Les jeunes de Ouargla touchés de plein fouet par le chômage : La marginalisation encore plus ressentie avec la Covid-19
Houria Alioua, El Watan, 03 octobre 2020
Chaque semaine, depuis le déconfinement partiel, les manifestants scandent les mêmes revendications devant le siège de la wilaya de Ouargla.
A 24 ans, Abdelmadjid est diplômé en sciences de l’information de l’université Kasdi Merbah. Depuis l’obtention de son master en 2018, il n’a pas encore trouvé le moyen d’accéder à un poste de travail, ni à la radio, ni à l’ENTV, ni à l’APS. Il attend désespérément de repasser le concours d’embauche à Sonatrach dont il a raté la première session.
Madjid participe régulièrement aux sit-in organisés par les chômeurs chaque mardi en face du siège de la wilaya. Pour lui, «l’ouverture d’une enquête approfondie sur la maffia de l’embauche qui gangrène les instances chargées de l’emploi à Ouargla a trop tardé».
Madjid et ses camarades poursuivent leur mouvement depuis plusieurs mois, ils demandent l’intervention du chef de l’Etat pour lever ce qu’ils qualifient d’«injustice», «à savoir habiter près d’un champ pétrolier et ne pas y travailler».
Entre-temps, il aide un commerçant à faire sa comptabilité en contrepartie d’un colis alimentaire par semaine et participe à la commercialisation du couscous roulé par sa mère à la maison et livré à domicile aux clientes. «Avec le confinement, il m’était très difficile de faire mieux et même mon frère et ma sœur ont dû baisser les bras à cause de la crise», explique-t-il.
A la maison, le père est retraité avec une pension ne dépassant guère 22 000 DA, la famille, constituée de huit personnes, arrive difficilement à joindre les deux bouts grâce au couscous et aux épices confectionnés par la maman, l’aide modeste de Madjid est une contribution à améliorer le quotidien.
«J’ai le droit à une dizaine de pots de yaourt par semaine, en plus du lait, du sucre et des œufs, ça aide dans la cuisine», dit Madjid qui ajoute que la facture d’électricité de l’été reste la hantise de la famille qui habite dans un logement en toute propriété …
Iniquité
A bien observer leurs banderoles, le dispatching des postes via l’Anem ne reflète nullement la réalité de l’offre, ils estiment que «ce sont toujours les mêmes qui en profitent via de faux certificats de résidence et l’embauche de parachutés qui n’ont jamais transité ni par les centres de formation et encore moins par l’université de Ouargla».
La dernière offre en date concerne pourtant notamment des postes d’exécution, comme les ferrailleurs et les conducteurs de travaux très prisés par les demandeurs d’emploi, d’autant plus que l’employeur est GCB avec des listes comprenant cinq candidats de chaque commune.
L’Organisation nationale des jeunes et de l’emploi s’est insurgée contre «le refus des autorités de recevoir les jeunes et mettre en place un dispositif de concertation, vu la situation socioéconomique induite par la Covid-19».
Marquant son soutien aux jeunes qui organisent des sit-in pacifiques çà et là à travers la wilaya, cette organisation appelle à une stratégie inclusive plus souple.
Bachir, un des leaders des chômeurs diplômés, estime quant à lui qu’il faut instaurer «une vraie politique de qualification de la main-d’œuvre locale dans diverses spécialités et avant tout une commission d’enquête aux fins de lever le voile sur des agissements persistants depuis plusieurs années».
Chaque semaine depuis le déconfinement partiel, les manifestations scandent les mêmes revendications devant le siège de la wilaya de Ouargla.
