L’étrange show de Chakib Khelil
Première sortie médiatique de l’ancien ministre
L’étrange show de Chakib Khelil
El Watan, 3 avril 2016
Accueilli avec les honneurs à l’aéroport d’Oran en mars dernier — ce qui était déjà interprété comme un «non-lieu politique» en sa faveur — l’ancien ministre, qui avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt international émis par un tribunal d’Alger avant d’être annulé par on ne sait quelle autorité, est allé, vendredi dernier, solliciter la «baraka» (bénédiction) de la zaouïa Si M’hamed Ben Merzouk de Djelfa.
Les cheikhs de cette confrérie locale, qui sort ainsi de l’anonymat, ont honoré l’ancien ministre pour «services rendus à l’Algérie». Mais ce geste suscite moult interrogations. Les responsables de cette zaouïa ont-ils agi seuls ? Ont-ils préparé cette cérémonie sur commande ? Rien n’est moins sûr.
Mais cette sortie médiatique de Chakib Khelil, la première depuis son retour au pays, livre des messages politiques très importants.
Pour les tenants du pouvoir qui ont orchestré cette mise en scène, la réhabilitation de l’homme ira jusqu’à son retour aux affaires, près de six ans après avoir quitté le gouvernement.
C’est ce qu’a laissé entendre le concerné dans une interview improvisée diffusée par Ennahar TV : «Je suis très heureux d’être dans mon pays. Je suis prêt à aider dans n’importe quel domaine.» Et d’ajouter : «J’ai été et je suis toujours au service de mon pays, notamment dans le secteur où j’ai travaillé.»
L’ancien ministre clame également son innocence : «Quand je suis parti (aux Etats-Unis), je pensais que j’allais revenir rapidement, mais je ne m’attendais pas à tout cela. Ils ont fabriqué l’histoire de la nationalité et du passeport.» Pour lui, les affaires dans lesquelles son nom ou les noms de membres de son entourage étaient cités, notamment en Italie et en Suisse, sont «des histoires préfabriquées par les journaux».
Dans son entreprise, l’ex-ministre se montre très prudent en refusant d’abonder dans le sens de la même propagande lancée par des satellites du pouvoir et leurs relais médiatiques pour charger le DRS et son ex-responsable, le général Toufik, dans le but d’absoudre tous les responsables accusés dans des affaires de corruption.
En effet, malgré l’insistance de l’intervieweur pour l’amener sur le terrain balisé par le secrétaire général du FLN, Amar Saadani, Chakib Khelil, a eu une seule réponse : «Je ne sais pas. Je n’ai pas d’information là-dessus.»
Dérision et colère sur les réseaux sociaux
L’annonce de cet «hommage» a eu l’effet contraire, visiblement. Destinée, sans nul doute, à préparer l’opinion à un proche retour de l’ex-ministre aux affaires, cette opération de com’ suscite plutôt colère et dérision sur les réseaux sociaux. Plusieurs internautes se sont interrogés sur les tenants et les aboutissants de cette sortie. Des facebookers ont même rappelé la déclaration de l’ancien ministre de la Justice, Mohamed Charfi, qui avait évoqué, en 2013, l’intervention du patron du FLN pour disculper l’ancien ministre de l’affaire Sonatrach 2 :
«Si Amar, vous m’avez proposé ‘‘amicalement’’ d’extirper Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach 2.» En rappelant cette déclaration, les internautes affichent leur colère contre «le jeu scabreux des tenants du pouvoir». D’autres ont tourné en dérision, à travers des caricatures et des montages photos, le passage de l’ancien ministre à Djelfa. Sur une photo montage, le siège de la zaouïa en question, floqué d’un logo de Sonatrach, est présentée comme le «mausolée de Chakib Khelil essonatraki».
Plus sérieux dans l’analyse, certains internautes spéculent sur une «préparation de l’ancien ministre pour succéder à Bouteflika». «J’ai comme l’impression que Chakib Khelil est revenu avec un ordre de mission bien clair : prendre le pouvoir en Algérie», soutient l’un d’entre eux.
Madjid Makedhi
Dans un entretien à «Ennahar»: Chakib Khelil veut tourner la page
par Yazid Alilat, Le Quotidien d’Oran, 3 avril 2016
Revenu au pays, trois ans après un départ objet de moult interrogations, accusé de corruption dans l’affaire Sonatrach 2, l’ex-ministre de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil revient dans un entretien, à la chaine TV «Ennahar» sur ces événements, qui avaient fait les choux gras de la presse nationale et internationale. Tout d’abord, il répondra à la question «votre retour est une preuve de votre innocence» que «je suis heureux de revenir, en Algérie. Je suis très optimiste, et je suis prêt à aider mon pays, dans le domaine de l’Energie ou dans d’autres secteurs.» Pour lui, «ce qui s’est passé, c’est qu’il y avait eu des accusations sans fondements et mon départ aux Etats-Unis était motivé par une visite. Ce qui s’est passé ensuite (éclatement de l’affaire Sonatarch 2, Ndlr) a fait que j’ai refusé de revenir et de rester aux Etats-Unis, car je suis résident.
