» ou «Mouvement de Libération» qui furent aussi proposés, entre autres. C’est donc là que le FLN naquit. Ben Boulaïd proposa de constituer une organisation militaire à côté de l’organisation politique. Ils créèrent donc «l’Armée de Libération Nationale, l’ALN». Les Six furent soucieux de consacrer le plus grand secret à leur œuvre d’où une proposition du 15 octobre comme date du déclenchement.

Mais le délai parut très court. Ils optèrent pour le 1er Novembre à 1h. Mais ils décidèrent que ce jour devait rester absolument secret. Leurs adjoints ne devront le savoir que la veille ; tous les autres, les exécutants, quelques heures seulement avant. Les choix des objectifs militaires et de sabotages furent laissés à l’initiative des chefs de zones et leurs adjoints.

Bien plus, pour s’assurer qu’il n’y a pas de fuite d’indicateur, les Six propagèrent une fausse information quant à la date du déclenchement. Ils optent pour 23 octobre, jour J, afin de vérifier que les services français ne disposaient pas d’indicateurs. Il ne se passa rien du tout, ce 23 octobre : pas d’alerte, pas de mouvement suspect. Ils conclurent que les services français ignoraient tout des préparatifs.

Les hommes du 1er Novembre n’eurent que trois semaines pour se préparer. Les Six convinrent d’une ultime réunion. Elle eut lieu le 23 octobre 1954, au même endroit, la maison de Boukchoura. La veille, les Six s’étaient rendus à Bab El Oued, avenue de la Marne (Mohamed Boubella), chez un photographe, qui les prend en photo. Lors de la réunion, ils approuvèrent la Proclamation du FLN et l’appel de l’ALN du 1er Novembre 1954. Le document fut rédigé par Boudiaf et Didouche. Ils décidèrent de se retrouver, de nouveau, à Alger, vers le 15 janvier 1955 pour faire le point. Mais, ils ne se rencontrèrent plus jamais.

Le 26 octobre, Boudiaf quitta Alger pour le Caire, muni d’un exemplaire de la Proclamation qui sera lue, à la Radio «Saout El Arab» du Caire par Ben Bella, le 1er novembre 1954, à 18 heures.

Le 27 octobre, Krim conduisit Mohamed Laïchaoui, journaliste proche du MTLD, capable de faire la frappe dactylo de la Proclamation du 1er Novembre 1954, sur stencils et d’effectuer le tirage sur une ronéo en Kabylie. Il confia Laïchaoui à Ouamrane qui le conduisit à Tizi Ouzou d’où Ali Zamoum l’emmena à Ighil Imoula. C’est là que furent tirées, durant toute la nuit, quelques centaines d’exemplaires de la Proclamation.
Que s’est-il passé, en divers points du territoire, dans la nuit du Premier Novembre 1954 ?

En Zone 5 (l’Oranie) : dirigée par Larbi Ben M’hidi. Il avait pour adjoints : Abdelahafidh Boussouf, membre de l’OS et responsable du parti à Tlemcen, Abdelmalek Ramdane, lui aussi de l’OS et responsable de la région de Mostaganem-Relizane. Il disposa de peu de moyens : 60 hommes environ, une dizaine d’armes. Les armes qui devaient arriver, transitant par le Rif marocain ne parvinrent pas.

Les actions dans l’Oranie toucheront la commune de Cassaigne (Sidi Ali) qui fut sabotée et la gendarmerie locale attaquée ; un transformateur électrique fut détruit à Ouillis. Toutes les fermes et installations des colons sont touchées. Le bilan s’établit à un mort parmi les européens et plusieurs blessés.

En Zone 4, Alger et la Mitidja : sous l’autorité de Rabah Bitat, aidé de deux adjoints, Souidani Boudjemaâ et Bouchaïb Ahmed, tous deux réfugiés depuis des années dans la Mitidja, les actions menées dans la nuit du 1er novembre, furent nombreuses.

