Docteur Mohamed à propos de l’Algérie face à la pandémie de Covid-19

Dr. Mohamed, praticien hospitalier dans un hôpital de la région d’Alger

Entretien mené par Rafik Lebdjaoui, Algeria-Watch, 24 avril 2020

La pandémie du covid-19 est venue révéler au grand jour l’état de délabrement avancé des structures médicales en Algérie.

Des hôpitaux sans moyens, administrés en général par des hommes et des femmes inféodés au régime à qui ils doivent leur carrière.

Et des médecins démunis du minimum de matériel nécessaire pour affronter une situation de cette ampleur.

Cependant, la décision rapide du corps médical d’administrer l’association hydroxychloroquine-azithromycine semble donner des résultats positifs.

Pour connaître la réalité du terrain, nous nous sommes entretenus avec un médecin qui a souhaité garder l’anonymat.

La pandémie du Covid-19 se répand en Algérie, qui visiblement ne dispose pas de moyens de traitement des patients nécessitant une assistance respiratoire. Les mesures de confinement et les gestes barrière ordonnés, qui sont difficilement applicables pour plusieurs raisons objectives, ne devraient-elles pas être complétées par le port de masques ?

Les capacités pour le traitement des patients nécessitant une assistance respiratoire sont effectivement limitées. D’abord parce que outre un lit de réanimation et un appareil d’assistance respiratoire, une telle prise en charge nécessite un niveau d’organisation des soins très élevé et beaucoup de personnel soignant. Il y a deux facteurs qui concourent à cet état de fait :

Le développement des segments de soins pointus comme la réanimation a été largement bridé par des logiques de monopole qui a été un frein à l’essor de cette spécialité dans les hôpitaux publics malgré le grand nombre de spécialistes formés, lesquels s’orientent pour la majorité vers le secteur privé.
L’absence de tout plan stratégique pour la gestion de la ressource humaine au niveau central, qui a abouti à une situation de grave pénurie en ressources humaine dans le secteur infirmier, avec un impact direct sur les capacités de prise en charge.

Pour revenir aux masques, la question du port du masque dans la population générale n’a pas de réponse univoque :

Dans l’absolu, le port d’un masque même non médical, limite objectivement la quantité de gouttelettes de salive projetée lors d’un éternuement, d’un effort de toux et lors de la parole. De ce fait il pourrait réduire le risque de transmission de la maladie d’un porteur d’un virus respiratoire à ses contacts. Pour cette raison, le masque est formellement recommandé pour les personnes malades.

Pour la généralisation à la population générale, l’approche est pertinente au stade de circulation communautaire active du virus, où toute personne est potentiellement porteuse, d’autant qu’on sait maintenant que des porteurs sains (ne présentant aucun symptôme) peuvent transmettre la maladie.

Cependant, cette hypothèse n’a jamais été vérifiée. Les pays asiatiques ont effectivement intégré le port du masque dans la culture de leurs populations comme une mesure d’hygiène générale, bien acceptée par celles-ci depuis plusieurs années déjà et sa reconduction dans le cadre du Covid-19 est une chose naturelle, mais associée à une batterie d’autres mesures draconiennes.

Dans les autres régions du monde, cette culture n’existe pas, et la population n’est pas éduquée aux règles strictes qui doivent accompagner le port du masque (ne jamais le toucher une fois porté, et l’éliminer de façon sécurisée après usage). Sans le respect de ces règles, le masque qui est potentiellement contaminé une fois porté, devient une source de contamination, et pourrait augmenter les risques. D’autant qu’il procurerait à celui qui le porte un sentiment de fausse sécurité qui pourrait mener à négliger les autres mesures de protection comme la distanciation sociale et le confinement.

Par ailleurs, recommander le port du masque en population générale susciterait des convoitises envers les stocks de masques au niveau des hôpitaux qui en ont grand besoin, et des pratiques de détournements, qui existent déjà d’ailleurs, pourraient rendre la situation plus critique, d’autant que la faiblesse de notre organisation hospitalière fait qu’on ne maîtrise pas encore la gestion de cet accessoire devenu indispensable.

Compte-tenu de ces incertitudes, le port du masque en population générale est une mesure possiblement utile mais insuffisante si elle n’est pas associée à la distanciation sociale et à une hygiène rigoureuse des mains. C’est ce qui explique aussi qu’elle est diversement adoptée selon les pays. Dans notre pays, pour l’instant il est préférable à mon sens de se concentrer sur les mesures dont l’efficacité est prouvée. En tout cas, si le masque est porté, il faut qu’il soit clairement expliqué qu’il s’agit d’une mesure altruiste (l’on protège les autres, mais l’on n’est pas forcément protégé).

Les patients sont-ils tous traités par l’association hydroxychloroquine-azithromycine? Si c’est le cas, sont-ils tous hospitalisés ?

Ce protocole thérapeutique est actuellement largement utilisé en Algérie. Le traitement est en général débuté en milieu hospitalisé, et continué à domicile si l’état du malade s’améliore (généralement après 5 ou 6 jours).

A Blida, épicentre de l’épidémie, ce protocole est crédité de la diminution du nombre de malades admis en réanimation. Par ailleurs, les craintes fortement médiatisées outre- mer concernant la toxicité potentielle de ce traitement ne semblent pas se vérifier en pratique.


