Mouloud Hamrouche écarte toute possibilité de se présenter à la présidentielle

«Les élections en Algérie ne donnent ni légitimité, ni pouvoir»

Kamel Amarni, Le Soir d’Algérie, 23 janvier 2019

L’ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, a clairement laissé entendre, hier mardi, dans un entretien accordé à notre confrère El Khabar, qu’il n’a nullement l’intention de se présenter à l’élection présidentielle du 18 avril prochain. Mieux – ou pire, c’est selon – Hamrouche estime qu’en Algérie, «les consultations électorales et politiques ont perdu l’essentiel de leur contenu, de leur influence et de leur finalité». L’homme remet en cause le système de gouvernance dans son ensemble.

Enfant du système, Mouloud Hamrouche, l’un des piliers du régime de Chadli Bendjedid, avait eu à diriger le «gouvernement des réformes» au lendemain des événements d’Octobre 1988. C’était sous son gouvernement que l’Algérie opérait sa grande mutation, de l’ancien régime de parti unique, vers le pluralisme politique, médiatique, syndical, associatif et culturel. Une période faste, qui sera malheureusement ternie par l’intrusion du loup dans la bergerie, pour ainsi dire, à savoir l’avènement du tristement célèbre Front islamique du salut. C’était l’ex-FIS qui pervertira cette fabuleuse expérience démocratique, la première dans un pays arabe. D’ailleurs, c’était également à la suite du pourrissement de la situation, à la suite de la fameuse grève de l’ex-FIS que le gouvernement Hamrouche tombait, en juin 1991. De cette période, si sensible de l’histoire du pays, Hamrouche a hérité d’une glorieuse réputation, celle de «l’homme des réformes», mais aussi un contentieux jamais réglé avec son institution d’origine, l’armée. Et qui va durablement marquer la suite de sa carrière politique. Plutôt partisan de «la solution politique» au lendemain de l’interruption du processus électoral et l’interdiction du FIS, Mouloud Hamrouche avait tenté un retour en force, à la suite de la démission de Liamine Zeroual. Candidat à l’élection présidentielle du 15 avril 1999, l’ancien chef de gouvernement avait mené une brillante campagne électorale, sous le thème qui lui est si cher, celui des réformes mais a dû se retirer de la course en compagnie des cinq autres concurrents de Abdelaziz Bouteflika (Taleb Ibrahimi, Abdellah Djaballah, Mokdad Sifi, Youcef Khatib et le défunt Hocine Aït Ahmed ), et ce, en guise de contestation du soutien de l’armée au «candidat du consensus», en l’occurrence Bouteflika. N’empêche, et même s’il n’est porté par aucune structure partisane, l’ancien chef de gouvernement aura toujours gardé intacte une popularité réelle et reste, par ailleurs, l’une des rares personnalités nationales à disposer de réseaux terriblement efficaces, tant au niveau de la classe politique, des médias, du monde associatif et dans l’administration. Bref, l’on a affaire, en lui, à un présidentiable en puissance. Sauf que, à bientôt 76 ans, l’homme préfère faire l’impasse sur le rendez-vous de la présidentielle d’avril 2019. Une décision qu’il argumentera de manière académique, à travers l’entretien accordé à nos confrères d’El Khabar. Pour lui, les élections et les consultations électorales, y compris celles qui concernent la fonction de président de la République, «ne donnent pas la légitimité, n’adoptent pas des programmes, et ne donnent pas de pouvoir aux élus». Analysant la nature du pouvoir en Algérie, Hamrouche s’est montré sans état d’âme. «Nous mélangeons tout le temps entre l’Etat et le pouvoir ou le gouvernement. (…) Le problème chez nous est que nous n’avons pas construit l’Etat porté par le projet national et nous n’avons pas institué les instruments du pouvoir.» Il portera un jugement cinglant sur les bilans des gouvernements qui se sont succédé en Algérie depuis l’indépendance. «Y compris le mien», précisera-t-il. «En Algérie, nous avons un problème. Le pouvoir ne gouverne pas, parce que les mécanismes de fonctionnement du système tel qu’il est aujourd’hui empêchent la pratique du pouvoir.» Même s’il affirme qu’en Algérie, «il n’y a qu’un seul pouvoir, celui de l’exécutif, à savoir le président de la République et le gouvernement», Hamrouche n’en estime pas moins qu’aucun homme ni entité, à savoir le président de la République ou son exécutif ne gouvernent en réalité. Citant sa propre expérience à la tête du gouvernement, de 1989 à 1991, il dira, par exemple : «J’ai rencontré beaucoup de difficultés qui m’ont empêché de concrétiser mon programme et d’avoir les instruments de contrôle.» En l’état actuel des choses, soutiendra Hamrouche, le pays est gouverné à la «libyenne, à la Jamahirya du défunt Maâmar El Khadhafi». Il assure, toutefois, qu’il ne vise aucune personne en particulier en faisant ce constat, mais qu’il dénonce la nature même du système dans son ensemble. Un système qui fait que, de l’étranger, «l’Algérie n’est pas perçue comme un Etat, mais comme un régime. Et cela est dangereux». Hamrouche en veut pour preuve de l’obsolescence du système en Algérie, l’initiative prise par Bouteflika lui-même, dès son arrivée au pouvoir et qui consistait à réformer l’Etat. Or, le rapport de la «commission Missoum Sbih» est resté sans effet : «Où sont les résultats de cette commission ? Le Président Bouteflika n’a pas informé les Algériens sur les difficultés qu’il a rencontrées pour organiser l’Etat.» Cela veut tout dire ! Autrement dit, Hamrouche estime, cette fois, que non seulement «c’est le jeu qui est fermé» s’agissant des élections du 18 avril, mais l’ensemble du système qui l’est encore davantage.
K. A