Nous demandons un cadre juridique basé sur le code de la famille pour régler le problèmes des enfants nés dans les maquis
Merouane Azzi. Ancien président de la cellule d’assistance judiciaire pour l’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale
Ryma Maria Benyakoub, El Watan, 5 octobre 2018
La question des gardes communaux, les interdits de passeport et de sortie du territoire sont, entre autres, des dossiers que le rapport remis à la Présidence par la cellule de suivi pour l’application pour la charte pour la réconciliation nationale a pu régler. Restent suspendus les dossiers des pensions des victimes, femmes violées et autres.
– Après la fin de mission de la cellule de suivi en 2015, le Président avait annoncé que les portes de la réconciliation nationales restaient ouvertes. Qu’est-ce que cela peut représenter ?
Il est vrai qu’un rapport de fin de mission a été établi en, 2015, mais les portes de la réconciliation nationale sont toujours restées ouvertes. Car depuis cette date, on a eu des terroristes repentis ,on ne peut pas leur dire que la réconciliation n’est plus ouverte.
Ces personnes ont bénéficié des mêmes droits que les précédents,à condition de répondre aux trois critères principaux de la charte : n’avoir jamais fait ou participer à des massacres, n’avoir jamais déposé de bombes, violé des femmes.
Après enquête des services de sécurité et des services judiciaires, les personnes en question ne représentent aucun des trois crimes,ils peuvent bénéficier de la réconciliation nationale le plus normalement du monde.
– Quel est le sort réservé aux repentis enregistrés depuis 2015 avec leurs familles ?
Le même processus continue d’être appliqué. Toutes les personnes, qui se sont rendues aux services de la sécurité, si elles répondent aux critères de la charte, ont bénéficié de la réconciliation nationale après le suivi de l’enquête et des procédures, bien évidemment. Les personnes, qui présentent les trois crimes (cités plus haut), sont passées devant la section criminelle.
Concernant les familles, une liste nationale a été établie sur la période de l’an 2000 jusqu’à 2006. Cette liste de 17 000 terroristes, et donc 17 000 familles, a été communiquée aux différents corps de la sécurité nationale, pour pouvoir délivrer aux familles des attestations de décès au sein des groupes terroristes.
Ces attestations leur permettent d’avoir des actes de décès au niveau de la justice et bénéficier des aides financières au niveau des commissions de wilaya. Cela ne concerne que les familles des terroristes abattus. Les repentis, quant à eux, ne bénéficient d’aucun dédommagement ni d’aide financière.
– Avant la fin de votre mission, vous avez souhaité que la charte soit élargie à d’autres catégories…
L’article 47 de la charte affirme que le président de la République peut prendre des décisions concernant la réconciliation nationale à n’importe quel moment. Nous nous sommes basés sur cela pour demander des mesures complémentaires et élargir la réconciliation sur d’autres catégories.
Durant les dix années de la mission, nous avons aussi servi de cellule d’écoute pour les différentes parties concernées par la tragédie.
Ce qui nous a permis de rencontrer et découvrir des personnes, en relation directe avec la décennie noire, et qui aimeraient bénéficier eux aussi du programme de la réconciliation nationale. C’est pour cela que dans le rapport final, nous avons demandé que ces catégories soient incluses dans le contenu de la charte et qu’on leur établisse des mesures spécifiques…
Parmi ces catégories, on dénomme le dossier des enfants nés dans les maquis, les détenus des camps du Sahara par décisions administratives, les victimes aux dégâts matériaux, les anciens détenus acquittés qui veulent être dédommagés, les patriotes… Puisque réconciliation nationale il y a eu, pourquoi ne pas faire bénéficier toutes les personnes concernées ?
Cette demande a un précédent. En 2011, nous avons déposé des propositions auprès du président de la République et cela a été pris en charge.
D’ailleurs, en 2014, deux importantes décisions ont été prises. Nous avons réglé le problème des personnes interdites de sortie du territoire national et qui n’ont pas de passeport ainsi que la problématique des femmes violées par les terroristes qui sont enfin considérées comme victimes du terrorisme.
