Le quitus des partis pour un député islamiste : Slimane Chenine à la tête de l’Assemblée
Nabila Amir, El Watan, 11 juillet 2019
Une première dans les annales parlementaires. Un député issu de la mouvance islamiste accède au perchoir de la Chambre basse du Parlement en bénéficiant du soutien des autres formations politiques. Il s’agit de Slimane Chenine, président du groupe parlementaire Ennahda-Adala-Bina. C’est un coup de tonnerre. Une surprise qui en a laissé perplexe plus d’un.
Initialement, l’union Ennahda-Adala-Bina n’avait pas l’intention de présenter de candidat. Elle penchait surtout pour le soutien d’une candidature autre que le secrétaire général du FLN. Mais, tard dans la soirée de mardi, les 14 députés composant cette formation ont été informés de la participation du parti avec son propre candidat, ces derniers ne se faisaient pas trop d’illusions, parce qu’ils savaient que le troisième homme de l’Etat ne pouvait pas être issu du camp des islamistes. Stupéfaction ! «En arrivant hier matin au siège de l’APN, j’ai été approché par des députés des autres formations qui m’informaient de leur soutien à notre candidat. J’avoue que je n’ai rien compris à ce revirement, moi qui étais persuadé que nous n’avions aucune chance de gagner ce pari», témoigne un député de cette formation.
Dans les coulisses de l’Assemblée, c’est la cacophonie et l’incompréhension. Chacun y va de sa propre lecture. Il reste qu’une majorité est persuadée que ce choix a été décidé d’en haut. «Le pays est toujours géré par le coup de téléphone. Il ne faut pas se leurrer», commentent certains députés qui ont préféré requérir l’anonymat. Pour eux, le pouvoir est monté sur la vague du mouvement populaire en choisissant, dans le camp de l’opposition, le troisième homme de l’Etat. «Le FLN et le RND sont des partis contestés et décriés par le mouvement populaire. Il fallait à tout prix répondre favorablement aux revendications de la rue. Un homme issu de l’opposition à la tête de l’APN est un bon signe», explique un député.
Prévue à 10h, la plénière consacrée à l’adoption du rapport de la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés sur la vacance du poste de président de l’APN a été reportée faute de quorum, parce que les députés de différentes formations devaient se réunir pour examiner la nouvelle situation. Ils devaient surtout revoir leur carte. Officiellement et jusqu’à hier, 11h, six députés avaient déposé leur candidature pour le poste de président de l’APN. Le FLN en rangs dispersés s’est présenté avec deux candidats : Abdelhamid Si Affif et Mustapha Boualeg, deux candidats qui n’ont pas été adoubés par le parti. Mohamed Djemai, dont la candidature avait été annoncée la veille, a finalement renoncé à se présenter. Une situation qui illustre l’ampleur de la crise qui secoue l’ex-parti unique.
Cacophonie et incompréhension
Les autres candidats qui ont déposé leurs dossiers sont : Slimane Chenine, Mohamed Hellali (groupe des Indépendants), Noureddine Belmeddah (député représentant la communauté algérienne à l’étranger), Houari Benaoula du parti El Wifak et Sidi Atmane Lakhdar pour le RND. L’élection du nouveau président devait avoir lieu à 14h30 et le vote s’effectuera à bulletins secrets. Pour la première fois, le FLN, divisé et non soutenu par le RND, va perdre la présidence de l’APN. D’ailleurs, la plénière a été reportée à 20h en raison des tiraillements et divergences au sein du parti, entre ceux qui soutiennent la candidature de Slimane Chenine et ceux qui veulent conserver la présidence de l’Assemblée. Vers 15h, les députés des formations politiques RND, MPA, TAJ et Al Moustakbal ont terminé leur réunion et chacun a rendu publique sa position.
Tous ont décidé d’apporter leur soutien à Slimane Chenine pour le poste de président de l’Assemblée. «Nous annonçons officiellement notre soutien au candidat du consensus national, Slimane Chenine», a déclaré Fouad Merabet, président du groupe parlementaire RND. Ce parti, qui s’est toujours opposé aux islamistes, a justifié ce revirement par le fait de permettre à l’opposition de jouer son rôle. «Nous croyons que l’opposition doit avoir une place. C’est pour préserver la stabilité du pays et des institutions, surtout que l’APN aura à se prononcer sur plusieurs textes de loi», s’est défendu Merabet, député de Skikda. Mustapha Boualeg, député proche de Mouad Bouchareb, a décidé, dit-il, de se retirer pour éviter le blocage de l’institution parlementaire.
Lakhdar Benkhalef, du parti Ennahda-Adala-Bina, confirme que Chenine a fait le consensus auprès des autres groupes parlementaires. A la question de savoir si Chenine aura un rôle à jouer dans le cadre du dialogue, Benkhalef réplique : «Certainement, parce que les personnalités qui doivent être choisies doivent être acceptées par la population et Chenine est plus crédible que Bensalah, car il est issu d’un parti de l’opposition.» D’aucuns savent que l’APN sera dissoute avec l’élection du nouveau Président et que sa durée de vie est limitée par la présentation de certaines lois liées au contexte actuel. Notons que le RCD et le MSP ont boycotté la plénière.