Accord d’association Algérie-Union Européenne: Les raisons d’une «réévaluation»

A. Maktour, Le Soir d’Algérie, 15 août 2020

Entré en vigueur il y a quinze ans, l’accord d’association avec l’Union européenne (UE), et dans son prolongement l’accord de libre-échange dont l’agenda a prévu la matérialisation à partir du mois prochain, devront faire l’objet d’une «réévaluation» si l’on se réfère à ce qui a été décidé, dimanche dernier, lors de la réunion du Conseil des ministres.

Patronat, économistes et universitaires de tous bords, et même des travailleurs, avaient émis plus que des réserves lors des longues et laborieuses négociations ayant mené à la conclusion de l’accord d’association avec l’Union européenne au début des années 2000 avant leur ratification en avril 2002 puis leur entrée en vigueur après trois longues années d’attente, en 2005, pour des raisons liées apparemment aux réticences ayant germé un peu partout dans des cercles avertis à travers le pays où l’on soutenait que l’Algérie avait moins d’intérêt à signer l’accord que les partenaires européens.
L’accord d’association devait mener à terme les deux parties à ouvrir de manière réciproque leurs marchés, après «une période de transition» de 12 ans concédée à l’Algérie afin de démanteler de manière progressive ses droits de douane sur des produits industriels et une possibilité d’appliquer une libéralisation sélective concernant les produits agricoles.
Cette «période de transition» a été finalement allongée de 3 années supplémentaires à la demande des Algériens avant que, théoriquement, les portes de notre marché ne s’ouvrent majestueusement aux pays de l’Union européenne à partir du 1er septembre prochain. Il ne fallait pas sortir d’une grande école pour comprendre dès le départ que l’économie algérienne n’est d’aucune commune comparaison à celle de l’UE. Notre pays n’ayant que ses hydrocarbures à faire valoir avec, au bout, une balance commerciale largement défavorable par rapport à celle du partenaire de la Vieille Europe qui, elle, ne trouve pas, en fait, d’inconvénient à ce que l’accord soit soumis à révision, sauf qu’elle recommande l’instauration en Algérie, d’abord, d’un cadre juridique stable à même de susciter l’intérêt et des garanties en faveur des investisseurs de l’UE, ensuite que les Algériens trouvent une solution à la question des subventions ainsi que l’introduction d’autres réformes, dans le secteur financier par exemple, et enfin que les Algériens travaillent pour la promotion du partenariat public-privé.

Échanges Algérie-UE : des chiffres qui disent tout du déséquilibre

Il était clair dès le départ que l’accord en question ne pouvait en aucun cas être commercialement porteur pour l’Algérie, surtout pas en ces moments de vaches maigres qui durent notamment depuis 2014, et à l’heure où l’économie nationale s’apprête à subir une refondation pour, entre autres, espérer permettre aux opérateurs nationaux d’affronter la concurrence venue d’en face avec les mêmes arguments et ainsi en finir, du moins réduire dans un premier temps, avec le déséquilibre quasi structurel de la balance commerciale, cet outil qui illustre parfaitement le dérèglement défavorable qui caractérise les échanges entre les deux parties.

Les chiffres sont, en effet, implacables : depuis l’entrée en vigueur de l’accord

d’association, jusqu’à l’année dernière, l’UE est le premier fournisseur de l’Algérie, avec près de 60% des échanges commerciaux. Entre 2005 et 2016, par exemple, les importations de l’Algérie à partir des pays de l’UE ont dépassé les 250 milliards de dollars, alors que pour les exportations, l’Algérie n’a vendu à l’UE, hors hydrocarbures, que pour environ 14 milliards de dollars. Il faudrait souligner qu’eu égard à ses règles très particulières, le marché des hydrocarbures est demeuré en dehors des négociations pour la conclusion de l’accord d’association. Un exemple édifiant sur le déséquilibre des échanges Algérie-UE : pour l’année 2019, extrêmement difficile pour l’Algérie, notre balance commerciale a enregistré un déficit de 6,11 milliards de dollars, contre un déficit de 4,53 milliards de dollars en 2018, soit une hausse annuelle de 34,81%, selon les données de la Direction générale des douanes (DGD).
Les exportations hors hydrocarbures, avec 2,58 milliards de dollars, représentaient à peine plus de 7% du volume global des exportations, alors que les importations venaient, si l’on exclut la Chine, essentiellement de pays de l’UE ; de France, d’Italie, d’Espagne et d’Allemagne avec des parts respectives de 10,20%, 8,13%, 6,99% et de 6,76%, selon les statistiques des Douanes algériennes qui montrent ainsi que les pays de l’Europe ont enregistré une part de 58,14 % de la valeur globale des échanges commerciaux au cours de l’année 2019, soit un montant de 45,21 milliards de dollars contre 51,96 milliards de dollars enregistré durant l’année 2018. Des chiffres on ne peut plus parlants sur le déséquilibre dans les échanges entre l’Algérie et l’UE.
Depuis sa signature, l’accord n’a pas cessé de susciter de l’intérêt et de l’attention de la part des économistes du pays et d’ailleurs. Désormais, ce sont les autorités du pays, face à une situation économique pas très reluisante pratiquement sur tous les plans, qui ont décidé de voir de plus près «particulièrement ces accords avec l’Union européenne, et se mettent dès lors au diapason des patrons, entre autres, à l’orée de l’entrée en application de l’une des décisions majeures de l’accord d’association Algérie-Union européenne : l’entrée en activité de la zone de libre-échange.
Le Président Tebboune a donc instruit le ministre du Commerce de « procéder à l’évaluation de d’association avec l’UE, qui doit faire l’objet d’une attention particulière, faisant valoir nos intérêts pour des relations équilibrées » tel qu’énoncé dans le communiqué rendu public après la réunion du Conseil des ministres de dimanche dernier. Cette remise en question ne date pas de cette semaine, en février dernier déjà, l’idée avait été émise sur une évaluation de l’accord d’association et l’accord de libre-échange ratifiés avec l’UE, ainsi que ceux ayant trait aux relations avec les pays arabes et africains, ainsi que l’accord préférentiel passé avec la Tunisie.
Une suite logique des événements, l’Algérie montrant de plus en plus de volonté pour des relations commerciales beaucoup plus étendues avec le continent africain dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale (ZLECA), mais sans remettre en cause les relations «stratégiques» avec les pays de l’Union européenne.
Azedine Maktour