Migration clandestine: L’Oranie, une plaque tournante de la harga

M. Kali et Lakhdar Hagani, El Watan, 25 octobre 2020

Mostaganem, par sa situation géographique stratégique, est devenue un pôle d’excellence de transit pour les migrants algériens et étrangers qui cherchent à rejoindre l’Europe par l’Espagne via la mer.

En début de semaine, dimanche, un cadavre de harrag a été découvert près de la plage de Madagh. Il faisait partie du groupe des 18 harraga naufragés près des îles Habibas le 17 septembre dernier, après que leur embarcation ait coulé en se fichant sur un rocher affleurant la surface de la mer.

Deux des passagers avaient péri sur le champ, une fillette âgée d’environ 9 ans de nationalité syrienne et une femme de près de 30 ans, alors qu’un troisième passager a été emporté par les flots qui l’ont rejeté un mois après.

Par ailleurs, durant les trois derniers jours écoulés, les gendarmes ont démantelé quatre réseaux de passeurs. Deux de ces groupes arrêtés comprenaient des harraga et leurs passeurs. Ils l’ont été à Bouzedjar, l’un naviguait sur une embarcation de plaisance dotée d’un moteur de 70 chevaux, l’autre sur une autre embarcation munie d’un moteur de 20 chevaux.

Dans le premier groupe, il y avait trois passeurs parmi les sept personnes embarquées et dans le second, un avec trois compagnons d’infortune.

Bouzedjar, Madagh et les îles Habibas sont situés à l’est de la côte témouchentoise. Le troisième groupe agissait à Sidi Ben Adda, une commune côtière où le phénomène de l’émigration clandestine n’est pas très courant. Treize personnes ont été arrêtées, dont une femme âgée de plus de 65 ans.

Les harraga, dont la plupart sont de Aïn Kihal, la commune voisine, dont les monts avoisinent ceux de Sebaa Chioukh, s’apprêtaient à prendre le large sur un pneumatique doté d’un moteur d’une puissance de 30 chevaux. Sidi Ben Adda est à équidistance entre Bouzedjar et Oulhaça, qui est à l’ouest du littoral. C’est là que le quatrième groupe, composé de 13 personnes, dont une femme, a été appréhendé.

Les harraga prenaient le large sur un zodiac disposant d’un moteur de 40 chevaux et d’un moteur de secours de 16 chevaux. Ces quelques faits anecdotiques donnent une idée de l’ampleur de la recrudescence de l’émigration clandestine observée ces derniers mois. A cet égard, il est dommage que les services compétents ne communiquent pas tous sur le phénomène, les gardes-côtes étant les plus silencieux.

Néanmoins, les observateurs du phénomène s’attendent à ce que, au regard de la demande constatée, les passeurs mettent les bouchées doubles durant les deux prochaines semaines en raison d’une météo qui sera clémente en mer, mais se détériorera par la suite durablement.

Par ailleurs, concernant l’origine géographique des harraga, les Témouchentois en partance vers les côtes ibériques ne constituent pas le gros du lot. Ce sont surtout des candidats venant d’autres wilayas, même d’Oran la voisine, qui accordent leur faveur au littoral témouchentois. En effet, son rivage est le plus proche des côtes ibériques.

Il est en outre long de plus de 80 km et comporte un énorme potentiel de lieux de départ de surcroît difficiles à surveiller par les deux brigades de gardes-côtes basées au niveau des ports de pêche de Bouzedjar et Beni Saf.

Cependant, il n’en demeure pas moins que nombre de tentatives finissent ces derniers temps en catastrophe au point que les harraga à la dérive après une panne ont de plus en plus recours au numéro vert pour appeler au secours.

Mais cet appel n’a de chance d’aboutir que s’ils ne sont pas loin des côtes. Les cas de dérive se produisent suite à des pannes de moteur. Ces dernières sont de plus en plus fréquentes en raison de l’arrêt de l’importation et de la contrebande sur les moteurs d’embarcation ainsi que la pièce de rechange.

Par conséquent, les moteurs en parfait état sont devenus hors de prix, ce qui pousse les passeurs à rafistoler de vieux moteurs pour réaliser un meilleur profit dans l’opération de harga. Cette situation explique pourquoi le quatrième groupe arrêté à Oulhaça disposait d’un moteur de rechange sur son embarcation.

Par ailleurs, l’appât du gain au détriment des candidats à l’émigration clandestine a éveillé l’intérêt d’une «faune» d’escrocs en tout genres. Ainsi, certains font miroiter un projet de harga à des jeunes hors wilaya, les délestent sans coup férir de sommes importantes et disparaissent.

A titre d’exemple, au début du mois en cours, suite à une bagarre sur la voie publique au niveau du chef-lieu de wilaya, les policiers sont venus y mettre fin, et après interrogatoire des protagonistes et de leurs adversaires, il est apparu que les premiers venant d’une wilaya voisine s’étaient fait soustraire 1,05 million de dinars dont 760 000 DA ont pu être récupérés par la police.

Un fléau à Mostaganem

Bien que les autorités compétentes ne cessent de déployer d’importants efforts pour endiguer l’émigration clandestine, il n’en demeure pas moins que le phénomène est reparti à la hausse ces derniers mois.

