Hausse alarmante des violences faites aux femmes

Des chiffres ahurissants depuis le début de l’année

Nouri Nesrouche, El Watan, 31 mai 2020

La Covid-19 et les polémiques qui occupent les réseaux sociaux et les médias lourds n’ont pas réussi à étouffer le phénomène de féminicide qui s’empare lui aussi de la Toile à cause des chiffres macabres enregistrés depuis le début de l’année, et les dernières nouvelles d’assassinats qui nous viennent de Tébessa.

A Mesloula, dans la commune d’El Aouinet précisément, un père a égorgé, vendredi dernier, sa fille de 17 ans avant de se rendre à la gendarmerie.

Ce dernier crime porte à 19 le nombre de femmes tués par des hommes, souvent de proches parents, mais ne reflète pas forcément la réalité, car dans la majorité des cas, ces affaires ne sont pas rendues publiques. «Ce n’est que le nombre de cas médiatisés dont on a pu vérifier la source, moi et d’autres militantes féministes.

Ce sont juste les cas qui ont été rendus publics d’une manière ou d’une autre, et je suis certaine qu’il en existe plus», affirme la militante féministe Amel Hadjadj. Un avis partagé par l’avocate Aouicha Bekhti, pour qui les affaires de féminicides prises en charge par ses collègues du barreau ne sont pas médiatisées.

Peut-on parler d’une recrudescence liée aux aléas du confinement sanitaire ? Oui, estime Mlle Hadjadj. «Je pense qu’une femme, qui vit en H24 dans un même espace avec son bourreau, va certainement subir davantage de violence.

Le confinement est une violence en soi et provoque des comportements violents chez les hommes prédisposés.» Beaucoup reste à faire pour endiguer ce fléau social lié directement au statut de mineur imposé à la femme par une société machiste et les discours de haine qu’elle subit impunément et au quotidien.

Les dispositifs instaurés depuis quelques années pour améliorer la place de la femme algérienne et la protéger contre les violences ne donnent pas satisfaction pour le moment.

«Les moyens et les dispositifs pour protéger les femmes n’existent pas. Même le numéro vert dédié à ce problème ne fonctionne pas», s’insurge Amel Hadjadj, qui souligne que l’action solidaire, qu’elle mène avec son réseau pour répondre aux appels de détresse et mettre à l’abri des femmes qui fuient la violence, est perturbée à cause du confinement et l’incapacité de ces victimes de se déplacer. En 2012, on a compté environ 300 femmes assassinées en Algérie.

Et cette année aussi, la tendance à la hausse donne froid dans le dos, d’autant que les pouvoirs publics continuent à faire preuve de passivité. «19, c’est déjà beaucoup trop.

C’est alarmant, mais on ne fait qu’attendre la prochaine et on ne bouge pas. Les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités, par l’application stricte des lois et l’élaboration de solutions intermédiaires.»

Et elle en veut pour exemple ce qui a été fait dans plusieurs pays, notamment la Tunisie, où le gouvernement a mis en place en une semaine un site pour accueillir les femmes victimes de violences pendant le confinement.

De son côté, Me Aouicha Bekhti s’interroge sur le silence prolongée des ministres de la Femme successives. «Souvenez-vous de l’assassinat de Razika à Bou Saada, de… au Khroub. Les militantes de la cause de la femme avaient manifesté, mais elle était où la ministre ?

La ministre actuelle est en train de distribuer des bavettes et des couffins d’aide aux nécessiteux, mais on ne l’entend pas s’agissant de ces violences», s’insurge notre interlocutrice.

L’avocate, très impliquée dans la cause féminine, estime aussi que l’Algérie a besoin d’une loi qui criminalise les violences faites aux femmes, et pas seulement des amendements.

«Les Tunisiennes l’ont fait après nous et l’ont obtenue, pourquoi pas les Algériennes, d’autant qu’elles se sont battues pour ça ?

Il faut criminaliser le discours sexiste qu’il soit religieux, politique ou administratif, parce que c’est le discours qui pousse à la haine contre la femme.

On a massacré la statue de Aïn El Fouara parce qu’elle représente une femme, idem pour la fresque qui vient d’être saccagée à Alger et dont l’auteur du saccage a bizarrement été innocenté !

Il faut d’abord médiatiser toutes les violences que subissent les femmes algériennes, et surtout, on doit parler de féminicide parce que la femme est brutalisée et tuée pour ce qu’elle est», conclut-elle.