Les kits de dépistages faisant défaut et le scanner diagnostic ne pouvant être réalisé à grande échelle, peut-on envisager le traitement ambulatoire des personnes à risque présentant des symptômes et pouvant être suivi par le médecin de ville ?

C’est effectivement envisageable surtout en cas de saturation des capacités d’hospitalisation. Il y a un sérieux obstacle cependant, la médecine de ville est encore largement handicapée par le manque de moyen de protection

L’institut Pasteur d’Alger centralise le diagnostic du coronavirus. Cette centralisation excessive est visiblement dépassée. Que pensez-vous des initiatives en région, à l’instar du laboratoire de l’université de Tizi Ouzou ?

Cette décentralisation est la bienvenue. Elle a trop tardé à venir, et nous la devons – à quelque chose malheur est bon – au covid -19 grâce auquel elle a pu se faire, en marche forcée, pour couvrir plusieurs régions du pays. Elle a même concerné tout récemment pour la première fois un laboratoire privé à Batna.

Ce retard est dû à l’absence d’une stratégie de renforcement des capacités diagnostiques dans le cadre de la sécurité sanitaire nationale, ni d’une réelle politique de santé d’ailleurs.

La technique utilisée (PCR) est un outil diagnostique puissant qui contribuera, au-delà du Covid-19, au diagnostic de nombreuses autres maladies infectieuses. Espérons que ces acquisitions survivent à la conjoncture.

La mobilisation du corps médical est largement reconnue mais sur les réseaux sociaux certains déplorent la désertion de nombreux soignants (en « arrêt maladie »). Est-ce un phénomène réel. S’il n’est pas exagéré, quels enseignements pourrait-on en tirer ?

Le phénomène est bien réel. Si des professionnels sont effectivement engagés sans réserve face à ce péril commun, beaucoup d’autres, tous corps confondus, ont eu, et continuent à avoir des comportements déplorables, voire répréhensibles. Arrêts maladies en masse, mises en auto-confinement pour contact allégué avec un patient covid-19, mais aussi toutes sortes de résistances à l’admission de patients covid-19 dans certains services. Ces comportements accentuent la charge de travail sur ceux qui n’ont pas déserté, et ont même mené à des situations conflictuelles dans certains établissements.

Cette situation tient à plusieurs facteurs :

– une gestion désastreuse de la ressource humaine : Recrutements de complaisance dans les grandes villes, laxisme généralisé (paix sociale à tout prix).

– Une évolution des valeurs professionnelles du personnel hospitaliser, notamment médical, en rupture avec l’organisation hospitalière qu’il est sensé servir, laquelle incarne à ses yeux l’ « échec du système de santé », un échec dont il ne se sent pas partie prenante, d’autant qu’il estime qu’il n’a pas été valorisé à sa juste valeur, raison pour laquelle il ne consentira aucun sacrifice. Ces évolutions en rupture avec l’hôpital public se sont développées surtout suite à l’essor du modèle de réussite incarné par le secteur privé , et se nourrissent en partie du ressentiment laissé par le dispositif du service civil, vécu comme une injustice.

Tout ceci témoigne de la profonde crise structurelle qui mine le secteur de la santé, fruit de décennies de non-gouvernance.

Les enfants ne développent pas ou exceptionnellement de formes graves du Covid-19, mais un décès récent à Ouargla n’a-t-il pas incité à traiter également les enfants à risque ?

Les formes graves de Covid 19 dans la population pédiatrique semblent effectivement exceptionnelles aussi bien dans les séries chinoises qu’européennes, avec une mortalité exceptionnelle, généralement le fait de terrains particuliers. Dans une série madrilène, les formes pédiatriques représentaient 0,8% de tous les cas prouvés, avec aucun décès.

C’est sans doute la raison pour laquelle les directives nationales n’évoquent pas le cas particulier de l’enfant (ni celui de la femme enceinte d’ailleurs).

Si le traitement des formes à faibles risque, les plus fréquentes, devraient être justifiables du seul confinement à domicile, une forme potentiellement sévère est certainement éligible au traitement évoqué ci-dessus, avec les adaptations que requiert cette tranche d’âge.

Les consultations et hospitalisations non urgentes étant reportées, comment s’organisent le suivi des patients atteints de maladies chroniques ? La téléconsultation est un outil intéressant, notamment en période de confinement : qu’en est-il en Algérie ?

Officiellement, la continuité des soins hors covid-19 est assurée dans le secteur public, mais les activités ont été sévèrement impactées par la pandémie. Des réactions de panique chez des professionnels de la santé ont amené dans certains cas à des fermetures intempestives, qui ont concerné jusqu’aux activités de vaccination, justifiant un rappel à l’ordre du ministère de la santé. Cependant, là où les consultations sont ouvertes, ce sont les patients qui ne viennent plus consulter, par peur de contracter la maladie. La baisse d’affluence est nettement ressentie, ce qui laisse craindre après le passage de la pandémie une nouvelle vague, cette fois de maladies chroniques compliquées.

Les fermetures ont concerné de façon plus importante le secteur libéral, au motif l’indisponibilité de moyens de protection. Néanmoins, des médecins libéraux s’organisent ici et là pour mettre en place des solutions à type de consultations téléphoniques.

Dans le secteur public, en dehors du numéro vert mis en place pour le covid-19, la téléconsultation occupe encore une place marginale.