La harga reprend de plus belle et fait des morts: Comment arrêter le drame ?

Liberté, 20 septembre 2020

Nonobstant tous les risques encourus, le désespoir qui alimente la volonté de ces harraga d’un nouveau genre, apparaît plus fort et prend le pas sur le sentiment de sécurité.

Le dernier bilan du naufrage d’une embarcation de harraga au large de Mostaganem, dans la nuit de mercredi à jeudi et qui fait état de huit morts dont cinq enfants membres d’une même famille, relance le débat sur la harga.

Si le phénomène avait connu une certaine accalmie en plein Hirak, les embarcations ont repris le large dès le début de l’année en cours depuis plusieurs régions du pays, déclinant une cartographie qui présume des points de départ des harraga vers l’Espagne dont les principales rampes se trouvent dans les wilayas d’Oran, de Mostaganem, de Chlef et d’Aïn Témouchent.

Depuis, l’on assiste à une véritable flambée, particulièrement en direction des côtes espagnoles, connaissant son apogée avec l’arrivée, le week-end de la dernière semaine de juillet, de plus de 800 migrants clandestins qui ont débarqué sur les côtes ibériques.

Au-delà des statistiques, il convient de s’accorder sur les raisons qui poussent les Algériens, toutes couches sociales confondues, à tenter l’aventure même si, au terminus, on retrouve peu d’élus.

Hommes, femmes, mineurs, couples ou des familles avec enfants n’hésitent plus à embarquer pour un voyage dont l’issue n’est garantie par aucun passeur. Au bout, la prison dans le meilleur des cas, ici ou ailleurs, sinon un cadavre à repêcher ou une tombe sans épitaphe.

Les raisons sont connues de tous, économiques ou sociales ( crise multidimensionnelle, chômage endémique, sentiment d’injustice sociale), des prétextes souvent classiques qui justifient l’aventure, mais pas que. L’accalmie observée durant le Hirak donne un nouvel éclairage sur les raisons qui peuvent pousser les Algériens à fuir le pays.

Un espoir était né au lendemain de février 2019 et l’idée même de quitter le sol natal, pendant ces événements, était reléguée au second plan. Plus qu’une impression, les chiffres de la harga étaient en berne avant de reprendre de plus belle jusqu’à enregistrer ces chiffres effarants en juillet.

“On a tué l’espoir”, déclare Aouari Abdelkrim, sociologue et enseignant à l’Université de Mostaganem, qui résume ainsi la situation. La gestion même de ce phénomène par le gouvernement fait aussi polémique puisqu’au lieu de s’attaquer aux raisons fondamentales qui nourrissent cette migration clandestine, le gouvernement cherche à justifier cette fuite par d’autres facteurs exogènes.

À ce propos, l’agence de presse officielle affirme que le phénomène des harraga, n’est que “manipulation et contrevérités”, indiquant que les dernières traversées étaient surtout composées de Marocains et de Subsahariens.

La même source ajoute que “ces groupes de jeunes migrants, composés en grande partie d’étrangers qui ont traversé dernièrement la Méditerranée pour rejoindre l’Espagne, ont aussi été alléchés par des promesses de régularisation de leur situation une fois arrivés en terre ibérique”.

Évoquant la partie technique de la harga, l’agence croit savoir que ces Zodiac propulsés par de puissants moteurs “ne sont pas à la portée du premier venu”, précisant que “leur acquisition est forcément le fait de personnes fortunées dont les moyens ne sont pas étrangers à des trafics en tout genre y compris celui de la drogue, selon des spécialistes”.

Le fait même d’interdire la sortie en mer des bateaux de plaisance pendant deux semaines explique l’impuissance des pouvoirs publics à apporter une réponse cohérente à ce phénomène, privilégiant la punition collective.

Il faut reconnaître également que des groupes mafieux sont derrière ces traversées organisées et les différentes arrestations opérées aussi bien par les services de sécurité algériens ainsi que par leurs homologues espagnols et italiens le prouvent.

Pourtant, il serait naïf de croire que la seule présence d’une opportunité de migrer clandestinement soit responsable de la harga. Nonobstant tous les risques encourus, le désespoir qui alimente la volonté de ces harraga d’un nouveau genre est plus fort et prend le pas sur le sentiment de sécurité.

SAID OUSSAD