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Tantôt tolérées, tantôt levées par la force publique, il ne passe pas un jour sans qu’ils ne fassent entendre de leurs nouvelles, et alors même que des annonces de recrutement se font plus régulières depuis la mi-septembre sur la page Facebook de l’Anem de Ouargla, l’insatisfaction reste là, la marginalisation encore plus ressentie avec la rareté de l’offre
Sit-in pacifiques
Leurs visages sont devenus familiers sur les réseaux sociaux des chômeurs qui élisent domicile devant les agences locales de l’emploi bardées de fer avec des portes closes de peur de dérapages Dans ce mouvement de protestation qui reprend le flambeau de la lutte des chômeurs contre «la gestion jugée injuste et non transparente des offres d’emploi, notamment du secteur pétrolier transitant par l’Anem», pas de masques ni gestes barrières, mais beaucoup de colère Mohamed, Kaddour, Abdelhak s’insurgent contre ce qu’ils qualifient de «marginalisation» et «exclusion» des jeunes des différents quartiers de Touggourt de l’offre d’emploi dont ils ne nient pas l’existence, mais dont ils contestent le dispatching à partir de la direction de l’Anem au chef-lieu de la wilaya, alors que Touggourt est érigée comme wilaya déléguée et seconde mégapole avec plus
400 000 habitants.
Après de nombreux recours et à travers des correspondances envoyées tous azimuts à la tutelle de l’Anem et à la wilaya déléguée, ces demandeurs d’emploi affichent un immense désespoir et ont décidé d’organiser des sit-in qui ont vite mué en grève de la faim.
«Des moyens pacifiques contre une administration qui nous méprise», disent-ils et dont ils décrient «l’indifférence et l’humiliation» et qu’ils voudraient combattre tantôt par des sit-in continus, tantôt par une grève de la faim signifiant «un non-retour face aux fausses promesses».
Retour à la rue
Leur détresse accrue est encore plus forte, mais ils ne fléchissent pas, même lorsqu’un des leurs s’est soudain évanoui après la détérioration de son état de santé, ce qui a nécessité son transfert à l’hôpital par des agents de la Protection civile, qui l’a sauvé in extremis.
Reprenant les mêmes méthodes de protestation qu’avant, exigeant des réponses mais aussi «la punition des responsables et quiconque faisant fi des lois et perpétuant des méthodes de travail ne respectant pas la priorité accordée par les gouvernements successifs aux enfants de la région», ces jeunes répètent à l’infini que les mêmes procédés les disqualifient, enfreignant les lois et instructions en l’absence d’un contrôle rigoureux des instances concernées.
C’est d’ailleurs dans le même état d’esprit que les sièges d’institutions et entreprises publiques sont régulièrement bloqués par des manifestants recourant souvent aux tentatives de suicide spectaculaire pour se faire entendre.
En désespoir de cause et en l’absence d’alternatives, les jours prochains verront sûrement une recrudescence des protestations, promettent les jeunes et leurs représentants qui s’ingénient à trouver des moyens pour s’organiser.
Des noms d’associations et organisations nouvellement agréées circulent et rencontrent l’adhésion de jeunes qui ne voient pas le bout du tunnel, mais qui veulent se faire entendre avec des cohortes sans cesse renouvelées de demandeurs ayant tous le même espoir, le même vœu : celui d’accéder à un poste dans le secteur pétrolier et nullement ailleurs, un droit, un rêve…
Engagements
Les promesses et engagements du wali de Ouargla, Aboubakr Seddik Bousetta en janvier dernier en présence des représentants de DRH du groupe Sonatrach et de la commission de wilaya en charge de l’emploi, «de veiller personnellement à l’application de la circulaire interministérielle prévoyant l’organisation de tests d’embauche exclusivement au sein des centres de formation professionnelle en présence des membres de la commission en charge de l’emploi avec la délivrance du rapport de fin d’examen signé par tous ses membres du comité, avec pour condition que les résultats soient annoncés dans des délais très proches» ne changent pas grand-chose à la donne, du point de vue des protestataires.
L’annonce des concours, de leurs dates, ainsi que les résultats se fait certes dans la transparence sur la page officielle de l’Agence nationale pour l’emploi, ainsi que celle de la wilaya de Ouargla afin de donner la priorité aux jeunes de la région, mais les dépassements persistent et avec eux la colère des jeunes, dont Madjid qui ne veut plus être journaliste, mais simple agent d’administration à Sonatrach.