Quant aux dossiers de corruption qui ont été montés de toutes pièces, cela a été fait pour me détruire, car je suis derrière de grands projets, en Algérie, qui sont, aujourd’hui, très importants. Beaucoup d’Algériens ne sont pas au courant des investissements de Sonatrach, au Pérou, qui rapportent 200 millions de dollars, annuellement, à l’Algérie et d’autres investissements». Interrogé sur les raisons de son retour qui coïncide avec le départ du général Toufik, il a répondu qu’il n’a «aucune information sur ce sujet», mais a expliqué que « les officiers du DRS étaient présents, au ministère et à Sonatrach, avec nous, lors des signatures de contrats, et ils étaient au courant de tout ce qui se passait dans le secteur de l’Energie.» Viser Chakib Khelil, signifie une attaque contre le président Bouteflika ?, interroge le journaliste d’Ennahar. « Je ne sais pas vraiment les raisons des attaques dont je suis la cible, je ne possède pas les informations nécessaires, mais tous les officiers du DRS qui étaient au ministère et à Sonatrach, étaient au courant de tout ce qui se passait concernant les projets et les contrats que nous avons conclus avec n’importe quel partenaire ou investisseur », a-t-il dit, ajoutant que «ce qui est important, à mon sens, est l’avenir et il est important de tourner la page, car l’intérêt de l’Algérie est au-dessus de toutes considérations pour améliorer la situation dans le pays.»
Sur le mandat d’arrêt international émis à son encontre, Chakib Khelil a déclaré que les rapports de la presse sur ce dossier ont choqué sa famille et ses proches, «mais moi, personnellement, je n’ai rien reçu d’officiel ni de la justice, ni d’une quelconque autre partie.»
Pas de contacts avec le Président
Sur les circonstances de son départ du pays, il a expliqué que « je suis rentré, en Algérie, et suis resté un mois environ, en février 2013 et jusqu’au 25 mars, je me déplaçais normalement entre Alger et Oran, durant cette période. J’ai quitté l’Algérie normalement avec mon passeport et je n’ai pas rencontré d’entraves à l’aéroport. » Durant son passage en Algérie, entre février et mars 2013, Chakib Khelil affirme n’avoir pas « eu de contact avec le Président Bouteflika », et précise être revenu « pour des raisons familiales, seulement. C’est alors que j’ai entendu que Chakib s’est sauvé, à partir de l’aéroport Houari Boumediene, alors que j’avais seulement accompagné mon épouse. Mais la presse a rapporté autre chose.» «Quant à la fouille de mon appartement d’Oran, celui qui l’a décidée a exploité mon absence pour envoyer 30 éléments du DRS pour le faire. Il y avait ma mère et mon frère Othmane. Ma mère était malade, durant cette période, elle était alitée, ce qui n’a pas empêché les éléments du DRS d’inspecter le lit sur lequel elle était allongée, et ils se sont ensuite déplacé, à mon logement de Hydra pour le fouiller, également. Mais, je ne saurais dire qui est derrière tout cela, car une telle décision doit être motivée avec des preuves », a-t-il dit.
Questionné s’il allait déposer une plainte, il a répondu qu’ « il n’y a pas quelqu’un que je pourrais accuser d’être derrière ce qui m’est arrivé, et je ne suis pas retourné en Algérie pour fouiller dans le passé et me venger », avant de relever que ce qu’avait écrit la presse à son encontre, en particulier les mandats d’arrêt émis par les Etats-Unis, l’Italie et la Suisse qu’ils ne sont que « des écrits de presse.» «Il n’y a aucun mandat d’arrêt ou poursuite judiciaire internationale contre moi», affirme Chakib Khelil, ajoutant que ce qui a été rapporté par la presse, sur ses propriétés à l’étranger est le fruit « de mon travail à la Banque mondiale, mon travail en Algérie et les revenus de ma retraite.» Sur son éventuel retour «aux affaires», en aidant l’Algérie au sein de l’OPEP, il a répondu que «la situation actuelle est plus difficile que celle où j’étais à la tête du ministère de l’Energie.
Elle diffère, politiquement et économiquement.» Et de souligner que «les prix vont connaître une stabilité, durant l’été ou à l’automne prochain tout au plus, après la réactualisation des grands projets mondiaux.» Sur la sécurité des expatriés dans les sites pétroliers au sud du pays, il a estimé, d’autre part, que «les autorités doivent présenter des garanties aux compagnies pétrolières pour qu’elles poursuivent leurs investissements.» Sur le paiement anticipé de la dette extérieure, il a affirmé que le Président Bouteflika avait pris une sage décision, durant cette période, ce qui a ouvert, au pays, beaucoup d’opportunités et a consolidé sa souveraineté de décision.
«Aujourd’hui l’Algérie a des réserves de change qui lui assurent son développement économique». De même, «la réalisation d’usines de dessalement a résolu beaucoup de crises ainsi que le problème de l’AEP, en particulier dans l’ouest du pays, qui rencontre des difficultés dans le domaine de l’eau». Enfin, il s’est déclaré «heureux» de son retour en Algérie, et a-t-il dit: «je suis prêt à aider mon pays, dans n’importe quel domaine.»