Tahkout condamné à 16 ans de prison et confiscation de tous ses biens

48 heures après les plaidoiries, le tribunal d’Alger rend son verdict

Salima Tlemcani, El Watan, 16 juillet 2020

Une peine de 16 ans de prison ferme assortie d’une amende de 8 millions de dinars et la confiscation de tous ses biens, a été infligée Mahieddine Tahkout, alors que Bilel Tahkout, son fils, ainsi que Rachid et Hamid Tahkout, ses deux frères, ont écopé d’une peine de 7 ans de prison et 8 millions de dinars d’amende. Les deux ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ont pour leur part été condamnés à 10 ans de prison ferme par le tribunal d’Alger, qui a décidé du paiement solidaire de la somme de 309 milliards de dinars comme préjudice, et la confiscation des biens des Tahkout et de chacun de leurs sociétés, sommés de payer une amende de 32 millions de dinars.

Mis en délibéré dimanche dernier, le verdict lié à l’affaire du patron du groupe Cima-Motors, Mahieddine Tahkout, dans laquelle sont poursuivis, en plus de ce dernier, son fils, ses trois frères ainsi que les deux ex-Premiers ministres, Abdelmalek Sellal, Ahmed Ouyahia, et les anciens ministres, du Transport, Amar Ghoul et Abdelghani Zaalane, et de l’Industrie, Youcef Yousfi et Abdessalem Bouchouareb (en fuite à l’étranger), les ex-directeurs généraux de l’Etusa (Entreprise nationale de transport urbain et suburbain), de l’Onou (Office national des œuvres universitaires), de nombreux directeurs des résidences universitaires, des directeurs des Domaines, des cadres de l’industrie et de l’opérateur de téléphonie, Mobilis.

Le tribunal a donc statué sur le sort des 66 prévenus et 53 sociétés poursuivies en tant que personnes morales dans le dossier des avantages accordés dans le cadre de l’industrie de l’automobile et des marchés liés au transport universitaire et public. Vers 10h, les prévenus détenus font leur apparition dans la salle d’audience, toujours pleine à craquer.

Trois d’entre eux, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ainsi que Youcef Yousfi, sont absents. Le procureur prend la parole et explique : «Les deux prévenus Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal et Youcef Yousfi et Abdelhak Boudraâ (ex-DG de l’Onou, ndlr) ne seront pas présents pour des raisons de santé. Ils ont été transférés vers une structure sanitaire pour des soins, et de ce fait les décisions les concernant seront réputées contradiction».

Le président commence le prononcé du verdict par Mahieddine Tahkout, condamné à 16 ans de prison ferme assortie d’une amende de 8 millions de dinars. Ses deux sociétés, Sarl TMC et Sarl Cima, ont écopé chacune d’une amende de 32 millions de dinars, avec interdiction des marchés publics pendant cinq ans.

Son fils Bilel et ses deux frères Rachid et Hamid été condamnés à une peine de 7 ans de prison ferme et une amende de 8 millions de dinars, alors que son troisième frère Nacer s’est vu infliger une peine de 3 ans de prison et 8 millions de dinars.

Le juge passe aux 53 sociétés liées aux membres de la famille Tahkout, poursuivies en tant que personnes morales, qu’il citera une à une pendant près de 30 minutes, d’une voix inaudible, trébuchant à chaque fois sur la prononciation des noms, marquant souvent un temps d’arrêt, avant de condamner chacune d’elles à une amende de 30 millions de dinars, la confiscation de tous leurs biens et comptes bancaires, ainsi qu’une interdiction des marchés publics durant cinq ans.

Il revient à Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal et annonce qu’ils bénéficient de la prescription des peines pour les faits «de corruption, de blanchiment d’argent, de trafic d’influence et de conflit d’intérêt», mais les condamne à la peine maximale de 10 ans de prison ferme pour… «abus de fonction».

