Grande militante anticolonialiste : Gisèle Halimi nous a quittés

Hamid Tahri, El Watan, 29 juillet 2020

Lorsque son nom est évoqué chez nous, c’est instantanément celui de Djamila Boupacha qui frappe à la porte et dans nos consciences.

Pour lui avoir confié sa défense dans l’affaire des poseuses de bombes du FLN, et vaillamment défendue par Gisèle, qui s’était très tôt engagée dans différentes causes et avait notamment milité pour l’indépendance de l’Algérie.

Née Tayeb Zeiza le 27 juillet 1927 à La Goulette, en Tunisie, sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille. Avocate à Tunis, elle a d’abord commencé à défendre les légionnaires déserteurs et les syndicalistes au Barreau de Paris à partir de 1956. En mai 1958, elle est arrêtée et détenue par les paras en Algérie.

A sa sortie, elle renoue avec les prétoires où elle défend la moudjahida Djamila Boupacha, Jean-Paul Sartre et sa compagne Simone de Beauvoir, qui comptaient parmi les signataires du Manifeste des 121 hostiles à la Guerre d’Algérie. Après l’assassinat, le 26 décembre 1956, du maire de Boufarik et président des maires d’Algérie, Amédée Froger, avec l’avocat de gauche socialiste – qui est aussi l’avocat de Messali et des Messalistes – Yves Dechezelles, elle assure la défense de celui que la police présente au tribunal militaire comme étant l’exécuteur : Badeche Benmadi, originaire de Bou Saâda, sans preuves autres que des aveux extorqués après 11 jours de tortures.

En janvier 1957, Gisèle est arrêtée à l’hôtel Aletti et expulsée d’Algérie. S’ensuivent autant de procès que d’éclats à l’avantage de Gisèle qui s’en est allée hier doucement, avec la grandeur et la générosité qui siéent aux femmes de sa trempe, avec la singularité qui la caractérisait, elle qui a fait de sa vie un combat de tous les jours pour les causes justes, pour les femmes, surtout où elle a inscrit son nom en lettres d’or dans deux chantiers pourtant ardus, face aux pesanteurs conservatrices : criminalisation du viol et droit à l’avortement.

Durant toute sa vie, Gisèle a mis un soin particulier à faire cohabiter le courage, l’intransigeance et la faculté d’aller au bout de ses actes. Malgré les adversités et les fureurs médiatiques qui ne la ménagèrent guère, elle qui s’affichait carrément progressiste et de gauche. Ainsi, elle a tracé les sillons de son existence d’un trait net et sans fioritures.

Sans jamais dévier de sa ligne de conduite et de ses principes bien ancrés. Éminente défenseuse des causes justes, parfois présumées perdues, Gisèle inspirait la confiance et l’empathie, sans s’éloigner des principes conducteurs du métier, sans non plus froisser ses idées qu’elle a d’ailleurs, de façon magistrale, consignées dans des livres qui resteront des références. Ses écrits, merveilles de clarté, de rigueur et d’honnêteté intellectuelle, étaient d’une remarquable justesse.

Sa manière était obstinée, pas toujours habile, mais toujours sincère. Elle avait son caractère, son franc-parler, ses détracteurs et ses admirateurs. Mais on peut dire, sans se tromper, qu’au palmarès politique de la popularité, elle figurait en bonne place !

Et puis, il y a la femme, qui était toujours disponible, qui a croisé le fer avec les pontes de la droite française, quitte à heurter son amitié avec Simone Veil qui était de l’autre bord. Gisèle était celle qui tendait la main à tous ceux et celles qui la sollicitaient et qui les accompagnait avec la même verve, la même passion, considérant que, pour paraphraser Aragon, son ami, «rien n’est acquis à l’homme, ni sa force ni sa faiblesse». Qu’elle soit remerciée pour l’ensemble de son œuvre. Pour l’exemple qu’elle a laissé.

Pour la figure de proue des prétoires qu’elle a été et dont son soutien à la cause algérienne a été le fait le plus remarquable et le plus saillant. Notre mémoire n’est nullement oublieuse.

Par Hamid Tahri