Extradition ou poursuites à l’étranger : De quoi pourrait avoir peur le “fugitif”

Malik Tahir, Huffpost, 7 août 2019

Khaled Nezzar est passé de témoin à accusé dans l’affaire «complot contre l’autorité de l’armée et de l’Etat» contre Saïd Bouteflika, les généraux Mohamed Médiene et Bachir Tartag ainsi que Louisa Hanoune. Une évolution qu’il pressentait puisque lui, et son fils, se sont enfuis hors du pays pour échapper à une arrestation.

Un régime en voie de désintégration

Tout un symbole de voir l’homme le plus puissant en Algérie au début du tournant dramatique des années 90 en état de fuite d’un pays qui semblait durablement sous la coupe des puissants. Le président déchu Abdelaziz Bouteflika a miné le régime de l’intérieur pendant vingt ans de règne, en 24 semaines de révolution pacifique les Algériens, sont en train de le pousser à l’implosion.

La liste des “hauts” pensionnaires d’El Harrach qui ne cesse de s’élargir constitue en soi une condamnation sans appel du “système” et légitime encore plus la volonté des Algériens d’aller vers un changement radical. La fuite de Khaled Nezzar, survenant après l’incarcération des principales figures du régimes – et la liste des nouveaux pensionnaires d’El Harrach, risque d’être sans fin tant la corruption était devenu un mode de gestion “normal” de haut en bas de la hiérarchie –  confirme que le patient mouvement du 22 février accélère la désintégration du système en place depuis 1962.

 Pour le général Khaled Nezzar qui a beaucoup publié pour se justifier et se donner un rôle dans l’histoire, la fuite à l’étranger  est une sortie par la toute petite porte même s’il continue de fanfaronner à travers le compte twitter. 

Une extradition improbable pour motif “politique”

Au-delà de cet aspect politique et éthique, purement algérien, le mandat d’arrêt international émis par la justice militaire est-t-il traduisible par une extradition? L’Espagne, où l’ancien ministre de la défense se trouverait, est liée à l’Algérie par une convention d’extradition signée en 2006 et ratifiée par l’Algérie en 2008. L’alinéa “a” de l’article 4 de la convention constitue un obstacle majeur : si la partie espagnole considère qu’on est face à une “infraction politique”, l’extradition n’est pas acceptée.

Khaled Nezzar est officiellement accusé de «complot contre l’autorité de l’armée et de l’Etat», ses avocats, dans le cas où la procédure d’extradition est engagée au niveau de la justice espagnole, feront valoir, sans suprise, devant les juges que l’on est devant des accusations d’ordre politique. A moins de prouver que ce qui est reproché à Nezzar relève d’une entreprise terroriste – des actes qui ne sont pas considérés comme des “infractions politiques” par la convention -, il sera difficile d’échapper à l’accusation d’une poursuite politique.

Les disparitions forcées, un crime continu

Les avocats de Nezzar pourraient faire valoir que la situation en Algérie n’est pas “normale” et que l’article 77 du code pénal cité dans le mandat d’arrêt prévoit la peine de mort. Le sujet pourrait être également invoqué devant la justice espagnole mais  l’Algérie peut faire valoir qu’elle a souscrit depuis 1993 au “Moratoire sur l’application de la peine de mort”. Le vrai obstacle est l’appréciation du “caractère politique” de l’accusation qui est aisément défendable dans le contexte algérien hyper-politique actuel.

Le général Khaled Nezzar semble aujourd’hui moins menacé d’une éventuelle extradition vers l’Algérie que par des risques de poursuites que pourraient éventuellement engager des Algériens au niveau des juridictions étrangères. L’un des dossiers les plus brûlants est celui des disparitions forcées qui sont considérées comme un “crime continu” et donc imprescriptibles.

La protection assurée en Algérie par la charte de la réconciliation nationale n’est pas opposable devant une juridiction étrangère qui se reconnaît une compétence universelle. Pour rappel, Khaled Nezzar a fait l’objet d’une plainte en France en 2001, il avait été “exfiltré” in-extremis avant qu’une action judiciaire n’ait été entreprise.

L’ancien ministre de la défense va se retrouver à partir de 2011, à la demande de l’association Trial International, face à la justice suisse.  Cinq victimes algériennes ont adhéré à la procédure en déposant plainte contre Nezzar. En janvier 2017, le ministère public suisse a décidé de classer l’affaire en estimant que les faits reprochés à Nezzar “ne constituaient pas des crimes de guerre dans la mesure où il n’existait pas de conflit armé à l’époque en Algérie”.

Un appel a été déposé contre ce classement que le Tribunal pénal fédéral (TPF) suisse a validé. Dans son jugement rendu le 30 mai 2018, le TPF a estimé qu’il y avait un “ conflit armé en Algérie au début des années 90” et que que Khaled Nezzar “était au courant des sérieux crimes qui étaient perpétrés sous ses ordres, et décide donc que l’enquête doit se poursuivre”.

Ces péripéties suisses montrent le paradoxe de la situation:  Khaled Nezzar en fuite à l’étranger à moins à craindre de l’Etat Algérien que de se faire rattraper devant les tribunaux européens  par des Algériens pour les tragédies des années 90.