Un compromis historique est-il encore possible entre le pouvoir et le hirak?

Redouane Boudjema, Huffpost, 17 septembre 2019

La campagne d’arrestations et d’intimidations contre les militants politiques et les manifestants pacifiques continue. Même un vieux monsieur de 77 ans, cardiaque, et un jeune, malade du cancer, n’y ont pas échappé, le jour suivant l’annonce par Bensalah de la tenue des élections le 12 décembre.  Bensalah a dit également des mots déjà entendus chez Zeroual et Bouteflika et d’autres hommes du pouvoir au sujet des garanties d’une élection libre et propre… 

Des discours qui confirment que le pouvoir n’est pas sorti de la logique d’un vote réduit à une formalité bureaucratique administrative. Le pouvoir persiste à refuser toute transition démocratique en invoquant le respect de la constitution et le risque de chaos. Comment pourra-t-il en convaincre les Algériens alors que la Constitution a été violée à plusieurs reprises depuis l’annulation du premier scrutin. Elle a été violée avec deux lois électorales en contradiction avec la lettre et l’esprit de la constitution en ses articles 13 et 194 qui parle d’une Instance pour surveiller les élections et non les organiser. 

 

 

L’option de la répression

Comment seront les prochains jours et semaines avec le rejet de la rue d’un scrutin de cette manière? Quels sont les scénarios prévisibles?

Le premier scénario est celui du recours à la répression avec une intensification des arrestations contre ceux que le pouvoir considère comme les “meneurs” de la révolution. C’est en cours depuis des jours avec des pratiques répressives contre les manifestants. C’est un scénario prévisible mais il sera coûteux pour le pouvoir et ses hommes et pour l’Algérie, Etat et nation. Il s’agit d’un choix suicidaire selon tous les critères qui traduit une ’absence de vision et de clairvoyance. 

 

Le pouvoir va devoir en supporter toutes les conséquences surtout que la nation algérienne apporte depuis sept mois la preuve de son pacifisme en dépit de la répression, des arrestations et des intimidations. Dans ces conditions, il est possible d’imposer un scrutin avec un taux de participation insignifiant au plan des statistiques en le gonflant grossièrement et en recourant à une machine de propagande sans crédibilité. Avec une possibilité forte de boycott dans les quartiers, les villages, les villes et les régions. Une situation qui comporte également une menace sur le tissu social. Le résultat de ce scénario suicidaire sera la désignation d’un président faible qui ne sera même pas capable de gérer les contradictions du pouvoir et ses problèmes. Avec la probabilité d’un choc violent vers 2012 avec le tarissement des réserves de change.

 

Un pouvoir encore plus opaque

Le second scénario serait que la rue parvienne à accentuer la pression pacifique et organisée pour aboutir à une nouvelle annulation du scrutin. Cela implique nécessairement le départ des figures actuelles du pouvoir et l’émergence d’autres qui ne se sont pas encore annoncées.  Elles pourraient être parmi ceux qui observent la situation à partir des salons du pouvoir. Il est difficile cependant de les identifier car la décomposition des clans, des açabiyates et des réseaux du pouvoir ne permettent pas de savoir qui est avec qui? Qui combat qui? Qui s’allie avec qui? Quelles sont les nouvelles alliances? Quelles sont les alliances stratégiques et tactiques? Dans un tel scénario on peut s’attendre au mieux comme au pire.

 

Un compromis à construire

Le troisième scénario, le plus optimiste, est que la nation algérienne réussisse à préserver le caractère pacifique de son mouvement pour  accentuer la pression, en dépit de tout ce qu’elle subit. De quoi favoriser l’émergence d’une nouvelle voie au sein du pouvoir pour construire des passerelles et dialoguer hors des réseaux d’allégeance et de corruption afin de préserver l’Etat et le tissu social. Des passerelles qui pourraient produire une feuille de route claire allant dans le sens du compromis historique pour établir un contrat politique qui fixe les règles de l’action politique et permet de construire l’Etat de droit. 

 

Le nationalisme aujourd’hui, c’est la démocratie

Un compromis souhaité par toute personne raisonnable, qu’elle soit à l’intérieur ou à l’extérieur des arcanes du pouvoir. Cela pourrait déboucher sur un calendrier précis pour abroger les lois liberticides avant d’aller vers un processus électoral ou constituant. L’Algérie pourrait dans ce cas fêter le 60ème anniversaire de l’indépendance en une réconciliation historique qui tourne définitivement la page de  l’exclusion, de la violence, de la haine, dans une société ouverte qui contribuera à la construction de son État et enrichira les expériences humaines en matière de transition démocratique. Une Algérie nouvelle où nul n’est opprimé, tué ou exclu. Une Algérie où la raison politique rompt avec l’idéologie bureaucratique et sécuritaire. Y-a-t-il des sages? Reste-t-il au pouvoir un peu de lucidité pour comprendre que le nationalisme aujourd’hui, c’est la démocratie.