Après le renversement du président malien Ibrahim Boubakar Keïta : Les militaires au pouvoir annoncent des élections

Amnay Idir, El Watan, 20 août 2020
 
Les militaires, qui ont pris le pouvoir au Mali et poussé à la démission le président Ibrahim Boubacar Keïta, ont affirmé dans la nuit de mardi à mercredi vouloir mettre en place une «transition politique civile», rapportent des médias. Transition qui mènera à des élections générales dans un «délai raisonnable».

Plus de trois heures après l’annonce par le président Keïta de sa «décision de quitter toutes (ses) fonctions», à l’issue d’une journée de mutinerie qui s’est transformée en coup d’Etat militaire, des hommes en uniforme sont apparus sur la chaîne publique ORTM. «Nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire», a déclaré celui qui a été présenté comme le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air. «Notre pays, le Mali, sombre de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée», a indiqué l’officier.

Il a dénoncé le «clientélisme politique» et «la gestion familiale des affaires de l’Etat», ainsi que la «gabegie, le vol et l’arbitraire», une justice «en déphasage avec les citoyens», une «éducation nationale qui patauge» ou encore des massacres de villageois, le «terrorisme et l’extrémisme». «La société civile et les mouvements socio-politiques sont invités à nous rejoindre pour, ensemble, créer les meilleures conditions d’une transition politique civile conduisant à des élections générales crédibles pour l’exercice démocratique, à travers une feuille de route qui jettera les bases d’un Mali nouveau», a ajouté le colonel-major.

Il a demandé aux organisations internationales et sous-régionales de les «accompagner pour le bien-être du Mali». Il a affirmé que la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), la force antidjihadiste française «Barkhane», le G5 Sahel (qui regroupe cinq pays de la région), la force Takuba (un groupement de forces spéciales européennes censées accompagner les Maliens au combat) «demeurent nos partenaires». «Tous les accords passés» seront respectés, a-t-il rassuré, en affirmant que les militaires sont «attachés au processus d’Alger», l’accord de paix signé en 2015 entre Bamako et les groupes armés du nord du pays. Et d’observer : «Nous ne tenons pas au pouvoir, mais nous tenons à la stabilité du pays, qui nous permettra d’organiser dans des délais raisonnables des élections générales pour permettre au Mali de se doter d’institutions fortes.»

La boîte de Pandore

Le putsch intervient alors que ce pays de l’Afrique de l’Ouest connaît des troubles sociaux suscités par le marasme économique, la défaillance des services de l’Etat et le discrédit répandu d’institutions suspectées de corruption. Aussi, le pays fait face à une situation sécuritaire inquiétante, qui a vu le nord de son territoire tomber en 2012 aux mains des djihadistes, partiellement chassés par une intervention internationale initiée en 2013 par la France.

Et malgré les interventions étrangères, les violences djihadistes, souvent mêlées à des conflits communautaires, se poursuivent et se sont même étendues depuis 2015 au centre du pays et aux pays voisins, Burkina Faso et Niger. Situation qui inquiète les pays voisins, dont l’Algérie qui voit deux autres des pays limitrophes, à savoir le Niger au sud et la Libye à l’est, en proie à des conflits armés.

En parallèle, Bamako patauge dans une grave crise politique. En effet, le 26 mars dernier, le chef de l’opposition Soumaïla Cissé est enlevé en pleine campagne législative. Le 29 du même mois, malgré l’apparition du coronavirus, le premier tour est maintenu. Le second tour a lieu le 19 avril. Le vote est marqué par des enlèvements d’agents électoraux, le pillage de bureaux de vote et l’explosion d’une mine qui a fait neuf morts.

Le lendemain, la Cour constitutionnelle inverse une trentaine de résultats, dont une dizaine au profit du parti du président Keïta, générant des manifestations début mai. Le 30 mai, l’influent imam Mahmoud Dicko, des partis de l’opposition et un mouvement de la société civile nouent une alliance inédite qui appelle à manifester pour réclamer la démission du Président. Ils dénoncent l’impuissance du pouvoir face à l’insécurité, le marasme économique et la décision de la Cour constitutionnelle. Le 5 juin, les Maliens descendent dans la rue pour manifester contre le Président.

Ce dernier reconduit à la mi-juin le Premier ministre Boubou Cissé et le charge de former le nouveau gouvernement, puis ouvre la porte à un gouvernement d’union nationale. Le 19, des milliers de Bamakois réclament à nouveau la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta. Les 7 et 8 juillet, le Président indique qu’il pourrait nommer au Sénat des candidats aux législatives initialement déclarés vainqueurs puis donnés battus par la Cour constitutionnelle, et ouvre la voie à un réexamen de la décision de ladite institution sur les législatives. Suggestions rejetées par le Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP), une coalition hétéroclite de guides religieux, d’opposants politiques, de membres de la société civile et de syndicalistes qui dirige la contestation.

Le 10 juillet, une manifestation à l’appel du M5-RFP, sous le signe de la «désobéissance civile», dégénère en attaques contre le Parlement et contre la télévision nationale, puis en trois jours de troubles. L’opposition évoque un bilan de 23 morts. Le Premier ministre parle de 11 morts et l’Organisation des Nations unies (ONU) de 14 manifestants tués.

Le 18 juillet, la contestation rejette un compromis proposé par une médiation ouest-africaine, conduite par l’ex-président nigérian Goodluck Jonathan, prévoyant le maintien au pouvoir du chef de l’Etat. Le 27, les dirigeants de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) menace de sanctions ceux qui s’opposeront à son plan de sortie de crise, qui prévoit le maintien au pouvoir du président Keïta, prône un gouvernement d’union et des législatives partielles.

Deux jours plus tard, le plan est récusé par l’opposition, qui réclame à nouveau le départ du Président et rejette la main tendue du Premier ministre. Aussi, une trentaine de députés, dont l’élection est contestée, refusent de leur côté de démissionner, comme le leur ont demandé les dirigeants ouest-africains. Le 12 août, des milliers de personnes se rassemblent à Bamako, réclamant la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta.

Le lendemain, la contestation rejette une proposition de Goodluck Jonathan pour une rencontre avec le Président. Lundi, l’opposition annonce de nouvelles manifestations dans la semaine pour réclamer le départ du président Keïta. Mais c’est sans compter la mutinerie de la nuit de lundi à mardi, qui se transformera en pronunciamiento.

 

 

    L’Algérie exprime son «ferme rejet» de tout changement anticonstitutionnel

    L’Algérie a réitéré hier son «ferme rejet» de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement au Mali, affirmant que la doctrine de l’Union africaine en matière de respect de l’ordre constitutionnel ne «peut faire l’objet d’aucune violation». «L’Algérie réitère son ferme rejet de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement, conformément aux instruments pertinents de l’Union africaine, en particulier la Déclaration d’Alger de 1999 et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007», indique le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué. Et d’affirmer : «La doctrine de l’Union africaine en matière de respect de l’ordre constitutionnel ne peut faire l’objet d’aucune violation.» L’Algérie, qui a dit suivre avec «une très grande préoccupation la situation prévalant au Mali, pays frère et voisin», a appelé «toutes les parties au respect de l’ordre constitutionnel et au retour à la raison pour une sortie de crise rapide». Elle rappelle, à cet égard, que «seules les urnes constituent la voie pour l’accession au pouvoir et à la légitimité». R. I.