Tribunal de Bir Mourad Raïs: Anis Rahmani sous mandat de dépôt

Salima Tlemcani, El Watan, 15 février 2020

Les alentours du tribunal de Bir Mourad Raïs, à Alger, ont connu une effervescence particulière durant la nuit de jeudi à hier, après l’annonce de la nouvelle de l’arrestation du sulfureux patron de la chaîne de télévision privée Ennahar et du groupe qui porte son nom, Anis Rahmani, de son vrai nom Mohamed Mokadem. L’information s’est répandue telle une traînée de poudre et des dizaines de personnes ont afflué vers le tribunal et ont carrément envahi l’entrée du bâtiment.

Anis Rahmani était convoqué mercredi dernier, au milieu de l’après-midi, par la brigade de la gendarmerie de Bab J’did, pour être entendu sur des affaires de «transferts illicites», «trafic d’influence» et «enrichissement illicite», en tant que PDG du groupe Ennahar, qui englobe plusieurs sociétés, dont la chaîne Ennahar, le journal Ennahar, le site Ennahar Online, mais aussi une société de transport, une boîte de communication, une agence de voyages, etc.

L’audition aura duré plusieurs heures, suivie par des perquisitions dans cinq lieux différents, avant, très tard dans la soirée de jeudi, soit 28 heures après, sa présentation devant le procureur de Bir Mourad Raïs, où de nombreux citoyens attendaient son arrivée depuis des heures. Vers 22h, dès sa descente du fourgon qui le transportait, les gendarmes ont eu du mal à protéger le mis en cause d’une foule en colère. Anis Rahmani semblait très affecté par ces réactions.

Son entrée au tribunal entouré de plusieurs gendarmes et d’agents en civil, qui formaient un véritable cordon humain de sécurité, a été retransmise par une grande partie des chaînes de télévision privées, avant que la chaîne Ennahar ne décide de rendre publics deux communiqués dans lesquels elle annonce la garde à vue et la présentation devant le parquet de son PDG.

Minuit passé, Anis Rahmani est déféré devant le juge d’instruction qui, trois heures plus tard, le place en détention provisoire. Un de ses avocats a déclaré, sur les réseaux sociaux, n’avoir «jamais vu quelqu’un faire l’objet d’une telle campagne d’incitation à la haine et de diffamation comme l’a été Anis Rahmani», accusant «certains services et certains parmi ceux qui ont cru à l’ogre», sans les citer.

Il a ajouté que le patron de la chaîne Ennahar a été durant ces dernières années au centre de graves polémiques mais aussi de luttes d’appareil et de centres de décisions au plus haut niveau de l’Etat. D’abord en défendant Chakib Khelil, ancien ministre de l’Energie, accusé de corruption dans l’affaire Sonatrach, et s’attaquant aux services qui ont mené l’enquête, au procureur général d’Alger (actuel ministre de la Justice) puis en se mettant à dos de nombreux artistes poursuivis par la justice, et enfin en menaçant directement l’ex-coordinateur des services de renseignement, le général-major à la retraite Bachir Tartag, dans une communication téléphonique (qu’il a rendue publique), entre lui et l’ancien officier de la sécurité intérieure, le colonel Smain, actuellement à la retraite.

Le journaliste bénéficiait d’une «protection» de Saïd Bouteflika, frère du Président déchu, et il ne le cachait pas. L’arrivée de Abdelmadjid Tebboune à la tête de l’Etat semble avoir changé la donne. Le nouveau Président n’aurait certainement pas oublié que lors de son escapade en France, en Turquie et en Albanie, à l’été 2017, la chaîne Ennahar était la première à avoir mené campagne contre lui, en donnant des détails sur cette affaire jamais élucidée.

Même durant la campagne électorale du 12 décembre dernier, la chaîne de télévision semble avoir opté pour un autre candidat que Abdelmadjid Tebboune.