Les algérois, entre précautions et relâchement : Confinement partiel, risque total…
Mustapha Benfodil, El Watan, 01 avril 2020
Avant même le passage au confinement partiel, Alger a connu une baisse d’activité drastique. Depuis la promulgation des dernières mesures préventives, le visage de la capitale s’est métamorphosé davantage. Le paysage urbain a désormais toutes les apparences d’une ville fantôme, avec, partout, des rues vides et des rideaux baissés.
Alors que le nombre des victimes du coronavirus progresse de façon inquiétante dans notre pays, les Algérois s’adaptent tant bien que mal aux contraintes imposées par les mesures de confinement prescrites par les autorités.
Pour rappel, celles-ci prévoient notamment, à travers le territoire de la wilaya d’Alger, «un confinement de 19h au lendemain à 7h du matin (…) ; l’interdiction de tout rassemblement de plus de deux personnes ; les marchands ambulants de produits alimentaires sont autorisés à exercer leurs activités en rotation par quartier, tout en évitant tout attroupement».
Il a été décidé, en outre : «Dans tout établissement et lieu recevant le public, doit être respectée une distance de sécurité obligatoire d’au moins un mètre entre deux personnes, à charge pour les administrations concernées de veiller au respect de cette distance de sécurité, au besoin en faisant appel à la force publique.»
Avant même le passage au confinement partiel, Alger a connu une baisse d’activité drastique. Depuis la promulgation des dernières mesures préventives, le visage de la capitale s’est métamorphosé davantage. Le paysage urbain a désormais toutes les apparences d’une ville fantôme, avec, partout, des rues vides et des rideaux baissés.
Cependant, en y regardant de plus près, le quotidien des Algérois nous offre des images contrastées. D’un côté, il y a effectivement ces grands boulevards déserts, ces magasins fermés, ces transports paralysés, ces administrations publiques fonctionnant au ralenti, et – fait rare – une circulation automobile étonnamment fluide…
Les rares commerces ouverts, essentiellement les pharmacies, les supérettes, les bureaux de tabac, certaines boulangeries… se sont évertués à instaurer des règles de sécurité sanitaire.
Ce lundi 30 mars, on pouvait observer devant un marchand ambulant de produits laitiers, sur le boulevard Aïssat Idir, des clients faisant la queue en se tenant scrupuleusement à distance les uns des autres. Une pharmacie de la rue Hassiba Ben Bouali, à l’instar de plusieurs autres officines de la capitale, a aménagé un guichet à l’entrée de la pharmacie pour se prémunir contre tout risque de contamination.
Plusieurs bureaux de tabac ont installé, eux aussi, leur comptoirs au seuil de leurs boutiques pour éviter que les clients s’y entassent. Devant une agence bancaire, rue Didouche, en face de la Fac centrale, les clients attendent leur tour à l’extérieur. Deux personnes seulement sont admises à la fois. Dans certaines supérettes et boulangeries, des gestes barrières sont là encore instaurés.
Il faut citer également toutes ces équipes de désinfection qui sillonnent les rues. Dans cet effort de salubrité publique se conjuguent l’action des services municipaux, celle des membres du Croissant-Rouge et autres initiatives citoyennes menées par des bénévoles.
«Il y a vraiment urgence !»
Tout cela est parfait et dénote d’un effort soutenu pour prémunir la ville contre les assauts du monstre invisible. Cela dit, force est de constater que nous avons encore une bonne marge de progression pour assurer une meilleure protection à nos zones urbaines.
Car à côté de cette panoplie de précautions, d’autres scènes enregistrées dans les rues d’Alger donnent à voir une forme de relâchement et une baisse de vigilance face à l’épidémie. Les étals de fruits et légumes de Clauzel et Ferhat Boussaâd (ex-Meissonnier) continuent à recevoir des cohortes de consommateurs faisant tranquillement leur marché.
A Bab El Oued, à la cité Climat de France, à Bologhine, Raïs Hamidou, Bains Romains, Baïnem, Aïn Benian…, on rencontre partout des grappes et des groupes de riverains massés aux bas des cités ou bien se bousculant devant un magasin pour un sac de semoule ou un sachet de lait. Et sans doute les mêmes images se répètent-elles dans la banlieue Est de la capitale.
