L’implantation militaire française en Algérie durant la guerre de libération
Ali Chérif Deroua, Le Soir d’Algérie, 05 octobre 2020
Cher lecteur, pour ne pas avoir à subir les critiques de certains, à savoir privilégier l’action politique, diplomatique ou informationnelle, je change de créneau avec cette contribution. Comme je ne veux pas suivre les «sentiers battus», je vais écrire sur l’implantation militaire française en Algérie durant la guerre de libération. À part les auteurs français qui ont écrit sur ce sujet, du côté algérien, très peu, pour ne pas dire aucun n’a écrit sur les forces de l’adversaire. Certains ont parlé des atrocités, de répression, d’accrochages présentés comme batailles. Bref, à mon humble avis, il y a un vide à remplir afin de donner le maximum de données, à même d’aider le lecteur à se faire sa propre opinion sur le cours de la Révolution, la valeur de ses combattants, sans avoir à diminuer de celle de l’adversaire. Bien au contraire. Méditez la maxime de Corneille : «A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.»
Nous avons tenu tête à la troisième puissance militaire de la planète en ce temps-là. Nous n’avons pas été vaincus militairement. Nous avons gagné politiquement. L’Algérie est libre et indépendante. Tel a été notre but dans la Déclaration du 1er Novembre. Ce but a été atteint.
Pour étayer mon écrit, quoi de plus intéressant que d’aligner les déclarations d’acteurs illustres de cette guerre, côté français.
À tout seigneur tout honneur. Le Général de Gaulle a fixé les conditions de l’écrasement de la rébellion. Il déclare le 16 septembre 1959 : «On pourrait considérer comme acquis le retour à la paix, lorsque le nombre des embuscades et attentats mortels serait inférieur à 200 en un an.» Or, à la fin de 1960, le nombre d’attentats contre les civils se monte à environ 300 par mois. Le nombre de morts du seul côté français s’élève à 3 700 en 9 mois.
De son côté, le Colonel Bigeard déclare en août 1959 devant le Général de Gaulle : «La pacification semble se dérober comme un mirage, en dépit des progrès indiscutables, à mesure que le temps passe… Le mal est profond, le cancer bien accroché. La dissolution des katibas de l’ALN éclatées en petits groupes moins vulnérables pose problème.»(1)
Enfin, le témoignage du fameux Maurice Challe, général commandant en chef des Forces françaises en Algérie, parlant du Nidham ou Organisation politico-administrative (OPA) du FLN : «Leur propagande est meilleure que la nôtre.»(2)
Aux sceptiques, je ne peux dire que ceci : on ne peut pas être plus royaliste que le roi.
Aussi, permettez-moi de vous dire, cher lecteur, que vous avez le droit d’être fier de votre Révolution et le devoir de le clamer devant ceux qui doutent. Je me permets de vous rappeler le merveilleux message que nous a légué Didouche Mourad : «Si nous venions à mourir, défendez nos mémoires.» Nous avons fait une Révolution merveilleuse. Ne l’oubliez jamais.
Surtout, ne jugez pas votre Révolution, elle n’a rien à voir avec les aléas et les vicissitudes de la politique ou les ambitions de l’après-indépendance.
Après cette introduction et pour la justifier, je vous dresse un tableau de l’implantation militaire de l’armée française en Algérie.
Au déclenchement de la Révolution, l’armée française en Algérie avait comme effectifs 50 000 soldats sans compter les effectifs de la gendarmerie, éparpillés sur l’ensemble du territoire algérien. De notre côté, il y avait environ 1 000 combattants répartis grosso modo comme suit : zone 1 : 350 combattants ; zone 2 : 150 combattants ; zone 3 : 350 combattants ; zone 4 : 90 combattants ; zone 5 : 67 combattants.
Ce qui donne une moyenne de 1 combattant algérien pour 50 soldats français.
L’armée française s’est retrouvée renforcée par l’apport de 100 000 durant l’année 1955. À partir de 1956, grâce à une mobilisation générale, le total des troupes françaises était de plus de 400 000 soldats répartis comme suit :
Avec une présence importante de son armée, l’Algérie est devenue la 10e Région militaire avec 3 corps d’armée :
1- Oranie
Zone Nord-Oranais (ZNO), 5e division blindée, PC à Nedroma, puis Mostaganem.
Zone Centre-Oranais (ZCO) 29e, division d’infanterie, PC à Témouchent, puis à Bel Abbès.
Zone Ouest-Oranais (ZOO), 12e division d’infanterie, PC à Tlemcen.
Zone Est-Oranais (ZEO), 13e division d’infanterie, PC à Tiaret.
Zone Sud-Oranais (ZSO), 4e division d’infanterie motorisée, PC Mecheria puis Saïda.
2- Algérois
Zone Ouest-Algérois (ZOA), 9e division d’infanterie, PC à Orléansville (Chlef).
Zone Est-Algérois (ZEA) 27e, division d’infanterie alpine, PC à Tizi Ouzou.
Zone Sud-Algérois (ZSA), 20e division d’infanterie, PC à Médéa.
Zone Nord-Algérois (ZNA), 7e division motorisée rapide, PC à Fort-de-l’Eau (Bordj-El- Kiffan).
3- Constantinois
Zone Ouest-Constantinois (ZOC), 19e division d’infanterie, PC à Sétif.
Zone Nord-Constantinois (ZNC), 14e division d’infanterie, PC à Constantine.
Zone Sud Constantinois (ZSC), 21e division d’infanterie, PC à Batna.
Zone Est-Constantinois (ZEC), 2e division d’infanterie motorisée, PC à Guelma, puis Bône (Annaba).
Il y a 3 remarques sur cette implantation des forces militaires françaises.
