Le poids politique des deux partis de plus en plus remis en cause : Le FLN et le RND dans l’incertitude
Nabila Amir, El Watan, 13 janvier 2020
Depuis le début du mouvement populaire du 22 février 2019, le FLN et le RND, deux partis politiques qui ont longtemps été les béquilles du pouvoir, vivent la plus sombre page de leur histoire.
Ils sont confrontés à la grogne de la rue qui réclame sans cesse le placement du FLN au musée de l’histoire et des bases qui manifestent ouvertement leur hostilité aux directions qu’elles considèrent illégitimes. D’ex-secrétaires généraux de ces appareils ainsi que d’anciens ministres issus de leurs rangs sont en prison pour «corruption» et «mauvaise gestion».
Ce qui n’est pas fait pour arranger l’image de marque de ces partis. Dans le contexte actuel et avec cette nouvelle donne, quel est le poids politique de ces partis ? Quel est aujourd’hui le devenir de ces deux entités ? Vont-elles disparaître ou vont-elles s’adapter à la situation ? Le passif de ces partis est trop lourd pour qu’ils puissent renaître à l’identique et espérer reprendre la main sur la scène politique.
Pour beaucoup d’observateurs, ces partis politiques sont dans une sorte de «point mort» : pas de nouveaux leaders qui émergent, pas de nouvelles idées ni de nouvelles thèses. Au menu quotidien de leur réunion, des bagarres et des démissions en cascade de cadres, d’élus et de militants.
Les cadres de ces entités politiques, notamment ceux du FLN, ne nient pas cet état de fait. Tous attendent la tenue du congrès pour opérer, disent-ils, les «bouleversements escomptés». Abdelouahab Benzaim, sénateur FLN et candidat au poste de président du Conseil de la nation, admet que le FLN passe par une «phase très difficile», mais seul les Algériens, selon lui, décideront du sort et du devenir de l’ex-parti unique. «Si le peuple nous tourne le dos lors des élections, nous allons reprendre à zéro et remettre sur les rails le FLN», assure-t-il.
A ce sujet, le verdict des Algériens est connu ! La génération à l’origine du mouvement populaire en cours récuse la légitimité historique dont se réclament encore les caciques de ce parti. Benzaim tient à nuancer. Pour lui, les Algériens ne sont pas tous contre le FLN. Bien au contraire.
Néanmoins, il confirme qu’un «toilettage» dans les rangs de ce parti s’impose pour changer les mentalités et pouvoir reconstruire le FLN affaibli à tous les niveaux. «Nous sommes en train de combattre les vieux dinosaures qui refusent de passer le flambeau aux jeunes et aux compétences. Le travail en coulisse a commencé et nous allons opérer un changement radical lors du congrès prévu en mai prochain.
Nous militons pour la reconstruction du FLN détruit par les opportunistes», soutient le sénateur. Dans cette perspective, le secrétaire général par intérim, Ali Seddiki, a convoqué une réunion des mouhafedhs et des présidents des commissions transitoires pour débattre des questions de l’heure et établir un état des lieux clair de la situation.
Seulement, cette rencontre a été empêchée, au début, par des dizaines de jeunes se présentant comme «mouvement de sauvegarde du parti». Les jeunes manifestants entendent, à travers leur action, «arracher le parti des mains des résidus de la » Issaba » (gang) afin de le remettre sur la voie »du novembrisme » originel et authentique». Ils réclament un congrès extraordinaire.
Ces deux partis «ont fait du mal» au pays
Il promet un débat libre sur toutes les questions afin d’établir un état des lieux clair de la situation. Beaucoup de militants excluent l’idée de l’enterrement du FLN. Ils en veulent pour preuve la désignation à la tête de l’Exécutif de Abdelaziz Djerad, un membre du comité central et le nouveau Président qui possède toujours, selon eux, la carte de militant du FLN. Analysant le cas de ces deux partis, le politologue Mohammed Hennad craint que le nouveau pouvoir ne donne juste l’impression de vouloir se démarquer desdits partis, mais seulement pour un temps, peut-être, en attendant, dit-il, «la décantation». Pour Hennad, une chose est certaine, le FLN et le RND sont en train d’essayer de reprendre «du poil de la bête» et de tout faire pour le maintien du système. Il va sans dire, que ces «deux formation ont fait beaucoup de mal au pays et leur disparition sera considérée comme un bon signe – quasiment une condition sine qua non – pour l’avènement d’une ère nouvelle».
