Brisez les chaînes qui entravent l’Algérie

Nadjib Belhimer*, 15 juillet 2020

 

Mme Fatima Krim est décédée. Elle est l’épouse du Moudjahid, Amara Laskri, dit Bouglez, colonel de l’ALN et membre du CNRA (Conseil national de la révolution algérienne), l’un fondateurs de la base de l’est, et l’un des dirigeants de l’offensive du nord-constantinois avec le chahid Zighoud Youcef.

Mme Fatima Krim n’est pas que cela. Elle est aussi la mère du prisonnier politique Djamel-Eddine Laskri qui croupit en prison depuis 28 ans, après qu’une cour spéciale ait prononcé à son encontre une condamnation à mort dans l’affaire de l’attentat de l’aéroport. Cette cour spéciale l’avait pourtant innocenté de l’accusation d’avoir placé des explosifs.

La cour spéciale qui a condamné l’ingénieur Djamel-Eddine Laskri a été dissoute mais son verdict est resté. Ensuite est venue la charte de la paix et de la concorde dont l’article 10 dispose que « les procédures stipulées aux articles 5, 6, 8 et 9 ci-dessus ne s’appliquent pas aux personnes qui ont commis des actes de massacres collectifs, de sacrilège, ou l’utilisation d’explosifs dans des lieux publics, ou y ont pris part ou ont incité à leur commission. »

C’est sur la base de cet article, une fois la charte de la paix et la réconciliation approuvée, que les avocats réclament la libération de Djamel-Eddine Laskri. Et pour cause, la cour spéciale l’avait innocenté de l’accusation d’utilisation d’explosifs. Elle l’a condamnée pour « appartenance à un groupe terroriste », une accusation accolée à tous ceux qui étaient arrêtés en raison leur affiliation ou pour leur sympathie avec le Front islamique du salut (FIS). Vingt-huit ans plus tard, la réponse du pouvoir est la même : le silence.

L’honorable Mme Fatma qui a été rappelée à Dieu souffrait pour son fils détenu depuis 28 ans (Il a été arrêté durant l’été 1992 à la suite de l’attentat de l’aéroport d’Alger), elle avait perdu son mari le valeureux moudjahid, Amara Laskri en 1995, lequel n’a pas supporté le sort réservé à son fils.

J’ai rencontré la défunte pour la première fois dans les couloirs du tribunal de Sidi M’hamed. Elle était venue alors assister au nouveau procès des accusés dans l’affaire de la mutinerie de la prison de Serkadji. Djamel-Eddine faisait partie de ces accusés.

Son témoignage a été un moment décisif dans le procès car il a fourni un récit complet et cohérent sur le rôle de médiation assumé par feu Abdelkader Hachani et son issue. Avec un calme phénoménal et une fermeté extraordinaire, elle s’approchait du box des accusés et observait le visage de son fils. Elle a continué à assister aux séances du procès qui a duré deux semaines, elle a vécu ensuite les vingt ans qui ont suivies avec la même patience. Jusqu’à ce qu’elle quitte ce monde sans avoir eu de réponses à ses questions en suspens au sujet des véritables raisons qui empêchent la libération de son fils. D’autant qu’aucune raison ne fait obstacle à ce qu’il bénéficie des mesures d’amnistie prévues par la charte de la paix et de la réconciliation, lui qui a passé toutes les années de la crise sanglante en prison.

Une question à laquelle je ne trouve pas de réponse : pourquoi les accusés dans l’affaire Serkadji ont été rejugés alors que les condamnés par les tribunaux spéciaux, mis en place en flagrante violation des dispositions de la Constitution ne l’ont pas été ? L’acquittement de tous les accusés – dont Djamel-Eddine Laskri- dans l’affaire de Serkadji (à l’exception du gardien Hamid Mebarki, condamné à la prison à vie) était une autre preuve qui atteste de l’absence d’équité des jugements prononcés durant cette période.

Le dossier des prisonniers politiques des années 1990 est traité par le silence et l’occultation. Leurs vies s’éteignent derrière les barreaux, leurs familles meurent plus d’une fois chaque jour. Les choses ne s’arrêtent pas là. La crédibilité de l’Etat et la réputation de sa justice sont quotidiennement affectées de manière irréparable. Demain, des nouvelles générations qui n’ont pas participé à la prise de mauvaises décisions découvriront l’ampleur de la catastrophe dont elles héritent et son coût humain exorbitant.

L’Etat dispose de mécanismes juridiques et politiques permettant de lever les injustices qui l’entachent en maintenant ces personnes en prison. Leur mort, et beaucoup d’entre eux sont morts, ne va pas clore un dossier lourd. Ce ne sera qu’une complication supplémentaire qui fermera la porte à un retour vers la révision et privera l’Etat de la possibilité de corriger les erreurs et de faire face au passé récent avec le courage et la force qui lui siéent.

Il revient aux responsables, aux hommes de loi et aux élites d’assumer leurs responsabilités dans la défense de la réputation de l’Algérie en traitant les effets de choix qui se sont avérés erronés ; tous en conviennent, y compris ceux qui assumaient de hautes fonctions à cette époque.

Allah Yerham Mme Fatma Krim et son époux le moudjahid Amara Laskri Bouglez. Que Dieu aide Djamel-Eddine et son épouse. Que Dieu libère l’Algérie des chaînes des années 90 qui la font saigner.

 

* Traduit de l’arabe: https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=10220114528965637&id=1597762292

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