Crise libyenne : Les autorités algériennes haussent le ton

Zine Cherfaoui, El Watan, 08 janvier 2020

La Libye est enlisée dans des conflits internes et des rivalités de pouvoir depuis le renversement, par les Occidentaux en 2011, du régime de Mouammar El Gueddafi. Le plus inquiétant et le plus meurtrier de ces conflits internes – qui a fini par s’internationaliser et évoluer en guerre par procuration – est celui qui oppose les gouvernements rivaux de Tripoli et de Tobrouk.

Les événements s’accélèrent en Libye, où le risque d’escalade de la violence a considérablement empiré en raison de l’internationalisation du conflit entre les gouvernements rivaux de Tripoli et de Tobrouk. Ankara, à la demande du gouvernement d’union nationale (GNA), basé dans la capitale libyenne et reconnu par la communauté internationale, a commencé dimanche à déployer des «forces combattantes» pour faire face à l’offensive lancée en avril dernier par l’armée commandée par Khalifa Haftar destinée à renverser le président du conseil du GNA, Fayez Al Sarraj.

Lâché par la communauté internationale et acculé de toutes parts par les unités du maréchal Khalifa Haftar qui bénéficient d’un soutien militaire, financier et logistique de l’Arabie Saoudite, de l’Egypte, des Emirats arabes unis et de la Russie, Fayez Al Sarraj a confié, à des diplomates maghrébins, n’avoir eu d’autre choix, pour éviter la chute de Tripoli, que de requérir l’aide de la Turquie et du Qatar.

Il a regretté en outre que les Occidentaux et l’ONU aient condamné l’intervention turque en Libye, mais sans pour autant proposer une alternative au GNA. La prise facile, lundi, par les forces du gouvernement de Tobrouk de la ville de Syrte confirme néanmoins l’affaiblissement militaire des forces loyales du gouvernement d’union nationale.

Le débarquement de troupes étrangères en Libye intervient à un moment où Khalifa Haftar et ses soutiens gagnent du terrain et bombardent à l’aveugle la capitale libyenne, causant d’importantes pertes en vies humaines et en matériels. L’envoyé de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé, a évoqué, à ce propos, lundi, une attaque de drones au début de la semaine contre une installation militaire à Tripoli, qui a tué des dizaines de cadets militaires non armés, qu’il a attribués à un pays qui soutient Khalifa Hafter.

Devant l’évolution inquiétante du conflit – qui a évolué au fil du temps en une guerre par procuration –, l’Algérie s’emploie depuis l’arrivée de Abdelmadjid Tebboune au pouvoir à se redéployer sur le plan diplomatique et à reprendre en main le très disputé dossier libyen. Pour de nombreux observateurs, l’Algérie se doit de se donner les moyens de peser dans cette crise, surtout qu’elle partage avec la Libye près de 1000 kilomètres de frontière et qu’elle pourrait être la première à être impactée dans le cas où la situation tournerait mal, comme ce fut le cas en janvier 2013 avec l’attaque terroriste sanglante du site gazier de Tiguentourine.

Les autorités algériennes ont donc mis à profit la visite de Fayez Al Sarraj, lundi à Alger, pour rappeler leurs positions sur la crise. Pour l’occasion, elles ont haussé le ton, histoire d’insister sur l’idée que rien ne peut se faire sans elles et pris le soin de fixer une «ligne rouge» à ne pas dépasser dans ce conflit. Une ligne rouge qui a pour nom : Tripoli. «L’Algérie appelle la communauté internationale à assumer ses responsabilités pour imposer un cessez-le-feu immédiat et mettre un terme à cette escalade militaire qui fait, chaque jour, davantage de victimes (…).

Ainsi, l’Algérie dénonce avec force les actes de violence, dont le récent massacre ayant provoqué la mort de près de 30 étudiants à l’Ecole militaire de Tripoli, un acte criminel, voire un crime de guerre. Partant, l’Algérie considère la capitale libyenne Tripoli comme une ligne rouge à ne pas franchir», a indiqué la Présidence algérienne dans un communiqué rendu public au terme de l’audience accordée par Abdelmadjid Tebboune à Fayez Al Sarraj. L’avertissement est bien évidemment adressé à Khalifa Haftar et à ses nombreux sponsors.

C’est la première fois, sans doute, depuis l’offensive de Khalifa Haftar contre Tripoli que l’Etat algérien tient ouvertement un discours aussi musclé et laisse entendre qu’il ne restera pas les bras croisés dans le cas où la ligne rouge qu’il a fixée serait franchie. Devant la démission délibérée du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Algérie et une poignée d’autres pays apparaissent être les derniers «gardiens» de l’accord de Skhirat. Un accord que Tobrouk a décidé d’abroger cette semaine.

Le président Abdelmadjid Tebboune, qui a également reçu, à sa demande hier, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a, dans ce contexte, appelé «les parties étrangères à cesser d’alimenter l’escalade (en Libye) et d’accorder aux parties belligérantes leur soutien militaire, matériel et humain», plaidant «pour le respect de la légalité internationale afin de faciliter la reprise du dialogue pour parvenir à une solution politique à la crise».

L’Union africaine convoque un sommet sur la Libye

Le Conseil paix et sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA) se réunira en sommet, début février, pour examiner la situation en Libye et au Sahel, en proie à l’instabilité depuis des années, a annoncé hier le commissaire à la paix et la sécurité de l’UA, Smail Chergui. La réunion du CPS se tiendra à la veille du sommet de l’UA, prévu les 8 et 9 février à Addis-Abeba, a indiqué, à l’APS, M. Chergui.

Elle sera consacrée à la «crise libyenne et à la circulation des armes qui a aggravé la situation au Sahel», a déclaré le commissaire Chergui depuis Addis-Abeba. Au-delà de l’escalade militaire en Libye, la circulation incontrôlée des armes provenant des arsenaux libyens a fortement contribué au basculement sécuritaire dans la région du Sahel.

Encouragé par le succès de sa récente médiation en Centrafrique, l’Union africaine veut reprendre le dossier libyen en main en restant engagée à appuyer une solution politique inclusive en Libye. Lundi, le président congolais, Denis Sassou Nguesso, a plaidé pour que l’Afrique ne soit pas marginalisée dans la résolution de la crise libyenne, qualifiant d’«inefficace» et «contre-productif» tout règlement qui ne tiendrait pas compte du continent.