Abdelghani Hamel auditionné aujourd’hui sur l’affaire des 701 kg de cocaïne

Le premier procès de Kamel Chikhi et 12 cadres de la conservation foncière aura lieu le 22 mai

Salima Tlemcani, El Watan, 02 mai 2019

Après avoir été entendus avec son fils par le procureur du tribunal de Tipasa, l’ex-patron de la police, Abdelghani Hamel, sera auditionné aujourd’hui par le parquet de Sidi M’hamed, près la cour d’Alger, dans le cadre de l’affaire des 701 kg de cocaïne.

Il devra répondre aux questions du juge de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé, qui enquête depuis dix mois sur les circonstances dans lesquelles cette importante quantité de drogue dure a été dissimulée dans une cargaison de viande importée du Brésil par Kamel Chikhi, puissant promoteur immobilier et importateur de viande.

Dès le début des investigations, l’affaire fait l’effet d’une bombe, notamment après l’arrestation de Kamel Chikhi, ses associés et ses frères, ainsi que le fils de l’ancien Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, et le chauffeur personnel de Abdelghani Hamel.

Dans un long communiqué, ce dernier nie que le mis en cause soit son chauffeur personnel, mais qu’il faisait partie du personnel du parc auto de la Sûreté nationale. Mais quelques jours plus tard, le nom d’un des fils de l’ex-patron de la police est cité.

Il est le propriétaire du port sec vers lequel Kamel Chikhi acheminait sa marchandise dès son arrivée à Oran avant de procéder aux formalités douanières. Le 26 juin 2018, Hamel, debout devant des caméras de chaînes de télévision et sur un ton coléreux, dénonce «des dépassements et des interférences lors de l’enquête préliminaire».

Il précise à plusieurs reprises : «Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre», puis déclare : «Même si notre institution n’est pas concernée par cette enquête, nous allons transmettre les dossiers en notre possession concernant cette affaire à la justice.»

Premier procès de Kamel Chikhi et 12 autres personnes le 22 mai

Ces propos provoquent une véritable onde de choc qui suscite son limogeage quelques heures après. Les avocats de Kamel Chikhi pensent que Hamel détient des informations que la justice doit avoir. Ils décident de déposer sur le bureau du juge de la 9e chambre pénale une demande pour son audition. «Dans l’intérêt de l’instruction et pour l’éclatement de la vérité et rien que la vérité, nous avons effectivement déposé cette demande auprès du magistrat chargé du dossier.

Nous pensons que l’ex-Directeur général de la Sûreté nationale n’a pas tout dit. Ses propos sont très lourds de sens et méritent d’être explicités», déclarait, le 26 juillet dernier, Me Saïd Younessi, à El Watan.

Il explique : «Nous avons jugé utile de demander au juge d’auditionner l’ex-patron de la police sur quatre points précis et liés à sa déclaration publique, d’autant qu’il venait de rentrer d’une mission officielle d’une semaine en Espagne, pays par où a transité le navire transportant la marchandise, et où aussi le container où se trouvait la drogue avait été ouvert. Il a dit qu’il détenait des informations sur le dossier. La justice est en droit de l’entendre sur ce qu’il sait, pour avancer dans l’enquête.

Le deuxième point sur lequel nous voulons qu’il soit interrogé concerne sa relation avec Kamel Chikhi. Si celle-ci est avérée, il doit nous expliquer sa nature. Le troisième point que nous jugeons important est lié aux dépassements qu’il a évoqués. Rappelez-vous, M. Hamel a fait un constat très grave. Il a dit qu’il y a eu des dépassements graves lors de l’enquête préliminaire menée par les gendarmes. S’il a fait cette révélation, c’est qu’il détient des preuves que nous sommes en droit de connaître.

Ces questions sont importantes pour l’éclatement de la vérité (…). Notre démarche ne répond à aucune manœuvre politique. Elle obéit à des considérations plutôt liées à la vérité.

Nous nous sommes limités uniquement aux questions qui intéressent de près la procédure liée à l’enquête sur la cocaïne.» La demande de la défense de Chikhi reste sans réponse, mais l’instruction cible les enfants de Abdelghani Hamel, dont les comptes bancaires sont passés au crible puis bloqués.

Il a fallu l’annonce par le vice-ministre et chef d’état-major de l’Anp, Ahmed Gaïd Salah, de la réouverture des dossiers de corruption, dont celui de la cocaïne, pour que le juge de la 9e chambre pénale décide de répondre à la demande des avocats de Kamel Chikhi, auditionnant aujourd’hui, Abdelghani Hamel.

Cette mesure intervient alors que les 12 cadres de la conservation foncière et de l’urbanisme à Alger, en détention, pour corruption et trafic d’influence sont renvoyés devant le tribunal de Sidi M’hamed, pour être jugés le 22 mai avec Kamel Chikhi, pour plusieurs chefs d’inculpation, dont «trafic d’influence et corruption».

Il s’agit des chefs des services de l’urbanisme de Kouba, Aïn Benian, Draria, Chéraga et Hydra, des conservateurs fonciers de Hussein Dey et de Bouzaréah, de deux contrôleurs de la conservation foncière de Hussein Dey, d’un fonctionnaire de la conservation foncière de Bouzaréah, ainsi que d’un architecte de la direction de l’urbanisme d’Alger.

Ils auraient été compromis par les enregistrements vidéo des caméras de surveillance installées dans les bureaux de Kamel Chikhi, mais aussi par les communications téléphoniques entre certains d’entre eux et le principal prévenu dans l’affaire. Ils auraient aidé Kamel Chikhi à obtenir des documents fonciers et urbanistiques, lui permettant d’acquérir des assiettes foncières, de faire des extensions et d’ériger des tours de plusieurs étages, en contournant la loi. Des services que Kamel Chikhi aurait rémunérés soit par de l’argent soit par des cadeaux.

A signaler qu’il reste encore deux autres volets de l’enquête judiciaire que le magistrat instructeur n’a pas finalisés. Le plus important est celui lié à la cocaïne, dans lequel six personnes sont en détention, dont Kamel Chikhi, ses deux frères, un de ses associés, son directeur commercial, un de ses agents.

Le deuxième volet, toujours en instruction, comporte un autre groupe de six prévenus, placés en détention, dont le fils d’un ancien wali de Relizane, le fils de l’ancien Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, le chauffeur personnel de Abdelghani Hamel, le procureur de Boudouaou et son adjoint ainsi que l’ex-maire de Ben Aknoun, tous poursuivis avec Kamel Chikhi pour «trafic d’influence», «corruption» et «perception d’indus cadeaux».

Prévu le 22 mai, le procès de la première partie de cette affaire, qui a éclaboussé de nombreuses personnalités civiles et militaires, n’est pour les plus avertis que l’arbre qui cache la forêt. En attendant que la justice élucide les circonstances de l’importation de 701 kg de cocaïne et identifie les vrais auteurs, le mystère autour de cette affaire reste toujours entier.