Le pouvoir lance son premier grand chantier politique : quelle place pour le dialogue ?
Makhlouf Mehheni, TSA, 08 janvier 2020
Aussitôt dit, aussitôt fait. Le chantier de révision « profonde » de la Constitution promis par Abdelmadjid Tebboune pendant sa campagne électorale, est lancé à peine trois semaines après l’investiture officielle du nouveau président de la République.
Celui-ci a nommé, ce mercredi 8 janvier, « un comité d’experts pour formuler des propositions pour une révision constitutionnelle ». Le communiqué de la présidence qui l’annonce rappelle qu’il s’agit là d’un des engagements que le président a placé « à la tête des priorités de son mandat ».
L’engagement, pris pendant la campagne et dans le discours d’investiture de Tebboune, a été réitéré dimanche dernier lors du premier conseil des ministres du nouveau président et du nouveau gouvernement.
Suivant le calendrier dévoilé à la même occasion, la commission, composée exclusivement de juristes universitaires, devra remettre ses conclusions au chef de l’État dans un délai maximal de deux mois.
Le projet fera ensuite « l’objet de larges consultations auprès des acteurs de la vie politique et de la société civile », puis d’un vote du Parlement et sera enfin soumis à un référendum populaire. Cela signifie-t-il que les amendements qui seront apportés au texte fondamental n’émaneront pas du dialogue avec l’opposition ou avec le hirak auquel le nouveau président avait appelé dès le lendemain de son élection ?
Abdelaziz Rahabi, ancien ministre qui a été le coordonnateur de la Conférence de l’opposition qui s’est tenue l’été dernier à Ain Benian, s’étonne de la démarche du pouvoir.
« Forte résistance au changement »
« D’après ce que j’ai compris, le pouvoir préfère garder le Parlement dans sa composition actuelle et revoir la Constitution en se référant à des experts. Ce sera ainsi une première dans l’histoire des transitions politiques, qu’elles soient sous la coupe des militaires, comme au Portugal ou en Corée du Sud, ou sous la férule des politiques, comme en Amérique latine. Toutes les expériences de transition démocratique sont passées par l’élection d’un Parlement souverain dans des conditions transparentes. Ce Parlement s’appuie sur des experts pour mettre en place le texte de la Constitution », a-t-il dit dans un entretien à El Khabar, publié hier mardi.
Pour lui, » la transition démocratique ne peut s’effectuer ni à travers les institutions existantes actuellement ni avec les résidus du régime de Bouteflika. »
Rahabi pense qu’ »il y a, à l’intérieur même de toutes les institutions de l’État, une forte résistance au changement et à la réforme du système (…). Le Président actuel ne peut affronter cette résistance sans un front intérieur solide et sans le soutien des acteurs politiques et sociaux. Pour bénéficier de cet appui, il devra d’abord lever la pression et les blocages ».
D’autres acteurs de l’opposition ne se sont pas exprimés encore sur cette révision de la Constitution, mais tout porte à croire qu’ils ne partagent pas les mêmes priorités que le pouvoir.
Dans ce contexte, la classe politique sera appelée tout au plus à donner un avis dans le cadre de « consultations » qui interviendront une fois le projet ficelé. Acceptera-t-elle néanmoins une telle approche ?
Interrogée en début de semaine par TSA, Zoubida Assoul, présidente de l’UCP, un parti membre de l’Alternative démocratique, avait vu venir la proposition et anticipé son refus d’une telle manière de procéder.
« Il ne faut pas reproduire les mêmes approches que par le passé. Bouteflika a aussi fait un amendement de la Constitution en 2016, mais il l’a fait d’une manière unilatérale. Il faudra donc que le changement de la Constitution soit le fruit et l’aboutissement du dialogue politique. On ne veut plus qu’on nous ramène une commission d’experts en droit pour nous élaborer des changements et nous dire voilà le cadre dans lequel vous devez discuter », a-t-elle mis en garde. C’est pourtant ce que propose le pouvoir à travers le calendrier fixé pour la révision constitutionnelle.
Une révision présentée comme la « pierre angulaire pour l’édification d’une nouvelle République afin de réaliser les revendications de notre peuple exprimées par le mouvement populaire », mais qui risque de se faire, sans l’avis de ce même mouvement populaire.
Le 13 décembre, soit au lendemain de son élection, Abdelmadjid Tebboune avait tendu la main au hirak populaire qu’il a invité à un dialogue sérieux « pour l’Algérie ».
Depuis, plus rien. L’appel n’a pas été réitéré dans son discours d’investiture le 19 décembre, ni lors de l’inauguration de la foire de la production nationale le 22 ni à l’occasion du premier conseil des ministres le 5 janvier.
Face à l’intransigeance du mouvement populaire, qui maintient la mobilisation et qui ne perd pas de vue sa revendication du démantèlement du système, le pouvoir s’est-il résigné à faire cavalier seul dans la gestion des questions politiques ?