Il cite l’ex-ministre de l’Industrie, Abdessalem Bouchouareb, en fuite à l’étranger, et lui inflige une peine de 20 ans de prison ferme assortie d’un million de dinars d’amende et d’un mandat d’arrêt international.

En ce qui concerne Youcef Yousfi, également ex-ministre de l’Industrie, il écope d’une peine de 2 ans de prison ferme, Amar Ghoul, de 3 ans de prison ferme, Fawzi Benhassine, ex-wali de Skikda, de 2 ans ferme, alors que Abdelghani Zaalane, ex-ministre des Transports et ancien wali d’Oran, bénéficie d’une relaxe.

Le juge prononce, par ailleurs, une peine de 2 ans ferme contre l’ex-directeur général de l’Etusa, Abdelkader Belmiloud, d’un an avec sursis contre son successeur à ce poste, Farouk Boudraa, de 2 ans contre Amine Tira, ex-membre du comité d’évaluation technique au ministère de l’Industrie. Sept autres peines de 2 ans, dont un an avec sursis, cinq autres de 2 ans ferme et trois de 1 an avec sursis ont été prononcées.

Le juge a relaxé, par ailleurs, 35 prévenus, dont la plupart sont liés aux «d’indus avantages», pour lesquels les Tahkout et certains des hauts fonctionnaires de l’Etat ont été condamnés. En ce qui concerne l’action civile, le président du tribunal a rejeté la constitution en tant que parties civiles de Omar Rebrab, Emin Auto et des deux frères Achaibou, ainsi que le ministère de l’Industrie.

Il n’a retenu que celle de l’AJT (Agent judiciaire du Trésor), qui représente les intérêts du Trésor public, et qui avait estimé la valeur du préjudice à 309 milliards de dinars, réclamés aux membres de la famille Tahkout et le paiement de 32 millions de dinars d’amende par chacune de leurs sociétés.

Le prononcé de ce verdict a suscité la colère des nombreux travailleurs du groupe Cima Motors et de la chaîne Numidia TV appartenant à Mahieddine Tahkout.

«C’est injuste. La justice doit prévaloir. De nombreux pères de famille vont se retrouver au chômage…», lance du fond de la salle un membre de la famille Tahkout, et du box, Bilel Tahkout lui réplique : «Nous ne sommes pas des voleurs». Pas satisfaits de la sentence, les avocats de l’homme d’affaires comptent faire appel de la décision auprès de la cour d’Alger. L’affaire dite Tahkout ne semble pas avoir livré tous ses secrets…

Ouyahia, Sellal, Yousfi et la Covid-19

Hospitalisés depuis samedi dernier au pavillon carcéral du CHU Mustapha à Alger, «l’état de santé des deux ex-Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, s’améliore», à en croire leurs avocats. Le mystère qui entoure la dégradation de leur état de santé commence à être percé.

Selon nos sources, Ahmed Ouyahia aurait été contaminé par la Covid-19, probablement lors de son déplacement au cimetière de Garidi, à Alger, pour assister à l’enterrement de son frère et avocat, Me Laifa Ouyahia. «Après l’audience de mercredi dernier, il a commencé à sentir une grande fatigue qui l’a empêché de rejoindre le tribunal le lendemain.

Quarante-huit heures plus tard, son état s’est dégradé, au même titre que celui de Abdelmalek Sellal, avec lequel il partageait le banc des accusés.

Les deux ont été transférés à l’hôpital où ils sont déclarés positifs. Ils se sentent très mal. Des mesures sont prises, notamment l’isolement de deux autres prévenus en détention, Youcef Yousfi et Farouk Boudraâ, qui étaient en contact avec Ouyahia, lesquels ont été également transférés à l’hôpital pour des soins.

Les quatre réagissent très bien au traitement et leur état s’est amélioré», indiquent nos sources. Hier, les familles de Youcef Yousfi et de Farouk Boudraâ étaient très inquiètes. Aucune information ne leur a été donnée, jusqu’à hier, sur l’état de santé de leurs proches. S. T.