– La Zone Sud-Oranais hérite de la 4e division d’infanterie motorisée pour pouvoir contrôler facilement une zone très vaste et surtout pour surveiller la partie sud du barrage électrifié sur la frontière algéro-marocaine connu sous le nom de barrage Pedron, nom du Général Pedron, commandant le corps d’armée d’Oran, bâtisseur de ce premier barrage électrifié en Algérie, aussi étanche et meurtrier que les barrages Morice et Challe. Il est très peu cité dans les écrits parus à ce jour. Certains ont tendance à l’occulter de l’histoire militaire de la Révolution algérienne. Pourquoi ? Au lecteur de trouver la réponse en son âme et conscience. Pour prouver de façon irréfutable le danger de ce barrage, je rappelle que le Colonel Lotfi est mort aux environs de Béchar.
S’il a franchi la frontière à ce niveau, c’est que le barrage Pedron était aussi étanche et meurtrier que les autres. Sinon pourquoi ne pas avoir tenté de le traverser plus au nord?
– La Zone Est-Algérois a hérité de la 27e division d’infanterie alpine parce que les autorités militaires françaises ont décidé d’envoyer dans cette zone montagneuse et accidentée des bataillons de chasseurs alpins spécialisés dans la lutte en montagne.
– La Zone Est-Constantinois a hérité de la 2e division d’infanterie motorisée pour permettre de surveiller les deux barrages électrifiés Morice et Challe qui étaient sous pression permanente durant toute la durée de la guerre de libération à cause de la présence d’une armée de l’ALN des frontières qui représentait un danger potentiel important et permanent.
En plus de cette implantation, il y avait des forces d’appoint ou unités de réserve générale : pour l’Algérois, la 5e division parachutiste, pour le Constantinois la 25e division parachutiste, pour l’Oranie la réserve de la Légion étrangère. Ces unités de réserve intervenaient sur l’ensemble du territoire algérien.
À titre d’exemple, le Colonel Bigeard a servi à Annaba, Alger et Saïda.
Tous les spécialistes s’accordent à quantifier une division entre 20 000 et 30 000 hommes.
Prenons une moyenne rationnelle et logique de 25 000 par division. On a, en incluant les deux divisions de réserve de paras, 15×25 000= 375 000. Plus l’aviation et la marine, on arrive à 400 000, chiffre que tous les experts ont adopté sans compter les forces annexes, gendarmerie, CRS, unités territoriales, harkis…
En ce qui concerne l’aviation, il y avait en Algérie 700 avions de différents types d’utilisation, chasse, bombardement, surveillance, transport de troupes et 200 hélicoptères répartis comme suit : 200 avions et 50 hélicoptères par corps d’armée d’Alger, Constantine et Oran et 100 avions et 50 hélicoptères pour les deux départements de la Saoura et des Oasis (Sahara).
Les aérodromes les plus importants étaient Alger Maison-Blanche, Blida Boufarik, Bône les Salines, Telergma, Oran la Senia, base aéro-navale de Lartiques (Tafraoui) Colomb-Béchar, Touggourt et Hassi Messaoud.
À quoi bon écrire tout ce qui précède. La suite en sera la réponse.
En Algérie, ironie de l’histoire, le dernier recensement fait par la France date du 31 octobre 1954 soit la veille du déclenchement de la Révolution.
Cette présence française militaire obéissait à 2 objectifs : la défense des personnes et des biens des Européens installés en Algérie et la lutte contre la rébellion. Dans le Constantinois, avec une superficie de 101 165 km2 et une population de 3 469 000 habitants, il y avait une présence militaire de 125 000 soldats.
Dans l’Algérois, avec une superficie de 71 787 km2 et une population de 3 135 341 habitants, il y avait une présence militaire de 125 000 soldats.
Dans l’Oranie, avec une superficie de 122 151 km2 et une population de 2 294 088 habitants, il y avait une présence militaire de 125 000 soldats.
Soit un soldat pour 28 habitants pour le Constantinois, un soldat pour 25 habitants pour l’Algérois, un soldat pour 19 habitants pour l’Oranie.
Le lecteur peut constater de lui-même et vérifier les chiffres qu’il y avait une différence d’habitants d’un million et plus entre les 3 départements. La réponse est simple : l’extermination du peuple algérien durant l’invasion de d’Algérie par les forces coloniales a été plus cruelle dans l’Ouest algérien. Que ceux qui ont d’autres explications s’annoncent et les avancent pour un éventuel débat.
Enfin, je vous signale pour plus de compréhension que les 5 zones créées le 1er Novembre1954, futures wilayas historiques, sont un ancien découpage hérité de la structure d’implantation du PPA/MTLD, parti dont sont issus les 6 ou 9 pères de la Révolution. À chaque lecteur de choisir le nombre qui lui convient.
Les Français avaient leurs raisons de mailler le territoire algérien en fonction de leur stratégie, de leurs intérêts, de leurs forces, et de leurs buts, et de ne pas le calquer sur le découpage FLN.
Le but de cette contribution est de montrer que la France défendait chaque pouce de ce territoire algérien qui était officiellement partie intégrante de son territoire.
De notre côté, la lutte de libération s’étalait aussi sur chaque pouce ou grain de sable de notre chère Algérie. Le mérite de notre libération revient, avant tout, à ceux qui y ont laissé leur vie.
Gloire à nos martyrs.
Cher lecteur, j’espère que ces contributions sont à la hauteur de vos attentes.
A. C. D.
(1) Challe. Bilan d’une mission. Magazine Historia n°309 avril 1973.
(2) idem.
(3) Pierre Montagnon. La guerre d’Algérie page 175, éditions Pygmalion.
La prochaine contribution portera sur les oublis et les «perles» de certains acteurs ou écrivains concernant la Révolution algérienne.