A Alger, d’abord, les opérations de sabotage menées par l’équipe de Zoubir Bouadjadj, visaient :
– La Radio, au 10, rue Hoche (rue Ahmed Zabana, actuellement) : Mohamed Merzougui ne put s’introduire à l’intérieur des locaux dès minuit, la rue étant encore très fréquentée. Il déposa les bombes sur les rebords d’une fenêtre. Une bombe explosera.
– Othmane Belouizdad, frère du 1er chef de l’OS, eut pour mission d’incendier les dépôts de carburant de la société Mory, au port d’Alger. Les bombes explosèrent causant un début d’incendie.

– Attaque de l’usine à gaz de l’EGA à Belcourt dirigée par Abderrahmane Kaci et son neveu Mokhtar.
– Sabotage du central téléphonique du Champ de manœuvre (1er Mai actuellement) par le groupe d’Ahmed Bisker.
Dans la Mitidja, deux cibles importantes :

– La caserne Bizot à Blida : Bitat et Bouchaib pénétrèrent avec leurs hommes dans la caserne. Ils avaient un complice, le caporal Khoudi. Ils trouvent le magasin vide.

A Boufarik, opérèrent Souidani et Ouamrane venu en renfort avec des hommes de Kabylie. Ils devaient avec l’aide d’un complice, le caporal-chef Bentobal, frère de Lakhdar Bentobal, s’introduire dans la caserne. Mais, à 23 h 45’, des explosions furent entendues. D’autres groupes, sûrement, qui n’opéraient pas très loin, agirent trop tôt. Ce qui obligea Souidani et Ouamrane à passer à l’action immédiatement. Introduits par Bentobal dans la caserne, ils récupérèrent une dizaine d’armes dans le poste de police, à l’entrée. L’alerte fut donnée et ils ne purent atteindre l’armurerie qui était l’objectif visé. D’autres actions ont visé la coopérative d’agrumes de Boufarik qui fut incendiée de même que le stock d’alfa de l’usine Cellunaf de Baba Ali.

La Kabylie, Zone 3 : possédait plus de moyens que l’Oranie et l’Algérois. Elle avait aussi plus d’hommes, quelques centaines, et assez d’armes pour engager les opérations programmées dans la nuit du 1er novembre. La Kabylie est dirigée par Krim Belkacem, au maquis depuis 1947. Il fut condamné à mort deux fois. C’est le plus ancien moudjahid.

La mairie de Tizi N’Tleta, dans le secteur de Tizi Ouzou, fut saccagée et les poteaux électriques sciés, empêchant les forces de l’ordre de communiquer. Dans plusieurs localités, des actions de sabotage eurent lieu, notamment, à Bordj Menaïel où les dépôts de liège, les hangars de stockage du tabac furent incendiés. Des gendarmeries furent attaquées à Tigzirt, Azazga. Des administrations furent harcelées et des poteaux sciés dans la région.

Le bilan s’établit à 1 mort et 1 blessé grave.

Le Nord constantinois, Zone 2, est dirigé par le jeune Didouche Mourad (27 ans). Responsable de l’OS, clandestin depuis 1950, Didouche fut toujours partisan de la lutte armée. Il puisait largement dans les revenus familiaux pour financer ses activités nationalistes. La zone ne disposait que d’une vingtaine d’armes et quelques dizaines de combattants. Comme actions, il y eut l’attaque de la gendarmerie de Condé Smendou, les harcèlements de camps militaires au Khroub. Une bonne action eut lieu près d’El Milia, à la mine de Sidi Makhlouf, où un groupe réussit à récupérer un lot important d’explosifs et de détonateurs.

C’est en Zone 1, les Aurès et sa région, qu’eurent lieu les actions les plus spectaculaires. Il est vrai que le chef de la zone, le prestigieux Mustapha Ben Boulaïd, l’homme jouissant d’une grande autorité morale, avait réuni plus de moyens humains et matériels pour ce grand jour. Ben Boulaïd avait même offert quelques armes de guerre à d’autres zones, à l’Algérois et la Kabylie, notamment.

