L’étrange “message de Bouteflika”
Un lexique approximatif et un ton particulièrement belliqueux
Liberté, 29 septembre 2018
Le “message du président Abdelaziz Bouteflika” aborde ouvertement la question de la succession plutôt dans un langage peu commun à un chef de l’État en exercice.
Le “message du président Abdelaziz Bouteflika”, lu en son nom par le secrétaire général de la présidence de la République, Habba Okbi, à l’occasion de la tenue de la rencontre gouvernement-walis, hier, à Alger, est à inscrire dans les missives les plus violentes de l’actuel chef de l’État, depuis son arrivée au pouvoir, il y a bientôt vingt ans.
Dans son message, Abdelaziz Bouteflika trouve d’abord “normal que la stabilité de notre pays soit ciblée par des cercles de prédateurs et de cellules dormantes qui s’acharnent à attenter à sa crédibilité et à la volonté de ses enfants”.
Il relève ensuite que “les manœuvres politiciennes que nous observons à l’approche de chaque échéance cruciale pour le peuple algérien est la preuve tangible de ces intentions inavouées, qui s’éclipsent dès que notre valeureux peuple leur tourne le dos”.
Le Président, pour qui des voix se sont élevées depuis plusieurs mois pour lui demander de “continuer son œuvre” et briguer donc un cinquième mandat, aborde même ouvertement la question de la succession. “Si certains réduisent les enjeux du présent et de l’avenir au changement et à la succession des responsables et des personnes, et entreprennent, pour des raisons obscures, de propager cette idée, vous savez, vous qui êtes sur le terrain, à relever au quotidien les défis sécuritaires et socioéconomiques, que l’enjeu est beaucoup plus grand”.
Mais qu’est-ce qui fait qu’Abdelaziz Bouteflika, et à cinq mois de l’élection présidentielle d’avril 2019, une échéance dont il semble faire le point essentiel de son message, se veuille aussi belliqueux, jusqu’à accuser d’“obscurantisme” tous ceux qui osent aborder la question du “changement” ou de “succession” ? Une question, faut-il le souligner, qui est plus à l’ordre du jour à l’intérieur du système que dans d’autres milieux, étant donné les tiraillements, les désaccords et les guerres ouvertes menées publiquement entres les clans au pouvoir… jusqu’à cadenasser les portes de l’Assemblée populaire nationale (APN), et dissoudre de manière anti-statutaire toutes les instances et structures du parti majoritaire, le Front de libération nationale (FLN).
à qui s’adresse donc le président Abdelaziz Bouteflika, puisque s’il s’agit de réprimander la perspective de “changement”, c’est une vieille revendication de l’opposition ? Reste l’épineuse problématique de “succession des responsables et des personnes”. Et c’est là que l’ambiguïté prend tout son sens dans la missive présidentielle. Il aborde, d’ailleurs, à ce propos, et de façon insistante, l’option de la continuité. “Il y va de la protection des réalisations accomplies par le peuple ces deux dernières décennies et de leur préservation et valorisation à son profit. Il s’agit, également, de se hisser à un niveau plus élevé dans l’acte de développement et dans l’action politique.”
Abdelaziz Bouteflika, et dans un langage acerbe, voire peu commun à un chef de l’État en exercice, accable toute voix dissonante ou susceptible de remettre en cause le bilan de son règne.
Aussi, incrimine-t-il, tous ceux qui pensent à d’autres issues ou d’autres alternatives à l’idée de la continuité. Le message le formule d’ailleurs clairement s’agissant de la question de l’alternance au pouvoir. “Les aventuriers qui font dans la promotion de la culture de l’oubli, du déni et de la négation ne seront jamais des forces de construction et d’édification. Bien au contraire, ils dissimulent les faucilles du massacre, qu’ils n’hésiteront pas à utiliser pour faire basculer le pays dans l’inconnu.” Entendre, ici, qu’en dehors de ce qui peut s’initier à l’extérieur du cercle présidentiel, quand bien même aujourd’hui disloqué, serait pure trahison pour le “peuple algérien” et son “avenir”. Une manière, on ne peut plus claire, de dire que les échéances de 2019, et même juste après, se joueront dans un circuit fermé.
Le message du chef de l’État, lu en son nom par le secrétaire général de la présidence de la République, semble surtout révéler un malaise flagrant au sommet de l’État. Sinon, pourquoi tant d’alarmisme ? Y aurait-il panique au sein du sérail ? Ces questions, et sans doute d’autres, méritent d’être posées. Parce qu’en plus de l’opposition qui qui ne cesse d’alerter sur l’absence d’un maître à bord du navire Algérie, des voix occidentales, et très influentes à l’échelle mondiale, à l’exemple du Financial Times, le quotidien financier et économique britannique, estiment qu’“un cinquième mandat serait une opération hasardeuse” avec tout ce qu’elle implique en Algérie, mais aussi et surtout sur le plan régional.
Mehdi Mehenni