Sur certains chantiers de construction, des manœuvres (dont nombre d’ouvriers chinois) continuent à trimer sous peine de perdre leur emploi. Autre image parlante : sur une plage près du port de plaisance de La Madrague, des familles prennent l’air à défaut de pouvoir emmener leurs enfants aux parcs.
C’est vrai que les distances, pour le coup, sont respectées, et beaucoup s’en tenaient à leur périmètre de sécurité sanitaire lors de notre passage. Mais les enfants finissaient parfois par jouer les uns avec les autres, ce qui est tout à fait normal, obligeant telle maman à rappeler à l’ordre son bambin pour éviter tout contact aux conséquences fatales par ces temps de fulgurances virales.
«C’est injuste ! Nous on se tue à observer minutieusement le confinement en privant nos enfants du moindre brin d’air, en prenant le maximum de précautions, et pendant ce temps, beaucoup continuent à sortir, à s’amuser, à s’éclater en groupe sans aucun problème en faisant prendre des risques inconsidérés à tout le monde.
Là, il y a vraiment urgence, c’est très sérieux ! Si tu ne penses pas à ta personne, pense aux autres, à tes parents, à tes proches. C’est une responsabilité collective», s’émeut une citoyenne. C’est la stricte vérité : beaucoup de nos concitoyens sous-estiment la menace.
Par déni, par fatalisme, par insouciance, par défiance ou simplement par ennui, ils sont nombreux, en effet (le plus souvent des hommes), à faire fi des mesures de prévention martelées à longueur d’appels à rester chez soi.
Il faut souligner aussi que pour des secteurs entiers de la population, l’isolement à domicile relève tout simplement du défi logistique, quand on connaît les conditions de vie des plus défavorisés. Pour les familles les plus déshéritées, c’est une épreuve dans l’épreuve, entassées qu’elles sont comme des sardines dans des logements insalubres.
«On essaie d’occuper les enfants comme on peut en les empêchant à tout prix de sortir. Ce fléau ne pardonne pas ya oulidi. On doit se supporter, même en étant les uns sur les autres. T’koun essaha bark (il n’y a que la santé qui compte)», témoigne une grand-mère vivant avec son fils, sa belle-fille et leur quatre enfants dans un modeste appartement.
Comme un air de ramadhan
L’ambiance à Alger depuis le début du confinement ressemble étrangement à celle du Ramadhan. Le matin, les principales artères de la capitale sont peu animées. Les gens vaquent discrètement à leurs emplettes. Puis, les rues et les places se remplissent progressivement.
En fin de journée, elles grouillent carrément de monde, particulièrement à l’approche du couvre-feu, tandis que les patrouilles de la police se mettent à multiplier les rondes en sommant les Algérois de se terrer chez eux.
Les voitures se mettent alors à fendre les boulevards à vive allure, le couvre-feu remplaçant l’adhan de la rupture du jeûne. Dans les petits quartiers, on grapille encore quelques minutes en prolongeant la discussion avec ouled el houma, on grille une dernière cigarette avant de rentrer… «Comme si le coronavirus ne circule que de 19h à 7h du matin, c’est ridicule !» ironise une internaute sur Facebook.
Dans un entretien accordé à TSA, le Dr Mohamed Bekkat Berkani, président de l’Ordre des médecins et membre de la commission scientifique de suivi de l’évolution de l’épidémie de Covid-19, estime que le confinement partiel a montré ses limites : «Très certainement, nous nous dirigeons vers un confinement national et total. J’ajouterai que le plus tôt sera le mieux !» a-t-il déclaré au site électronique.
Et de faire remarquer : «Il faut que nos compatriotes sachent que nous sommes dans une situation exceptionnelle, et que la discipline tant individuelle que collective doit l’emporter.» Dans une autre déclaration faite au même média, le Dr Bekkat Berkani recommandait : «Le message que nous voulons faire passer est que les Algériens, de façon volontaire, se mettent en confinement total.
Qu’ils comprennent que s’il y a une mesure de confinement total et national qui sera décidée, qu’ils y soient préparés et qu’ils y prennent l’habitude. Qu’on ne prenne pas les choses à la légère. Jusqu’à aujourd’hui, les gens vaquent à leurs occupations, faisant fi de la menace qui est réelle et vérifiée.»