Illizi/Forages de gaz de schiste : La commission dépêchée pour rassurer ne convainc pas les protestataires

Ghellab Chahinez , Reporters, 26 juin 2019

Malgré le démenti du ministre de l’Energie Mohamed Arkab, concernant l’existence de forages d’exploitation de gaz de schiste sur le territoire de la wilaya d’Illizi, rapporté par le député d’Illizi Madoui Laïd, les habitants de cette petite localité perdue dans l’extrême Sud, à proximité des frontières avec la Libye, étaient bien convaincus qu’il s’agit bien de forages de gaz de schiste. « Le ministre nous a menti, honte à lui. Ce pouvoir est prêt à tout pour mettre sur pied ses projets de destruction du Sud et de ses sources», ont lancé à la presse les habitants en colère.

Pour se rattraper, une commission a été dépêchée, dimanche matin, chargée de discuter avec les habitants en vue de les convaincre de laisser se poursuivre les travaux de forage. Composée du directeur de l’énergie et des mines d’Illizi et des cadres de Sonatrach, la commission a tenté d’expliquer aux représentants des habitants que l’activité des forages n’est qu’en phase d’exploration. « Il ne s’agit pas encore de gaz de schiste, rien ne le confirme », ont lancé les membres de la commission. Pour rassurer la population, ces deniers ont demandé la composition d’un groupe de citoyens et de spécialistes dans le domaine pour le suivi des opérations au niveau des forages. Mais les habitants, ont rejeté cette proposition. Pour eux, il s’agit bien de l’exploitation du gaz de schiste et cela a été « confirmé par les responsables des forages, eux-mêmes », ont-ils répondu avant de rejoindre leur tente de protestation à l’entrée de la commune de Debdeb.

En effet, la confirmation est venue de l’entreprise elle-même. Les responsables des chantiers de forage pointés ont affirmé qu’il s’agit bien de la fracturation hydraulique, dans une rencontre tenue vendredi 21 juin avec les jeunes habitants protestataires de la commune de Debdeb, notamment la localité de Oued Moulay, en sit-in ouvert depuis une semaine, au niveau du carrefour menant vers les installations de Sonatrach. Cette rencontre s’est déroulée le soir en présence des élus de l’APC de Debdeb et du chef de brigade de la gendarmerie. Les cadres des forages sont intervenus après avoir été privés de nourriture et d’eau, suite à la confiscation des camions transportant des denrées et de l’eau qui leurs sont destinés. Ces derniers ont révélé avoir averti la direction centrale sur les protestations des habitants contre l’exploitation de ce gaz non conventionnel et qu’ils attendent les instructions pour quitter les lieux, puisque les opérations sont suspendues depuis le début des protestations. Entre temps, les cadres de Sonatrach ont demandé aux habitants de libérer les camions pour qu’ils puissent avoir de l’eau et de la nourriture jusqu’à ce qu’ils quittent les lieux. Ce qui a été accordé le temps de préparer leur départ.
Le samedi matin, et pour veiller à l’application de cet accord, le chef de daïra de In Amenas, accompagné d’un grand renfort de gendarmes et de forces antiémeutes, s’est rendu au lieu de rassemblement des jeunes protestataires, dans la localité de Oued Moulay, à proximité des forages de gaz de schiste, pour assurer l’ouverture de la voie vers les deux forages, afin de fournir de l’eau et de la nourriture aux employés qui sont restés puisque certains ont déjà quitté les lieux de travail, comme il a été convenu, vendredi soir, lors de la rencontre des habitants et des responsables des chantiers de Sonatrach. Le chef de daïra tente de rassurer les manifestants en affirmant que les opérations sont paralysées au niveau de tous les forages et ce, depuis le début des protestations. Des instructions pour déplacer les chantiers en réponse aux revendications de la population sont attendues dans les jours à venir, ajoute ce dernier. Pour les habitants : « Il n’y a plus de confiance. » Ils ont donc décidé de rester sur les lieux en réimplantant une tente géante à l’entrée de la commune de Debdeb, jusqu’à l’arrêt total des opérations et le départ de tous les employés, nous ont-ils déclarés. Selon un cadre de Sonatrach, le forage de l’ENTP, visant à prélever de l’eau souterraine, tandis que l’Enafor est chargée de la fracturation hydraulique avant de céder le champ à l’entreprise multinationale Schlumberger, chargée de l’aspect technique de la fracturation, qui poursuivra les opérations.

Peur sur les ressources d’eau souterraines

Sous le Sahara algérien, gisent de gigantesques nappes d’eau. Le plus grand gisement d’eau du monde, selon des rapports internationaux, 70% de la nappe se trouve dans le Sud-Est d’Algérie. Vu le manque et absence de précipitations dans la région, les habitants du Sahara n’ont que ces sources pour survivre. L’utilisation de ces eaux dans la fracturation, composée à 99,5% de sable et d’eau, serait une véritable catastrophe écologique et menace la vie dans le Sahara. C’est pourquoi, les habitants se battent pour défendre cette source vitale.

Selon un rapport rédigé et publié par Mohamed Terkmani, ingénieur et ancien directeur de Sonatrach, la consommation importante d’eau que requiert la fracturation demeure l’un des gros problèmes de l’exploitation du gaz de schiste. Le problème réside dans les énormes volumes d’eau qui doivent être mobilisés pour les besoins de l’opération.
Chaque puits consomme environ 7 000 à 15 000 m3 d’où une forte réticence devant un usage perçu comme un gaspillage dans une région en manque d’eau.

D’après les évaluations de l’Agence nationale des ressources hydrauliques (ANRH), les réserves d’eau du bassin saharien se situent entre 40 000 et 50 000 milliards de m3. Quant aux capacités de production, elles sont estimées à 6 535 millions de m3/an avec un soutirage actuel de 2 748 millions de m3/an pour les besoins agricoles, industriels et autres, ce qui laisse un surplus de 4 070 millions de m3/an pour des activités supplémentaires.

Sur la base de 15 000 m3 par puits, il faudra 15 millions de m3 pour 1 000 puits et 150 millions de m3 pour 10 000 puits, soit respectivement 0,00003% et 0,0003% des réserves en place. S’ils sont forés à raison de 200 puits par an, la consommation totale s’élèvera à 3 millions de m3/an, ce qui représente 0,073% du surplus disponible annuellement, a révélé cet expert dans son rapport.