Seulement Benzaim, Boumehdi et leurs pairs battent en brèche cette hypothèse ainsi que les appels de certaines parties, y compris de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) qui exige «la libération» du FLN pour qu’il occupe la place qui lui revient de droit «Nous sommes un parti agréé par le ministère de l’Intérieur et qui participe à la vie politique. Nous avons pris part aux différentes échéances. Seule la justice peut dissoudre le FLN. Pour l’heure, le parti n’a commis aucune infraction pour que l’on procède à sa dissolution», se défendent les militants du parti.
Sur le plan juridique et selon la Constitution, les deux partis, se réjouissent leurs militants, ont leur mot à dire, parce qu’ils ont la majorité à l’Assemblée, au Conseil de la nation ainsi que dans les APC et les APW et ils sont présents sur l’ensemble du territoire national et sont structurés de manière optimale. «Un plan d’action sera soumis aux députés du FLN. Nous avons un rôle à jouer dans la confection de la Loi fondamentale du pays et à ce sujet nous allons imposer notre avis pour la survie du FLN. Nous allons travailler dans ce sens», avoue Benzaim. Des cadres et élus du parti, à leur tête Boumehdi, membre du bureau politique, sont à l’œuvre dans les coulisses. Pour s’adapter, il faut en urgence un changement radical, que ce soit sur le plan des textes ou de l’équipe dirigeante. «Lors du congrès, il va y avoir des critères sévères pour accéder au comité central ou au bureau du parti», avance Seddiki.
Saïd Boutelfika voulait domestiquer le FLN
Mohamed Taibi, politologue et membre de ce parti, précise que le FLN sur le plan sociologique est «important», contrairement au RND qui a juste des liens avec les dirigeants au sommet. «Il faut faire la distinction entre les directions de ces partis et la base. Il y a eu une mainmise des dirigeants sur les deux partis», analyse Taibi, précisant qu’«aujourd’hui, nous sommes dans la logique de rupture consommée entre les militants dans leur diversité et la direction actuelle.
Il y a une résistance politique menée pacifiquement et pragmatiquement depuis l’avènement de Saadani à la tête du parti. Les militants qui luttent pour le changement ont des réseaux importants au niveau de la masse et je pense qu’ils vont réussir à redresser le FLN, mais cela demandera du temps». Des députés, requérant l’anonymat, accusent Saïd Bouteflika, frère conseiller du Président déchu, d’être à l’origine de la crise aiguë dans laquelle se débat le FLN. «Lorsque le frère du Président déchu a su qu’il ne pouvait pas domestiquer le parti et l’utiliser pour la concrétisation de son projet, il a entamé son démantèlement progressif. Said Bouteflika avait pour objectif d’intégrer le FLN pour succéder à son frère !», confessent-ils…
D’autres militants fatigués des tiraillements et des luttes partisanes demandent à «réformer profondément» le FLN et préserver son sigle, parce qu’ils demeurent persuadés que cet appareil est voué à vivre des crises successives, pouvant mener à sa disparition. «Triste sort pour un parti qui représentait l’espoir pour toute une génération. Les Algériens demandent à mettre le FLN, comme du reste tout le patrimoine de la Révolution, au musée. La revendication de la rue est, en somme, toute légitime», indiquent-ils.
Rappelons que le porte-parole de l’ONM a appelé à faire la différence entre le FLN historique et le parti FLN actuel. «Le FLN d’aujourd’hui est l’adresse de toutes les manifestations de corruption à cause de l’exploitation dont il fait l’objet de la part de certaines personnes, qui ont voulu s’emparer du pouvoir. Le sigle FLN doit rester une référence historique protégée de toute forme d’exploitation», a estimé Mohand Ouamar Benlhadj. Les partisans «du sauvetage» du FLN savent qu’il est difficile de reprendre la main sur la scène politique une fois les premiers chantiers du nouveau Président mis sur pied, donc ils tablent sur le long terme pour se refaire «une virginité».
Du côté du RND, la crise couve après l’incarcération d’Ahmed Ouyahia, mais les militants refusent d’étaler leur linge sale en public. Le parti né avec «des moustaches» risque de ne pas retrouver sa place initiale dans l’échiquier politique. Ils attendent le congrès du parti prévu pour mars pour se positionner.
Mais changer de nom, comme l’a suggéré le secrétaire général du RND par intérim, Azzedine Mihoubi, suffira-t-il à cette formation politique «née avec des moustaches» pour retrouver sa place dans l’échiquier politique ?