Après le rejet massif du 5e mandat : Bouteflika face à ses responsabilités

Hacen Ouali, El Watan, 3 mars 2019

Au lendemain de la mobilisation populaire d’une ampleur inédite contre le 5e mandat de Abdelaziz Bouteflika, tout le pays est suspendu à une réponse à la hauteur de l’ambition du changement radical du système politique qui sera inauguré par le retrait de la candidature du Président sortant.

A la joie procurée par la réussite des mobilisations citoyennes, a succédé une angoisse générale. Les Algériens guettent impatiemment ce qui sortira du Palais. L’Algérie est placée dans une extrême tension; elle retient son souffle.

Elle est à bout de nerfs. Le temps est comme figé, d’autant qu’aujourd’hui à minuit expirera le délai de dépôt des candidatures devant le Conseil constitutionnel.

Que fera Bouteflika après un deuxième vendredi de manifestations monstres dans toute l’Algérie ? Comment se comportera son entourage qui pour l’heure est confiné dans un silence intrigant ?  De folles rumeurs ont agité l’opinion nationale le jour d’après le soulèvement du 1er mars.

«Limogeage du gouvernement, Ramtane Lamamra annoncé à la place d’Ahmed Ouyahia, Bouteflika est encore à Genève, il va rentrer ou pas, sa santé se dégrade, annoncera-t-il son retrait ou ira jusqu’au bout de sa logique ?» Le pays est dominé par une intense incertitude en cette interminable et angoissante journée de samedi après les marches. Impossible de garder son calme.

A la croisée des chemins sinueux, l’Algérie joue les temps morts. Tout peut basculer dans un sens comme dans un autre. Dans la liesse d’une délivrance tant attendue ou dans un abattement national.

La fuite en avant va irrémédiablement plonger toute la nation dans une  paralysie générale alors que des appels se multiplient pour des grèves générales partout dans le pays et dans tous les secteurs.

Une désobéissance civile et civique surtout que le climat est quasi révolutionnaire. Dans le cas de confirmation de la candidature de Abdelaziz Bouteflika, il ne faut pas exclure un risque d’escalade de la colère.

Les mobilisations populaires organisées dans un élan pacifique extraordinaire peuvent connaître une autre tournure. Si le pouvoir ignore l’appel raisonné du peuple, ce dernier peut perdre son sang-froid tant redouté. C’est pousser les millions d’Algériens en marche pour le changement démocratique dans une confrontation d’une autre nature.

Forcer le passage alors qu’est exprimée une forte opposition à l’option de la «continuité» peut bien conduire à un face-à-face incontrôlable. Et les conséquences ne peuvent être que fâcheuses pour tout le pays et le pouvoir en assumera seul la responsabilité. Le sursaut de la dignité

Il est évident que le rejet massif, large et vigoureux du système ne peut se suffire d’un remaniement gouvernemental, encore moins du limogeage de Abdelmalek Sellal du poste de directeur de campagne de Bouteflika.

Le renoncement au 5e mandat est un minimum qui serait «tout au plus une mesure d’apaisement», comme l’explique l’opposant Djamel Zenati. «Le moment est historique. La rue n’exprime plus une colère.

Elle porte un idéal, un espoir : celui du changement. Le renoncement au 5e mandat. Il n’est pas la solution. Loin s’en faut. La dynamique populaire aspire à une bien meilleure ambition. Elle exige le départ du système. Elle a les moyens de l’imposer maintenant et sans violence.

Se suffire du départ de Bouteflika c’est donner une opportunité au système de pouvoir ressusciter. L’option électorale est contraire à l’intérêt du pays. C’est une négation de l’espoir citoyen. Une seule issue possible : l’ouverture immédiate d’une période de transition», poursuit-il.

En effet, il existe des portes de sortie tout en restant dans le cadre de la légalité constitutionnelle.  «Il existe un compromis et un consensus autour d’une phase de transition qui amènerait la démission de Bouteflika et de son gouvernement», suggère Saïd Sadi.

Toute la classe politique est aujourd’hui favorable à une sortie par le haut qui ne serait humiliante pour personne, à condition que l’intérêt national l’emporte sur les calculs d’aventuriers.

Les Algériens, qui ont renoué avec l’esprit émancipateur en l’espace d’une folle semaine, ne peuvent patienter encore longtemps. Ils ne sont plus dans la réaction. Ils sont devenus l’acteur majeur dans le jeu politique en cours. La pierre angulaire d’une nouvelle Algérie. Désormais l’équation est inversée et le rapport de force est plus que jamais en faveur du changement du système.

Jusqu’à hier soir, Abdelaziz Bouteflika n’avait pas quitté l’hôpital de Genève. Il est face à une responsabilité historique. L’avenir du pays dépendra de sa décision !