La saisie de deux navires de Sonatrach au Liban divise le gouvernement libanais : Une affaire sur fond d’une grave crise politico-énergétique

Salima Tlemcani, El Watan, 05 juillet 2020

L’affaire de la livraison de fuel «frelaté» par Sonatrach au Liban refait surface avec une déclaration du ministre de l’Energie libanais, Raymond Ghajar, qui pointe du doigt la décision de mise sous séquestre de deux navires de Sonatrach dans la pénurie qui asphyxie son pays. Sonatrach se retrouve ainsi objet de luttes politiciennes sur fond de grave crise énergétique, qui suscite la contestation populaire.

Le dossier du fuel «contrefait» refait surface au Liban, qui vit ces derniers mois une pénurie sans précédant de gasoil, qui a eu pour conséquence le rationnement drastique de l’électricité, qui ne cesse d’alimenter la contestation populaire et attiser la crise politique qui mine le gouvernement libanais.

Jeudi dernier, le ministre de l’Energie, Raymond Ghajar, a mis en cause, lors d’une conférence de presse, la «mise sous séquestre», par les autorités libanaises, de deux navires de la SPC Londres, filiale du groupe Sonatrach, chargés de carburant, au moment où la population se plaint du rationnement. «Le rationnement est dû à un manque de fuel. Si le fuel prend tant de retard à être livré, c’est à cause d’une affaire judiciaire», affirme le ministre, en accusant directement Sonatrach «de refuser» la livraison «avant la levée du séquestre sur ses deux navires».

Il précise que dès «cette levée, nous reviendrons au contrat qui était en vigueur» et «l’alimentation en fuel s’améliorera avec la première livraison, et la seconde qui se fera cinq jours plus tard, ainsi que la troisième qui doit intervenir le 17 juillet». La mise sous séquestre des deux navires a été décidée, il y a près d’un mois, par l’administration douanière à la demande de la justice, qui enquête sur des présumés chargements de gasoil «frelaté», destiné aux centrales électriques de l’EDL, dont elle se serait plaint au mois de mai dernier.

L’affaire avait défrayé la chronique, fait la une de la presse locale et suscité la réaction virulente d’une députée, qui a tiré à boulets rouges sur Sonatrach et l’Algérie, qualifiée de «pays mafieux». Un premier navire est mis sous séquestre, puis un deuxième. Très controversée, la décision ne fait pas l’unanimité, pour preuve, la déclaration du ministre de l’Energie libanais.

Du côté algérien, Sonatrach rejette toute responsabilité en précisant qu’il s’agit d’«une seule cargaison problématique», dont «les analyses effectuées à l’embarquement du fuel, effectuées par un bureau d’expertise indépendant, ont établi le respect des aux normes prévues par le contrat» qui lie la SPC Londres à l’EDL, signé en 2005, pour une période de 15 ans, renouvelable chaque trois ans, et qui expirera le 31 décembre 2020. «Ce n’est qu’à l’arrivée à destination que le ministère libanais de l’Energie a demandé d’autres analyses.

La SPC Londres n’a aucune responsabilité, à partir du moment où ce produit répondait aux normes contractuelles avant son embarquement sur le navire.» Dans une déclaration à El Watan, le directeur de la communication de Sonatrach a tenu à rappeler que «durant toute cette période, il n’y a jamais eu d’incidents ou de problèmes jusqu’à l’avant-dernière cargaison sur laquelle il y a eu des doutes, suivie de la dernière qui a été refusée et bloquée à ce jour à cause de l’affaire».

Depuis, un autre navire a été mis sous séquestre, suscitant l’arrêt de l’approvisionnement par la compagnie et des réactions virulentes à son égards par de puissants lobbys, qui veulent détourner l’attention de l’opinion publique sur la grave crise politico-économique que traverse le Liban, où s’est réfugié l’ex-ministre de l’Industrie, Abdessalem Bouchouareb, pour échapper aux nombreux procès dont il fait l’objet en Algérie, pour «corruption», «détournement de deniers publics», «trafic d’influence», «abus de fonction», etc.

Ould Kaddour rattrapé par Augusta

Il est important de préciser que les livraisons de fuel de la SPC à l’EDL proviennent, depuis janvier dernier, de la raffinerie Augusta, se trouvant en Italie, achetée par Sonatrach, alors dirigée par Abdelmoumen Ould Kaddour, dans des conditions suspicieuses auprès du géant américain ExxonMobil, à plus de 725 millions de dollars, sans compter les dépenses nécessaires à sa mise en conformité avec les normes environnementales.

Un gouffre financier pour le groupe pétrolier, présenté en 2018 comme investissement vital pour l’internationalisation de la compagnie. Pour de nombreux experts, cette transaction a été conclue dans des conditions douteuses, suscitant l’ouverture d’une enquête.

Saisi, le tribunal de Bir Mourad Raïs, près la cour d’Alger, a convoqué, jeudi dernier, de nombreux cadres de la compagnie et, après de longues auditions, a placé en détention l’ex-vice président de la commercialisation, Ahmed Mazighi, premier haut responsable poursuivi dans le cadre de ce dossier, qui certainement tracera la route pour inculper l’ex-PDG de Sonatrach, Abdelmoumen Ould Kaddour, actuellement à l’étranger et qui, faut-il le préciser, fait déjà l’objet d’autres poursuites, liées à d’autres affaires en lien avec l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, réfugié aux Etats-Unis, et qui lui auraient déjà valu un mandat d’arrêt international.


