15 ans de Charte pour la paix et la réconciliation nationale : Le devoir de mémoire face au révisionnisme
Nouri Nesrouche, El Watan, 30 septembre 2020
Les nouveaux rapports de force et les jeux politiques des uns et des autres charriés par le hirak relancent les batailles autour de cette mémoire refoulée et jamais apaisée. Les réseaux sociaux, nouveau terrain de joutes préféré des forces occultes et celles non organisées, débordent de batailles autour de cette mémoire collective.
Quinze ans jour pour jour après son approbation «populaire», la charte pour la paix et la réconciliation nationale apparaît plus comme un héritage encombrant du système Bouteflika qu’un remède à la violence qui a accablé les Algériens durant la décennie 1990.
Le renversement du père de ce processus en avril 2019 par le hirak et la volonté populaire de retourner l’échiquier politique national sonnent comme un désaveu de ce processus de paix et de réconciliation nationale, initié en 1999 par la loi sur la concorde civile. Certes, la paix est revenue avec la défaite des derniers groupes islamistes armés, mais les lois de Bouteflika n’ont apporté ni justice ni vérité.
Dans le cas de l’Algérie, seule une justice transitionnelle aurait pu fournir les moyens de tourner la page, mais celle de Bouteflika était clairement un cadeau empoisonné, une solution corrompue par sa propre volonté de se substituer aux victimes et aux bourreaux. «Pardonner ?
A qui et quoi ? Il est impossible de pardonner sans que personne ne soit venu demander pardon, il est impossible de pardonner sans savoir à qui et pourquoi on doit pardonner», écrivait Nacera Dutour, présidente du Collectif des familles des disparus en Algérie (CFDA). Au final, les victimes du terrorisme comme les victimes de disparitions forcées n’ont pas pu faire leur deuil et pardonner. Le mal a été refoulé par la société algérienne, et les démons tenus prêts à ressurgir à tout moment.
Les nouveaux rapports de force et les jeux politiques des uns et des autres charriés par le hirak relancent les batailles autour de cette mémoire refoulée et jamais apaisée. Les réseaux sociaux, nouveau terrain de joutes préféré des forces occultes et celles non organisées, débordent de batailles autour de cette mémoire collective. Le compte est loin d’être soldé, n’en déplaise à la position officielle.
Les joutes sont structurées par les deux projets de société antagoniques : islamiste et progressiste. La troisième voie au milieu, dont les traits furent ébauchés durant les premiers mois du hirak, a reculé dès l’émergence sur la scène politique d’un nouveau/ancien courant islamiste, suivie par la suspension du hirak.
Cette troisième voie rassemblait des opinions des deux bords, fruits de maturation, d’intériorisation des expériences et d’autocritique, autour d’un Smig permettant aux uns et aux autres de s’accepter mutuellement et d’avancer ensemble dans le hirak. Elle n’a pas pu s’affirmer (pas encore) face à l’émergence sur la scène d’un courant qui ambitionne de récupérer le hirak.
Révisionnisme
Ce courant islamiste, qui dissimule conjoncturellement sa nature, ignore les formations conventionnelles de cette famille politique et ambitionne de recruter dans une base supposée large et composée de déçus de ces partis.
Pour ce faire, les commanditaires de ce projet amorcent leur stratégie par une tentative de réécriture de l’histoire, d’où le discours révisionniste qui nie la responsabilité des islamistes, et du FIS précisément, dans la violence des années 1990. Un discours semé par des voix qui ont pignon sur rue et reproduit par des jeunes qui n’étaient même pas nés à cette époque.
Tout est mis sur le dos d’une short list de généraux de l’Armée nationale populaire, dont les figures de proue sont Toufik et Khaled Nezzar, et leurs supposés complices politiques, incarnées par les partis du RCD et du MDS. Depuis environ une année, des campagnes interrompues, brutales et culpabilisantes sont menées sur la Toile contre ces cibles simplifiées, à la limite de la caricature.
Fautes de repères consensuels et incontestables, l’histoire, récente pourtant, devient le terrain de toutes les manipulations à qui mieux mieux.
La discorde pointe à l’horizon et hypothèque les espoirs suscités par le hirak. Beaucoup d’Algériens désapprouvent ces manipulations et réagissent aux mensonges. Les forces, qui voient dans le mouvement du 22 février les vertus d’un ciment magique pour l’unité des rangs, commencent à craindre justement une scission au terme de ces batailles mémorielles, virtuelles certes, mais déchirantes.
La classe politique, celle partisane ou opposée à la démarche de l’amnistie-amnésie de Bouteflika, garde le silence pour sa part, tout comme le régime actuel qui a choisi la discrétion à l’occasion de l’anniversaire que l’Algérie est censée célébrer aujourd’hui. Est-ce à dire qu’un consensus est en train de se former pour une remise en cause formalisée de ces lois ?
Difficile à croire compte tenu des rapports de force qui, aujourd’hui, traversent aussi bien le pouvoir que la société et sa dynamique hirakienne.