Chaque semaine, des dizaines d’aventuriers, originaires de plusieurs wilayas du pays, embarquent des différentes plages de la wilaya de Mostaganem pour atteindre les côtes espagnoles.

Des traversées qui tournent parfois au drame, suite aux dangers et risques qu’encourent les candidats à la harga. Ce phénomène de l’émigration clandestine n’est pas nouveau dans la wilaya de Mostaganem.

Il a fait son apparition, pour la première fois, en mars 2004, à partir de la plage de Bahara, dans la commune d’Ouled Boughalem, une région renommée pour la pêche, située dans la daïra d’Achaâcha, à 90 km à l’extrême est de la wilaya de Mostaganem.

Un groupe de jeunes pêcheurs expérimentés avait ainsi pris le risque de rallier Guardamar, dans la province d’Alicante, pour rejoindre des membres de leur famille établis à Perpignan (France).

Cette traversée, faite à bord d’une embarcation de fortune et qui s’était soldée par un succès, avait encouragé d’autres candidats. Cela nous a été confirmé par les proches de ses harraga-pêcheurs, qui résident tous actuellement en France.

D’autres vieux pêcheurs nous ont également confirmé l’information concernant l’histoire de «la première harga en Algérie», et beaucoup affirment qu’elle a d’abord eu lieu à partir de Bahara, à Mostaganem. Ce n’est qu’après que le phénomène s’est généralisé pour atteindre d’autres régions du littoral algérien.

L’historien chercheur, le professeur Abdelkader Fadel, souligne que Mostaganem, de par sa situation géographique stratégique, est devenue un pôle d’excellence de transit pour les migrants algériens et étrangers qui cherchent à rejoindre l’Europe par l’Espagne via la mer.

Les réseaux sociaux sont devenus les meilleurs alliés des passeurs et candidats à l’émigration clandestine ; ainsi, les passeurs font la promotion des traversées clandestines sur internet et promettent aux potentiels candidats l’arrivée en Europe en toute sécurité.

Il faut savoir que le nombre de passeurs qui activent dans la wilaya de Mostaganem se multiplie. C’est simple, tous ces facteurs encouragent la harga dans la wilaya, indique l’historien.

Deux jeunes, Kamel et Nouredine, ayant tenté à trois reprises la traversée clandestine sans succès, révèlent que les côtes mostaganemoises sont prisées par les candidats à l’émigration clandestine du fait que Mostaganem se trouve à moins de 200 km de la côte sud-est de l’Espagne.

Selon des sources sécuritaires, 450 candidats à l’émigration clandestine ont été arrêtés, dont des femmes et des mineurs, en d’août et septembre derniers, suite à 40 affaires traitées.

Au courant de cette semaine et en collaboration avec d’autres services, la police a déjoué quatre autres opérations de navigation secrètes et 52 harraga ont été arrêtés, dont deux mineurs et deux femmes, 16 personnes de nationalité tunisienne, trois autres de nationalité égyptienne et une personne de nationalité marocaine, qui sont entrées illégalement sur le territoire national, avec la saisie de 5580 euros. Au total, près de 200 harraga ont été interceptés depuis le début du mois d’octobre.

En 2019, le nombre de tentatives a baissé eu égard à la conjoncture et au changement climatique. Les services compétents ont mené 11 opérations liées à l’émigration clandestine ayant abouti à l’arrestation de 90 individus, tout sexes et âges confondus.

A présent, les candidats à la harga ne sont plus seulement des jeunes chômeurs en mal de vivre, mais font partie de toutes les catégories sociales, sexes et âges confondus, des universitaires et même parfois de petits fonctionnaires qui n’hésitent pas à tenter la traversée périlleuse, quitte à y perdre la vie.

Des harraga de Mostaganem approchés, ceux dont la tentative de la traversée a échoué, nous ont spécifié que c’est le chômage, la bureaucratie, l’inégalité des chances, la baisse flagrante du pouvoir d’achat et la pauvreté qui sont à l’origine de leur détermination à partir.

D’autres, qui sont parvenus à atteindre les côtes européennes et ayant régularisé leur situation, affirment : «Ceux qui prétendent que pour les harraga, une fois arrivés en Europe, c’est l’eldorado, sont de fieffés menteurs. Ici, c’est le »marche ou crève », la vraie misère !»

Abdelkader, un père de deux harraga installés clandestinement en France, nous dira : «Les mots me manquent pour décrire ce sentiment terrible quand on apprend que nos enfants ont embarqué dans des chaloupes de la mort qui les emmènent vers une aventure risquée.

Le plus souvent, les parents ignorent le projet de rêve de leur progéniture qui tournent souvent au cauchemar. Cette jeunesse désœuvrée tombe dans le piège des marchands de la mort qui finissent parfois par les abandonner en pleine mer.»

De son côté, l’Espagne a tiré la sonnette d’alarme sur l’ampleur de l’arrivée sur ses côtes de migrants algériens à bord d’embarcations de fortune.

Rien que pour ce mois d’octobre, une vingtaine d’embarcations avec quelque 300 candidats à l’émigration clandestine, tous originaires de Mostaganem, ont été interceptées au large des côtes de Murcia, entre Almeria et El Cabo de Palos, par des équipes de secours en mer et de la Guardia civile espagnole. Ils ont été transférés par la Garde civile sur l’îlot d’Escombreras, au port de Carthagène, a-t-on appris.