À la veille du 3e vendredi : le pouvoir reste droit dans ses bottes, la rue aussi

Makhlouf Mehenni, TSA, 7 Mars 2019

Se trouvant toujours en Suisse où il a été évacué il y a plus de dix jours et alors que les plus folles rumeurs circulent concernant l’évolution de son état de santé, le président Bouteflika s’est de nouveau « exprimé » sur la situation que traverse le pays.

Cette fois, c’est à la veille de nouvelles manifestations annoncées qu’il s’adresse au peuple, à travers les femmes dont la célébration de la journée mondiale coïncide cette année avec un vendredi de colère, le troisième du genre, contre sa candidature pour un cinquième mandat. 

Le message présidentiel, lu par la ministre de la Poste, Houda Feraoun, ne fait curieusement aucune allusion aux engagements pris le 3 mars par Bouteflika dans une tentative de désamorcer la crise. Mais des manifestations, il en parle.

En bien d’abord, saluant de nouveau leur caractère pacifique. C’est une bien étrange révolution où le président contesté soutient presque les marches. « Nous avons enregistré, il y a quelques jours, la sortie de nombre de nos concitoyens et concitoyennes, à travers les différentes régions du pays, afin d’exprimer pacifiquement leurs opinions, et nous nous félicitons de cette maturité de nos concitoyens, y compris de nos jeunes, et du fait que le pluralisme démocratique, pour lequel nous avons tant milité, soit désormais une réalité palpable », se félicite-t-il.

Mais très vite, il change de ton et brandit à son tour le spectre de la déstabilisation et du chaos comme l’ont fait avant lui de nombreux responsables, dont le Premier ministre Ahmed Ouyahia et surtout le chef d’état-major de l’ANP Ahmed Gaïd Salah. « Néanmoins, nous nous devons d’appeler à la vigilance et à la prudence quant à une éventuelle infiltration de cette expression pacifique par une quelconque partie insidieuse, interne ou externe, qui pourrait, qu’Allah nous en préserve, susciter la Fitna et provoquer le chaos avec tout ce qu’ils peuvent entraîner comme crises et malheurs », met en garde le chef de l’État.

Comprendre : le risque, c’est de retourner aux années de braises. Bouteflika ne le dit pas, mais s’il rappelle cette période, ce n’est pas par nostalgie. « Notre peuple a payé un lourd et douloureux tribut pour en préserver l’unité et le rétablissement de sa paix et stabilité, après une tragédie nationale sanglante ».

Bouteflika et son cercle proche ne désespèrent pas d’éteindre le feu de la contestation avant l’élection présidentielle. Cette fois, l’occasion est propice, ce sont les « mères » qui sont exhortées à « la préservation de l’Algérie, en général, et de ses enfants en particulier ».

Si les premières grandes manifestations du 22 février se sont déroulées dans le calme, celles du 1er mars ont été émaillées d’incidents à Alger, lorsque, à la fin de la marche, des groupes de casseurs ont commis des actes de vandalisme. La police a procédé à une quarantaine d’arrestations et les services hospitaliers ont déploré plus de 180 blessés et un décès.

On ne sait pas ce qu’il en sera ce vendredi 8 mars, mais il devient clair que le risque de dérapage et par conséquent de chaos demeure pour le pouvoir le seul argument pour convaincre les citoyens de rester chez eux.

Politiquement, il semble n’avoir plus rien à offrir après les engagements du 3 mars, rejetés unanimement par la rue et l’opposition pour promesses similaires non tenues par le passé. En clair, le renoncement au cinquième mandat n’est pas à l’ordre du jour. Alors que l’Algérie est en ébullition depuis maintenant près de trois semaines, Bouteflika se projette dans l’avenir et parle encore, en plus de la menace de chaos, de « parachèvement de l’œuvre de construction et d’édification ».

« Nous sommes face à de nombreux défis économiques, sociaux et politiques afin de permettre à l’Algérie d’accéder à son légitime niveau de prospérité au profit de son peuple et de marquer sa présence économique sur les marchés internationaux, et partant, asseoir davantage sa place dans le concert des nations ». C’est dans son discours de ce 7 mars. La veille, le chef de l’armée avait promis de garantir le bon déroulement de l’élection présidentielle du 18 avril qu’il a qualifiée, comme si de rien n’était, d’ « importante échéance nationale ».

Le pouvoir reste droit dans ses bottes, la rue aussi. La journée de ce 8 mars s’annonce décisive pour la suite des événements. Si des dérapages à grande échelle sont enregistrés et surtout si une autre démonstration de force n’induit pas un changement de discours, on saura alors que ceux qui menacent le peuple chaos ne bluffent pas.