Sous les ordres de Aït Ahmed, chef de l’OS, Ben Boulaïd s’approvisionna en Libye, d’où il a convoyé par caravanes de chameaux, beaucoup d’armes, notamment, des fusils Stati de l’arsenal italien.

Dans les Aurès, de tout temps, se réfugièrent les militants de toutes les régions du pays qui étaient recherchés. S’y cachèrent aussi, de nombreux bandits d’honneur que Ben Boulaïd sut convaincre de rejoindre le mouvement national. Parmi eux, figurait Grine Belkacem qui fit parler de lui, le 1er Novembre.

Ben Boulaïd réunit ses hommes le matin du 31 octobre, à Ouled Moussa, près d’Arris. Ils étaient au nombre de 150, venus par petits groupes. Ils partirent vers leurs objectifs à 19h 30. Tous les groupes devaient intervenir à 3h du matin. Les objectifs furent Batna, Khenchela, Biskra, Tkout, Arris. A Batna, le chef était Hadj Lakhdar qui devint plus tard Colonel, chef de la wilaya 1. C’est la sous-préfecture qui fut mitraillée en premier lieu.

Puis, le groupe s’approcha de la caserne. Mais l’alerte fut donnée avant 3h, parce que des éléments chargés d’attaquer Biskra agirent avec une demi-heure d’avance ; ils attaquent le commissariat, la caserne, les locaux de la commune, une centrale électrique, des dépôts d’essence. Hadj Lakhdar ne put donc donner l’assaut à la caserne de Batna, avec pour objectif récupérer des armes. Mais, dans leur repli, ses hommes mitraillèrent un véhicule militaire qui rejoignait la caserne, tuant deux soldats.

A Khenchela, l’un des adjoints de Ben Boulaïd, Abbas Laghrour, débuta ses actions comme prévu à 3h. Le groupe fit sauter le transformateur électrique de la ville. Le commissariat est pris d’assaut et trois agents sont désarmés. Un autre groupe attaqua la caserne des spahis. Mais les tirs au commissariat mirent en alerte les soldats. Le chef du peloton, le lieutenant Darnaud, sorti devant la caserne fut tué et un spahi blessé.

Chihani Bachir avait en charge le secteur d’Arris, Tkout. Dès 3h, Arris fut encerclée, isolée par le groupe commandé par Grine Belkacem. Ses hommes occupèrent les hauteurs et tirèrent sur tous ceux qui tentaient de quitter le village. Les gendarmes qui essayaient de sortir furent mitraillés et retournèrent à leur caserne. Un pont sur la route vers le Nord fut saboté. Arris était coupée de tout. Elle resta isolée jusqu’au 2 novembre.

Quant à Chihani Bachir (25 ans, adjoint principal de Ben Boulaïd), il dressa un barrage sur la route Biskra-Arris, dès 3h.
Au matin, le car assurant la liaison Biskra-Arris fut arrêté par les hommes de Chihani. Cette affaire fit un grand bruit, car, parmi les voyageurs du car, se trouvaient le Caïd Hadj Sadok et un couple de jeunes instituteurs, les Monnerot. Chihani fit descendre du car le Caïd Hadj Sadok et le couple Monnerot. Il interrogea le caïd qui afficha un air méprisant et hautain.

A un moment, Hadj Sadok fit un geste pour sortir un pistolet automatique. Un compagnon de Chihani qui vit le mouvement du Caïd tire une rafale qui le toucha au ventre. Il s’écroula mais ne mourut pas. Chihani ne l’acheva pas. Mais la rafale toucha aussi l’époux Monnerot, placé juste derrière le Caïd. Son épouse fut blessée à l’aine. Hadj Sadok rendra l’âme à l’hôpital de Batna ; l’épouse Monnerot fut sauvée, mais son époux mourut.

Il y a lieu de préciser que Ben Boulaïd et les autres responsables qui décidèrent le 1er novembre, donnèrent des instructions strictes : les exécutions des civils européens étaient interdites.

