Une feuille de route dans un climat politique délétère
Madjid Makedhi, El Watan, 10 septembre 2019
Fermeture du champ politique, bâillonnement des médias, restriction des libertés, emprisonnement d’innocents… Tels sont, particulièrement, les procédés qu’utilise, depuis des mois, le pouvoir en place pour imposer sa feuille de route et tenter de sauver le système, rejeté massivement par les Algériens.
Face à une crise politique qui dure depuis près de sept mois, les tenants du régime tentent désormais un forcing en vue d’imposer une présidentielle dans un très court délai : dans trois mois, selon les déclarations du chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, qui a appelé à la convocation du corps électoral le 15 septembre courant. Le processus est déjà lancé.
La finalisation, à la hâte, du rapport du panel de dialogue et de médiation qui a été remis, dimanche, au chef de l’Etat intérimaire, Abdelkader Bensalah, en est un signe. Une bouée de sauvetage pour un pouvoir qui a déjà essuyé deux échecs en renonçant, sous la pression du mouvement populaire, à l’organisation des présidentielles du 18 avril et du 4 juillet derniers. En effet, à la surprise générale, le panel a décidé de mettre fin à ses consultations qui n’ont drainé, finalement, que des soutiens invétérés du système. Il conclut ainsi à la nécessité d’aller vers «une présidentielle dans les meilleurs délais possibles», au moment où le hirak a déjà signifié son rejet de cette option. Et aussitôt après la réception de ce «précieux» document, le chef de l’Etat a chargé le coordinateur de cette instance, Karim Younès, d’entamer les démarches en vue d’installer la commission indépendante d’organisation des élections. On entre ainsi dans la phase de mise en œuvre de la stratégie du pouvoir réel. Une stratégie préparée, selon toute vraisemblance, au lendemain de la mise à l’écart du Président et ex-prétendant au 5e mandat.
Verrouillage des médias
La première démarche entreprise dans ce sens est le verrouillage, quasi total, des médias lourds publics et privés. Effectivement, les chaînes de télévision qui ont tenté, pour quelques semaines seulement, d’exercer librement leur rôle d’informer objectivement l’opinion, ont été vite sommées de s’aligner sur la voix «officielle». Aucun débat contradictoire et aucune couverture objective des événements qui se déroulent sur la scène nationale ne sont tolérés. La censure est totale. Pis, ces chaînes versent carrément dans la désinformation et la propagande, perdant ainsi tout crédit auprès de l’opinion. Le harcèlement concerne aussi la presse écrite, dont des titres sont asphyxiés économiquement et d’autres ont été contraints de s’aligner sur le discours officiel. Des journaux électroniques ont été également bloqués. Le tout dans l’objectif d’étouffer toute voix discordante.
Parallèlement à l’opération de «normalisation» des médias, les tenants du régime se sont ensuite attaqués au hirak, à travers des campagnes de division de ses rangs et l’emprisonnement des jeunes pour un délit imaginaire : port du drapeau amazigh. Les détentions de personnalités politiques, dont le moudjahid Lakhdar Bouregaâ, la secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT) Louisa Hanoune, des généraux à la retraite, Hocine Benhadid et Ali Ghediri s’inscrivent aussi dans le cadre de cette contre-révolution qui vise à criminaliser la liberté d’expression.
L’Exercice politique remis en cause
L’autre phase de cette stratégie diabolique concerne également la répression, notamment à Alger, des marches pacifiques, la multiplication des arrestations arbitraires des manifestants et la remise en cause du libre exercice de la politique.
Pour imposer son débat à sens unique autour de la présidentielle, le pouvoir en place, en contradiction avec toutes les lois de la République, interdit toute activité des partis politiques de l’opposition et des organisations autonomes. Après avoir empêché la tenue de l’université d’été de l’association RAJ, l’administration a refusé aussi d’autoriser la convention de l’Alternative démocratique. C’est dans ce climat politique délétère que le pouvoir envisage de programmer sa joute électorale. Mais avec quels candidats et pour quel objectif ? Réussira-t-il à forcer la main au hirak ?