Raffinerie d’Augusta et mise sous séquestre de navires au Liban : Sonatrach et l’interminable imbroglio judiciaire

Nadjia Bouaricha, El Watan, 05 juillet 2020

Le feuilleton judiciaire de Sonatrach ne semble pas trouver son épilogue. La série noire continue pour la compagnie nationale des hydrocarbures qui, depuis son implication par l’ancien ministre Chabik Khelil dans des scandales de corruption, a du mal à sortir des couloirs de la justice.

En effet, après les affaires Sonatrach I et II, ayant révélé un vaste système de corruption orchestré entre la compagnie et ses partenaires étrangers par l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, voilà qu’une nouvelle affaire vient lever le voile sur l’acquisition douteuse de la raffinerie Augusta en 2018 sous la direction de Ould Kaddour.

Une acquisition qui avait fait à l’époque couler beaucoup d’encre tant sur l’opportunité d’un tel achat à un moment où la baisse des revenus du pays commençait à peser lourdement sur le Trésor public, mais aussi sur le choix d’une raffinerie dont la vétusté ne permet pas d’en faire un pôle industriel digne de ce nom. Sonatrach s’est même retrouvée obligée d’acheter du carburant émirati et saoudien pour faire tourner cette raffinerie, dont le mécanisme ne correspond pas à la nature de nos produits pétroliers.

La compagnie nationale a même contracté des prêts pour les travaux de maintenance de la raffinerie, qui tarde à être opérationnelle. Près d’un milliard de dollars ont été déboursés par Sonatrach pour acheter une raffinerie de 70 ans d’âge auprès de son ancien propriétaire américain ExxonMobil.

Non seulement la raffinerie est ancienne, mais Sonatrach se devait de faire des travaux de mise en conformité de ce complexe industriel avec les normes de respect de l’environnement (décontamination des sols). «S’il y a un dossier emblématique de la gestion hasardeuse – pour ne pas dire plus – que le secteur des hydrocarbures a subie ces dernières années en Algérie, c’est bien celui de l’achat de la raffinerie d’ExxonMobil à Augusta, en Italie, par Sonatrach», commentait en janvier dernier la revue Petrostratégie.

Une enquête judiciaire vient d’être ouverte par la justice algérienne afin de déterminer les tenants et aboutissants de cette acquisition douteuse au sud de l’Italie. Les premiers éléments de l’enquête ont mené à la mise en détention provisoire de l’ancien vice-président du groupe Sonatrach et conseiller de l’ancien Pdg Ould Kaddour, Ahmed Mazighi.

Ce dernier est poursuivi pour «dilapidation de l’argent public» et «abus de fonctions». Ould Kaddour avait défendu bec et ongles l’acquisition de la raffinerie et se refusait à répondre aux nombreuses critiques et cris d’orfraie lancés par des spécialistes pour alerter sur cette énième arnaque.

Pour rappel, Ould Kaddour, qui a quitté le territoire national après son limogeage de la tête de Sonatrach en avril 2019, coule des jours heureux dans ses nouvelles fonctions auprès d’ExxonMobil comme consultant.

Une affaire judiciaire implique Sonatrach, cette fois-ci, dans le pays du Cèdre et qui a révélé le choix hasardeux des partenaires de la compagnie à l’international. Une scandaleuse affaire de vente de fuel frelaté a éclaté au Liban en mai dernier impliquant Sonatrach. Depuis, deux navires de la compagnie nationale ont été mis sous séquestre au Liban.

Fin mai, la Direction des Douanes a saisi le navire de transport de carburant Asopos au large du port de Jounieh, car jugé chargé de fuel frelaté destiné aux centrales électriques de Zouk et de Jiyé.

Le ministre de l’Energie libanais, Raymond Ghajar, a justifié devant la presse de son pays la pénurie de fuel et le manque d’approvisionnement en électricité par la mise sous séquestre de ces navires algériens. «Le rationnement est dû à un manque de fuel.

Si le fuel prend tant de retard à être livré, c’est à cause d’une affaire judiciaire», a indiqué Ghajar en remettant en cause la mise sous séquestre des deux navires de la compagnie algérienne. «La mise sous séquestre des deux navires de Sonatrach devant livrer le fuel au Liban intervient alors que les Libanais se plaignent d’un rationnement de plus en plus drastique du courant électrique, et qui devrait empirer au moins jusqu’au 8 juillet», regrette-t-il.

Sonatrach refuse de livrer le carburant sans la levée du séquestre sur ses deux navires. La compagnie, qui avait réfuté les accusations d’une députée libanaise et fustigé le tollé médiatique ayant entouré cette affaire au Liban, a pris la décision de ne pas renouveler son contrat la liant, via sa filiale SPC de Londres, à l’Entreprise libanaise de distribution de l’électricité (EDL), devant prendre fin en décembre 2020.

Une enquête est, pour rappel, ouverte aussi du côté algérien afin de déterminer s’il y a implication ou non de Sonatrach dans cette affaire. Notons que la justice libanaise a mis aux arrêts Tarek Faoual, représentant libanais de Sonatrach au Liban.