Bouteflika s’envole aujourd’hui pour Genève pour un «contrôle médical» : Un séjour et des interrogations
Salima Tlemcani, El Watan, 24 février 2019
A la veille d’importantes manifestations populaires de colère contre le 5e mandat, un communiqué de la Présidence annonce un déplacement du chef de l’Etat, à Genève, dès aujourd’hui, pour «des contrôles périodiques de court séjour». Très discret, pour ne pas dire muet à propos de l’état de santé de Bouteflika, le pouvoir surprend en évoquant la visite médicale en Suisse, 72 heures avant.
Une décision qui suscite de lourdes interrogations. Il est vrai que durant des semaines, de fortes rumeurs sur une éventuelle dégradation de l’état de santé du Président avaient alimenté les débats sur les réseaux sociaux et les discussions dans les milieux politiques. La réponse a été cependant donnée, durant la soirée du jeudi dernier, par la diffusion sur les chaînes de télévision publiques de la cérémonie d’investiture de Tayeb Belaïz à la tête du Conseil constitutionnel, en présence du Président.
Malgré son visage tuméfié et son regard absent, l’image de ce dernier n’était pas aussi choquante ni affligeante, comme l’a été son apparition il y a plus de trois mois, à l’occasion des festivités du 1er Novembre, marquant l’anniversaire du déclenchement de guerre de Libération nationale. Il est clair que le communiqué de la Présidence sur le déplacement à Genève, pour des raisons de santé, à la veille de la manifestation populaire, soit 72 heures avant le voyage, n’est pas fortuit. En effet, aucun des six séjours médicaux qu’il a effectués à l’étranger n’avait été précédé par une annonce officielle des autorités. Tous ont été médiatisés une fois à l’extérieur du pays ou à la fin.
Au mois d’août dernier, plus précisément le 28, alors que le pays vivait au rythme du scandale des 701 kg de cocaïne et des limogeages en cascade de hauts gradés de l’armée, du patron de la police, mais aussi de poursuites judiciaires à l’encontre de cinq généraux-majors dont trois ex-chefs de Région militaire, un directeur central au ministère de la Défense, et l’ex-patron de la gendarmerie nationale, la Présidence nous apprend dans un communiqué, diffusé par l’agence officielle, que Bouteflika avait «quitté le pays le 27 août pour des contrôles médicaux périodiques à Genève». Même son retour, le 1er septembre, n’a été annoncé que le soir, après son retour au pays. Pourquoi, jeudi dernier, a-t-on rendu public son voyage à Genève, 48 heures avant ? Beaucoup se posent cette question.
Certains ne croient même pas à cette visite médicale. Pour eux, ce n’est qu’une manière de justifier l’annulation d’une sortie sur le terrain du Président pour inaugurer la Grande mosquée et le nouvel aéroport international d’Alger, prévue aujourd’hui, 24 février, marquant le double anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures et de la création de l’Ugta.
D’autres, par contre, y voient les «prémices» d’un probable «plan B» du pouvoir qui consiste à abandonner l’option du 5e mandat, pour des raisons de santé, au profit d’un autre candidat du système. Néanmoins, les plus sceptiques ne croient ni à la première hypothèse ni à seconde. Pour eux, le régime «ne va pas reculer» sur le choix de la continuité.
Selon eux, l’annonce du déplacement de Bouteflika à Genève, le jour même de son apparition en train de superviser la cérémonie d’investiture du nouveau président du Conseil constitutionnel, a pour but de démontrer à l’opinion publique que le contrôle médical devant être effectué à Genève n’est qu’une formalité pour valider «l’attestation de bonne santé», nécessaire au dossier de candidature à sa propre succession. En tout état de cause, ce «court séjour» médical du Président, à Genève, au moment où la rue gronde contre son 5e mandat, reste une énigme et suscite de nombreuses interrogations.