Au cours des jours suivant le 1er novembre, les autorités coloniales déclenchèrent une intense propagande axée sur «l’assassinat des jeunes instituteurs . La propagande officielle mettra particulièrement en exergue le sort du couple Monnerot et la personnalité de Grine Belkacem, considéré comme un grand bandit, un condamné de droit commun.

Quel bilan et quelle évaluation tirons-nous de la nuit du 1er novembre 1954 ?

S’il est vrai que, dans certaines zones, l’activité fut moins intense, que de nombreux objectifs ne furent pas atteints, parce que des armes manquaient ou des bombes, de confection rudimentaire, n’avaient pas toutes explosé ou que des tentatives d’incendies n’avaient pas réussi, il n’en reste pas moins que l’essentiel fut réalisé : des actions concertées, planifiées eurent lieu de l’ouest à l’est de l’Algérie, sur un front de 1200 km, des actions qui mobilisèrent un millier d’hommes et que les forces coloniales n’ont pu ni empêcher, ni arrêter, ni même prévoir.

Les opérations déclenchées, le 1er novembre, par le FLN surprirent les autorités françaises. Les autorités eurent du mal à savoir pendant longtemps à qui attribuer les attentats et les attaques visant des objectifs précis, à travers tout le territoire, en l’espace de quelques heures, qui suscitèrent l’admiration et la fierté des nationaux.

L’administration coloniale n’a rien vu venir ; les services de sécurité non plus. Ce fut la surprise totale pour eux. Le cloisonnement, le secret fonctionnèrent bien. Par exemple, le chef des équipes d’Alger, Zoubir Bouadjadj, n’informa ses hommes que le 31 octobre 1954, à 17h, pour leur dire : «C’est ce soir».

Autre déroute des services de sécurité et de l’administration coloniale : ils ne réussirent pas à mettre des noms sur les Chefs de l’«insurrection», ces derniers ayant pris des surnoms : Boudiaf, c’est Tayeb, Didouche, c’est Si Abdelkader, Bitat, c’est Si Mohamed, Ben M’hidi, c’est Hakim… Les services français ne surent pas qui était derrière le 1er Novembre.

Le 1er novembre, ils accoururent vers le siège du parti, à la Place de Chartres, Alger, et arrêtèrent tous ceux qui s’y trouvaient. Ils arrêtèrent notamment Moulay Merbah.

Le lendemain, le 2 novembre, persuadés que le CRUA était une création des centralistes du MTLD, ils procédèrent à l’arrestation de plus de 2000 militants du parti qui n’avaient rien à voir avec le déclenchement du 1er Novembre. Didouche a parlé juste puisqu’il a prédit la réaction des autorités d’occupation.

Ministre de l’Intérieur au moment des faits, fonction qui en faisait l’homme censé être le mieux informé de la situation, François Mitterand donna l’exemple le plus significatif de l’incapacité des services français à prévoir l’explosion du 1er Novembre 1954.

Au moment de quitter l’Algérie, à l’issue d’un voyage officiel en Algérie (19-23 octobre 1954), Mitterrand déclara à l’aéroport Bône-les-Salines (Annaba) : «J’ai trouvé les trois départements français d’Algérie en état de calme et de prospérité. Je pars empli d’optimisme».

 

Par Omar Ramdane , Membre de l’ALN

 

 

Source :

Boudiaf «La préparation du 1er novembre 1954» (15 novembre 1974).
Mohamed Laïchaoui fut membre de l’ALN. Il tomba au champ d’honneur, en 1959, dans la région de Zbarbar.

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1- Ahmed Ben Bella , 1er président de la République.
2- Krim Belkacem rencontre en décembre 1954 à Alger la pointe pescade, Zitouni Mokhtar, trésorier du MNA. Krim fait croire à ce dernier qu’il est toujours pour Messali. il se fait remettre la somme de 100 000 000 d’anciens francs.
3- Hachemi Hammoud est un valeureux militant du PPA – MTLD. Membre du Comité central du MLTD de 1949 à 1955, membre de l’OS, du CRUA,Responsable FLN à Alger, arrêté à Alger début février 1957, il est torturé à mort au centre de commandement des parachutistes d’El Biar (Birtraria)