Entretien avec Djalila Kadi Hanifi & Amina Haddad du Réseau de lutte contre la répression et pour la défense des détenus d’opinions et des libertés démocratiques

Rafik Lebdjaoui, Algeria-Watch, 17 juillet 2019

Comment est né le réseau contre la répression et pour la libération des détenus d’opinion?

Le Samedi 1er juin a été créé « le Réseau de lutte contre la répression, pour la libération des détenus d’opinions, et pour les libertés démocratiques », grâce au regroupement spontané d’un groupe de citoyens-militants, qui se sont rassemblés pour fédérer leurs efforts autour des objectifs suivants :

– recenser tous les cas de répression et d’atteinte à l’exercice de tous les droits et libertés démocratiques et d’en informer, par tous les moyens, l’Opinion publique,
– lutter, en synergie avec les comités existants, les activistes et blogueurs défendant les même objectifs, pour la libération des emprisonnés politiques, d’opinions et défenseurs des Droits Humains,
– exiger l’ouverture d’une enquête sur la détention préventive, les conditions carcérales et le décès de Kameleddine Fekhar, malgré les dénonciations et l’alerte qu’ont été sa longue grève de la faim et les nombreuses interventions publiques de son avocat Me Salah Dabouz, et de soutenir les éventuelles plaintes, et constitution de partie civile par ses proches ou entités habilitées,
– exiger l’ouverture d’une enquête sur les conditions du décès du jeune Ramzi Yettou, 
– organiser la solidarité, sous toutes ses formes, avec les familles des détenus d’opinion et des victimes de répression arbitraires et d’atteintes aux libertés.

Dans quelles régions le réseau est-il présent actuellement?

Le réseau est né à Alger, mais en vue de mener à bien ses objectifs et tâches, le « réseau » a besoin d’être renforcé et en appelle à tous les citoyens et citoyennes, associations, activistes et partis attachés aux droits démocratiques, pour agir ensemble contre la répression sous toutes ses formes et pour les libertés.

A cet effet et pour le moment, nous comptons quelques relais individuels ou collectifs qui existaient déjà, avec lesquels nous collaborons depuis le lancement du réseau, à l’exemple du Collectif de Mascara pour la libération de Hadj Ghermoul, ou celui de Ghardaya qui s’est constitué autour de Me Dabouz, des groupes qui militent à Bejaia et d’autres initiés par la diaspora, militant pour la cause de la défense des libertés, se trouvant notamment à Paris ou à Montréal.

Tout récemment, nous assistons les familles des détenus, incarcérés pour port de l’emblème Amazighe, dans la constitution d’un collectif qui regroupera l’ensemble de ses familles.

Comment identifiez-vous un détenu d’opinion?

Un détenu d’opinion, c’est un citoyen qui déclare ou exprime son opinion par écrit ou dans une manifestation, ou via une photo la publication d’une vidéo. Quelle que soit cette opinion, la constitution algérienne consacre la liberté d’expression. Il est donc illégal d’interpeller ou d’emprisonner quelqu’un qui use de ce droit librement. C’est là un principe fondateur auquel nous sommes attachés.  

Avez-vous une idée du nombre de détenus d’opinion dans le pays? Pouvez-vous préciser dans quelles régions ils se trouvent ? Avez-vous une liste?

Nous travaillons continuellement sur le recensement des détenus d’opinion. Nous actualisons, malheureusement chaque jour, nos listes. Le groupe facebook, la page et la messagerie du réseau reçoivent des signalements et des informations que nous relayons après vérification et corroboration. Aussi des personnes nous contactent individuellement ou viennent nous rendre visite pour partager leurs informations.

Combien sont-ils ? Une première liste (temporaire) qui a été établie à la naissance du réseau (au 01 juin 2019), a révélé que les détenus d’opinion originaire de Ghardaya, sont au nombre de 24, dont Mohamed Baba Nedjar (le plus vieux détenu politique algérien, emprisonné depuis 15 ans) qui se trouve à la prison de Blida. Cette même liste temporaire, a recensé des détenus politiques et d’opinion d’Alger, de Laghouat, de Ghelizane, de Mascara et de Tamanrasset.

Depuis le vendredi 21 juin dernier, nous comptons pas moins d’une soixantaine de nouveaux détenus d’opinion, accusés abusivement de « porter atteinte à l’unité nationale » pour cause de « port de l’emblème Amazighe », à Alger, Mostaganem, Jijel et Oran.

Jusqu’à présent, quelles sont les démarches que vous avez entreprises pour la libération des détenus ?

Notre tâche permanente au niveau du réseau, étant principalement de synthétiser et de relayer les informations au sujet des détentions arbitraires et de les partager par tous les moyens possibles, pour en informer l’opinion publique. Néanmoins, nous comptons parmi les membres actifs du réseau, des avocates militantes, qui suivent ces affaires, soit en se constituant pour défendre les détenus, soit en apportant leur assistance et soutien aux côtés des avocats désignés par les familles. Par ailleurs, nous nous rapprochons de toutes les familles des détenus pour leur apporter soutien moral et assistance.

L’autre front d’action continue est bien entendu la sensibilisation. A cet effet, nous organisons et prenons part aux rassemblements de soutien aux détenus, à chaque fois que l’occasion se présente, notamment au coeur des manifestations populaires tous les vendredis, avec un marquage appelant à leur libération et dédié à la lutte contre toute forme de répression ou d’abus arbitraires.

Comptez-vous promouvoir cette cause lors des manifestations du Hirak?

Nous sommes, bien sûr, partie prenante du Hirak et nos militantes et militants participent aux manifestations qui dénoncent la répression. Depuis le premier vendredi suivant la création du réseau, nous consacrons une marche et un rassemblement (avec nos banderoles, portant intitulé du réseau et ses coordonnées). Nous constatons (d’un vendredi à l’autre) que ce point de rassemblement attire de plus en plus de citoyens, qui se rapprochent de nous. Cela contribue, de ce fait, pour beaucoup à fédérer de plus en plus de ressources en faveur de la lutte contre la répression et de la défense des libertés. C’est aussi un point de prise de parole et d’échange avec d’autres initiatives (et elles sont très nombreuses) portant la même cause ou agissant en faveur de la libération des détenus d’opinion.

Ce qui est remarquable, c’est que très vite la cause des détenus d’opinion s’est trouvée de plus en plus encrée au cœur des revendications populaires, comme une exigence inéluctable et reconnue comme un préalable non négociable à toute action politique.

Avez-vous l’intention de médiatiser vos actions, de quelle façon ?

Oui. Et nous le faisons depuis le début de nos actions. Les membres du réseau se relayent pour tenir en permanence, une veille de communication et de rédaction. Nos communiqués et appels sont repris par les médias, une fois édités sur les interfaces web du réseau.