Smaïl Lalmas. Economiste : «Le panel a mis à nu les divergences en haut lieu»
Nabila Amir, El Watan, 04 août 2019
Vous avez accepté de faire partie d’un panel alors que la rue rejette toute initiative cooptée par le pouvoir. Pourquoi ?
Il faut comprendre une chose. Mon geste était encouragé par plusieurs facteurs. D’abord mon nom a circulé dans plusieurs wilayas et j’ai été sollicité par plusieurs personnes pour participer à trouver une solution à la crise. Le 22 avril dernier, devant un parterre d’étudiants, des membres du hirak, des personnalités, j’ai appelé à la création d’un comité représentatif pour lancer le processus du dialogue. J’ai défendu dans toutes mes sorties l’idée d’aller vers un dialogue, seule alternative pour sortir le pays de cette impasse. Donc, si j’ai intégré le panel c’est par conviction. J’étais persuadé que j’allais apporter ma contribution pour éviter à mon pays le pourrissement de la situation. Lorsque le Forum de la société civile a proposé mon nom, j’ai donné mon accord de principe parce qu’ils m’ont convaincu qu’il s’agissait d’une commission a caractère indépendant. Mais j’ai conditionné ma participation par une série de mesures d’apaisement, en premier, le départ du gouvernement, la libération des détenus, l’ouverture du champ médiatique. Nous avons alors été reçus par le chef de l’Etat par intérim qui s’est engagé à répondre favorablement à ces préalables.
Vous avez rencontré le chef de l’Etat par intérim Abdelakder Bensalah, dont le hirak revendique le départ ; n’était-ce pas un risque pour vous ?
Notre rencontre avec Bensalah avait pour but d’avoir la reconnaissance nécessaire, sinon les mesures d’apaisement n’auraient eu aucune valeur. J’ai accepté d’y aller pour arracher les prérogatives et pour que les décisions qui émanent de cette commission soient exécutoires. Lorsque nous avons été reçus par le chef de l’Etat, j’ai mis sur la table toutes les questions soulevées par le mouvement, et les conditions nécessaires pour aller vers un dialogue serein. Les préalables que nous avons posés étaient revendiqués par la quasi totalité des Algériens, des partis et acteurs politiques. Ce n’est nullement un entêtement de notre part. Il fallait répondre à ces préalables pour la réussite de ce processus de dialogue ; j’ai également exposé mon avis sur la situation économique qui est très inquiétante. Au lendemain de cette réunion, le 23e vendredi de manifestations, j’ai participé à la marche. J’avais pour visée d’expliquer aux manifestants ma démarche, la plupart de ceux qui m’ont appréhendé ont été attentifs à mes arguments, mais au moment de repartir, trois jeunes m’ont encerclé et ont fait un tapage autour de moi. Ils m’ont demandé de dégager parce que j’ai accepté de faire partie du panel. J’ai subi beaucoup de pressions. Mais ce qui m’a découragé le plus, c’est le discours du chef d’état-major de l’armée et aussi les dernières décisions de Bensalah. Ce dernier nous a clairement dit que la Constitution ne lui permettait pas de limoger le Premier ministre, alors que c’est faux puisqu’il y a deux jours il a limogé le ministre de la Justice.
C’est le discours de Gaïd Salah qui a motivé votre démission du panel ?
Franchement, je m’attendais à une approche différente de la part de l’institution militaire. On s’attendait à ce que l’armée appuie le discours de la Présidence et non le contraire. J’étais vraiment surpris par le ton et le contenu du discours de Gaïd Salah. Un discours qui était contre mes principes. Les préalables étaient une exigence pour la réussite du dialogue. Nous avons été très bien reçus à la Présidence, nos interlocuteurs donnaient l’impression d’être conscients de la gravité de la situation, et le chef de l’Etat par intérim s’était engagé à répondre favorablement à nos conditions. On sentait qu’il allait mettre le paquet pour la réussite de ce panel, mais après l’intervention du chef d’état-major, j’ai compris que le panel était mort-né et qu’il y avait de sérieux problèmes au sommet de l’Etat.
Vous avez compris qu’il y avait des divergences au sommet ?
Oui. A mon avis, le dialogue s’impose d’abord entre les tenants du pouvoir. Entre la Présidence et l’institution militaire il y a un désaccord, il y a même un fossé. Je l’ai invité à créer un panel pour engager un dialogue entre eux. Le panel dirigé par Karim Younès a mis a nu les divergences existant en haut lieu. Nous avons cru qu’avec l’installation du panel, Gaïd Salah n’allait plus s’immiscer dans les affaires politiques, qu’on allait donner la possibilité à l’armée de reculer et de laisser la Présidence prendre le relais avec les prérogatives du panel. Nous avons cru que l’institution militaire allait juste accompagner le panel, en mettant à sa disposition les moyens logistiques nécessaires, mais ce n’est pas le cas. Bien au contraire, le dernier discours du chef d’état-major prouve que c’est lui qui dirige dans le pays. Alors, si l’on veut éviter le pire au pays, les stratèges de l’armée doivent revoir leur copie, ils doivent épargner à l’institution militaire de s’impliquer dans le politique. Aux problèmes politiques, il faut des solutions politiques…
A l’issue du discours de Gaïd Salah, Karim Younès a remis sa démission, mais les membres du panel l’ont rejetée. Par la suite, il y a eu la démission de Azeddine Benaïssa, mais sa démission ainsi que la vôtre n’ont pas été refusées. Selon vous, pourquoi ?
Aucune idée. Après ma démission, je n’ai reçu aucun appel. J’aurais souhaité que Karim Younès, qui était lui aussi peiné par le discours de Gaïd Salah, m’appelle en sa qualité de coordinateur du panel, mais il ne l’a pas fait. Moi, j’assume mes choix, j’aurais eu peut-être des remords si j’avais refusé de participer a ce panel. Aujourd’hui, je ne regrette rien.
Quels sont les critères retenus pour le choix des personnalités du panel ?
Vous avez remarqué que l’on ne se bouscule pas au portillon du panel. Il n’y a pas de critères, sauf que certaines personnalités sont connues et que pour d’autres, leurs noms circulent sur les réseaux sociaux. Les personnalités connues ont refusé d’intégrer le panel et d’autres ont dit oui. Certaines personnes ont préfèré se cacher, elles ont peur pour leur popularité et d’autres ont eu le courage et le mérite d’intégrer le panel. A mon sens, toutes les personnalités connues doivent s’impliquer et s’inquiéter de l’avenir du pays, elles doivent agir et mettre le pouvoir devant ses responsabilités. Se taire n’est pas la meilleure démarche.
D’aucuns prédisent l’échec et la dissolution du panel ; qu’en pensez-vous ?
Ce panel n’a aucun avenir. Il est voué à l’échec. Pourquoi ? Parce que sa réussite repose sur l’adhésion populaire. Or, ce n’est pas le cas. Le dialogue doit se faire entre nous, on doit se mettre autour d’une table et tenter de rapprocher les points de vue sur les questions de la Constituante, la présidentielle… Mais sans un climat favorable et une volonté politique, on ne pourra jamais atteindre cet objectif.