La Silmiya, le coronarovirus et les manœuvres du régime
Hacène Loucif, 20 mars 2020
La pandémie du coronavirus à mis à nu une triste réalité en Algérie : l’incapacité du pays à faire face à une telle situation. En 58 ans d’indépendance, l’état catastrophique dans laquelle se trouve le secteur de la santé publique montre que la prise en otage de l’État par le régime militaire a empêché la réalisation de la souveraineté nationale après une indépendance territoriale chèrement payée.
Pire encore ! La junte militaire a brisé les instruments politiques de construction de cette souveraineté dans les différents domaines de la vie publique.
Comment le régime tente d’utiliser le coronarovirus
Le désigné d’El Mouradia a, enfin, parlé ! Cependant, qu’en est-il de son discours prononcé le 17 mars dernier?
D’abord, un mensonge. «Depuis l’annonce de l’apparition de ce virus en Asie, l’État a pris des mesures urgentes et préventives à même de pouvoir faire face, de manière efficace, à cette épidémie si elle venait à se propager dans notre pays, la santé étant pour l’homme le plus précieux des bienfaits, et la santé du citoyen, son bien-être et sa dignité, les plus importantes à préserver pour l’État.» Ces «mesures urgentes et préventives» sont tellement efficaces que, de l’aveu de M.Tebboune lui-même, le pays ne dispose de « 2 500 lits de réanimation, un nombre appelé à augmenter en cas de nécessité pour atteindre 6 000 lits avec la garantie de 5.000 respirateurs artificiels».
Pour un pays qui compte plus de 43,39 millions d’habitants, les chiffres avancés par M.Tebboune concernant les moyens prévus par les autorités pour faire face à une éventuelle progression du Covid-19 en Algérie sont loin d’être rassurants.
Gouverner, c’est prévoir. Or, la junte militaire est dans le réflexe.
Elle ne sait plus à quel stratagème se vouer pour se maintenir au pouvoir. Elle voudrait bien donner l’impression de maîtriser la situation, faire croire que la suspension des manifestations populaires du mardi, du vendredi et du samedi fait suite à une décision venant de ses hautes sphères…Cette illusion est portée par la 5e mesure des « décisions » annoncées par M.Tebboune :
«- Interdiction des rassemblements et des marches quelles que soient leur forme et leur nature et isolement de tout endroit suspecté d’être un foyer de la pandémie.»
Cependant, les temps en changé !
Les Algériens ont pris les devants. Partout dans le pays, l’on assiste à un élan de réinvention des solidarités, à des initiatives citoyennes de désinfection des lieux publics et à des campagnes de sensibilisation sur les dangers de la propagation du Covid-19 qui renouvellent les rapports de l’être algérien à la vie. Cependant, il est vrai que l’Algérie vit une situation inédite où le formidable coup d’accélérateur donné à l’histoire par le peuple doit faire face à la pandémie du coronavirus et à l’irresponsabilité du régime. En de telles circonstances, il n’est pas facile de faire un choix. Les événements se succèdent et les informations s’entassent à une vitesse inouïe !
Cela dit, les appels à un arrêt temporaire des marches se sont succédé. En conséquence, lors du mardi 56 de la Silmiya, le mot d’ordre d’éviter les manifestations et de réfléchir à d’autres formes de mobilisation a été globalement suivi.
La Silmiya est une accélération de l’histoire. Elle ne peut pas être arrêtée par des tentatives d’instrumentalisation des peurs en contexte de pandémie. Au contraire, elle offre aux Algériens l’occasion de diversifier les formes de contestation, de méditer sur le sens profond de leur révolution, celui de la vie. Elle les invite à penser les rapports entre l’être humain et les éléments constitutifs de la nature, à identifier les sources des nouveaux pouvoirs qu’ils recèlent, à élargir les horizons du possible, à étendre les perspectives de redéfinition de la souveraineté, à participer activement à la construction humaine de leur citoyenneté, à l’émergence d’une nouvelle conscience de « démondialisation » libératrice du modèle de domination ultralibérale globalisée.
Aujourd’hui, être algérien, c’est être à la fois nord-africain, africain, méditerranéen et enfant de «la terre-patrie».
La police politique redouble de férocité
Le direct est choquant ! La vidéo montre le jeune activiste Ibrahim Daouadji au volant de sa voiture. Les faits se déroulent dans la ville de Mostaganem. «Une 208 blanche banalisée (année) 2015 des services de renseignements est derrière moi. Ils veulent m’enlever ! Il sont entrain de me bloquer la route avec l’aide de la police. Il veulent n’emmener alors que je n’ai pas reçu de convocation. Il veulent un retour aux années 1990 où ils prenaient des militants dans la rue !» lance-t-il. Au bout d’un moment, le jeune Ibrahim parvient à filmer, à l’aide de son portable, la voiture banalisée de la police politique. Enlevé le 16 mars 2020, il passera quatre jours sans que l’on sache ce qui lui est arrivé. Le 19 mars, il a été mis sous mandat de dépôt par le tribunal de Sidi M’hamed, après avoir été victime de la torture. C’est ce que le Dr Salah-Eddine Sidhoum, militant connu des droits de la personne humaine en Algérie a rapporté sur son mur de Facebook:
«Notre compatriote Brahim DAOUADJI a subi des violences physiques lors de son arrestation et des traitements humiliants et dégradants durant sa détention dans les locaux de la police politique»
En plus des enlèvements, de la torture et des affaires créées de toute pièce pour faire taire les activistes politiques, la police politique fait miroiter le spectre du retour aux années de la guerre contre les civils.
Pire encore, la junte militaire se sert de l’impunité comme instrument de recyclage de certains de ses généraux notoirement connus pour leurs crimes contre l’humanité durant les années 1990 pour tenter de se régénérer. C’est à cet impératif que répondent les récentes nominations du général-major Abdelaziz Medjahed «comme conseiller à la Présidence, en qualité de chargé des affaires sécuritaires et militaires», du général-major El Mansour Benamara, dit «hadj Redouane», comme «conseiller discret» à El Mouradia et du général-major Ammar Athamnia, «commandant des forces terrestres», un poste qui pèse beaucoup dans l’accession à la chefferie de l’État-major de l’armée.
De plus, la junte militaire tente de puiser dans les archaïsmes de la société pour construire un simulacre de leadership politique pour la Silmiya. Ce simulacre, le régime tente de lui donner des noms, des prénoms et des cadres issus de la mobilisation des imaginaires confinés dans les représentations antagoniques des identités segmentaires.
L’impunité, c’est la négation de la vérité et de la justice dont l’esprit habite l’être politique réhabilité par le peuple.