– Le rapport où vous soulevez les «défaillances» et les «insuffisances» de cette charte n’a pas été pris en considération par la Présidence… Un commentaire ?
Quinze propositions ont été suggérées dans le rapport de 2015. A ce jour, une bonne partie a été prise en considération. Je cite la situation des gardes communaux, les interdits de passeport et de sortie du territoire, et plein d’autres problèmes administratifs.
Mais beaucoup reste encore à faire. Par exemple, nous avons demandé de revoir à la hausse et mettre à jour la pension des victimes du terrorisme pour rimer avec les conditions de vie actuelles.
On ne peut pas garder la pension de 1999 jusqu’en 2018. Nous avons aussi demandé l’utilisation de l’ADN pour régler la situation des enfants nés dans les maquis et trouver un cadre juridique, mais aucune décision n’a été encore prise.
Dans l’attente de plus de considération, je n’ai qu’à lancer un appel et dire qu’il est temps de donner un nouveau souffle à la réconciliation nationale. Nous sommes dans l’obligation de décider de nouvelles dispositions pour une meilleure prise en charge de toutes les personnes qui attendent des solutions et amélioration de leur situation.
– Statistiquement, vous dites que la charte a répondu à 95% de demandeurs. Qu’en est-il pour le reste ? N’ouvrent-ils pas droit ?
Après la fin de la mission, en 2015, nous avons constaté que le contenu de la charte a été appliqué jusqu’à une moyenne de 95% sur les quatre dossiers principaux : les repentis, les familles des disparus, l’aide aux familles des terroristes abattus et enfin le dossier des personnes qui ont été licenciées à cause de la tragédie nationale.
Les 5% restants concernent certains cas dans les quatre gros dossiers de la charte. Par exemple, concernant les repentis, seuls 8750 cas ont bénéficié de la réconciliation nationale.
Aussi, parmi les 7140 familles de disparus, la situation de 7105 familles a été réglée et parmi les 17 000 familles de terroristes abattus 11 291 ont bénéficié de dédommagement. Pour résumer, le pourcentage restant de l’application de la charte concernant les dossiers qui sont bloqués devant les commissions de wilaya.
– Les femmes violées par les terroristes restent tout de même la zone d’ombre de cette charte au même titre que les enfants nés dans les maquis…
Le dossier des femmes violées par les terroristes continue de faire polémique bien que ces dernières sont déclarées «victimes du terrorisme» depuis juin 2014.
Concernant les enfants nés dans les maquis, la forem avance un chiffre de 500 enfants âgés entre 5 ans et 15 ans. La cellule a traité plus de 100 dossiers dans ce contexte et jusqu’à ce que jour, elle n’a pu traiter que 37 dossiers dans le cadre du code de la famille.
Comme le mariage des maquis n’est pas reconnu par l’état civil, nous avons entamé des actions devant la section du statut personnel et demandé l’officialisation de ce mariage et ainsi attribuer l’enfant à son père biologique. Ça été facile de régler ces dossiers parce que les deux parties, la mère et le père, étaient présentes.
Cependant, dans la plupart des autres cas, la mère se présente seule avec les enfants et le père biologique a été abattu et donc nous n’avons pas à qui attribuer les enfants. C’est pour cette raison que nous avons demandé un cadre juridique dans le code de la famille, spécialement conçu à cette tranche de personnes.
– En termes de données chiffrées, combien de dossiers sont suspendus sans suite ? Pourquoi à votre à avis ?
A mon niveau je ne peux confirmer que le nombre des dossiers traités qui est environs 32 200 dossiers. Pour ce qui est des affaires sans suite, c’est au niveau des commissions de wilaya que sa bloque et à mon avis, l’une des principales raisons de ce blocage est la bureaucratie des administrations.
– Merouane Azzi est avocat à la cour d’Alger et ancien président de la cellule d’assistance judiciaire pour l’application de la charte pour la paix et la réconciliation nationale.